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Des Ivoiriens pendant la Caravane de la réconciliation, 3 novembre 2012. © SIA KAMBOU / AFP
Des Ivoiriens pendant la Caravane de la réconciliation, 3 novembre 2012. © SIA KAMBOU / AFP

Les Ivoiriens doivent se réconcilier avec leur histoire

Pour l'éditoraliste Venance Konan, il n'est possible d'en finir avec les germes de la division que si les Ivoiriens redécouvrent la richesse et la diversité de leur patrimoine culturel.

En vérité, en vérité! Je ne vous parlerai point ici, dans cette épître, de la réconciliation entre les partisans de Laurent Gbagbo et ceux d’Alassane Ouattara, les populations du nord et celles du sud ou de l’ouest, entre la Côte d’Ivoire et ses voisins.

Non, en vérité, en vérité, je ne vous parlerai ici que de la réconciliation avec notre histoire, avec nos identités; cette réconciliation qui pourrait conduire à la réconciliation avec nous-mêmes, celle qui compte vraiment.

Que signifie le nom baoulé (ethnie du centre du pays, près des villes de Bouaké et de Yaoumoussoukro)?

Selon une légende, lorsque la reine Abla Pokou (née au début du XVIIIe siècle), qui conduisait ce groupe d’hommes et de femmes fuyant le royaume Ashanti, sacrifia son fils pour permettre la traversée du fleuve Comoé, elle s’écria «Ba ou li!»; ce qui signifie «l’enfant est mort». Et son peuple décida de s’appeler désormais ainsi. Baoulé serait donc une déformation de Ba ou li.

Mais une autre légende dit que, après le sacrifice, Abla Pokou se serait plutôt écriée, en pleurant: «Ba ou lè, hé, ba ou lè é ya!»; ce qui signifie «faire un enfant, que c’est dur de faire un enfant!» Et son peuple aurait décidé de s’appeler «Baoulè» ou «Waoulè», selon les accents. Laquelle de ces deux versions est correcte?

Que signifie le nom bété? Aucun de mes amis bété n’a pu me répondre. L’un d’eux m’a dit qu’il croit savoir que cela viendrait de better, meilleur, en anglais, et que ce serait le qualificatif attribué à ce peuple par les premiers Européens qui l’auraient rencontré, et qui étaient des Anglais.

Si c’est le cas, comment ce peuple s’appelait-il avant sa rencontre avec les Européens, et pourquoi le même nom désigne-t-il des peuples qui parlent deux langues totalement différentes, à savoir les Bété de Daloa (dans l'ouest) et ceux de Gagnoa (centre-ouest)?

D’où vient le nom Kroumen? On m’a dit qu’il viendrait de «crewmen», «hommes d’équipage», en anglais, parce que ce peuple aimait beaucoup voyager sur les navires qui passaient chez eux, et qu’il compterait d’excellents marins. On m’a confié aussi que Kroumen viendrait de Krou, qui est le nom de tout ce peuple qui vit dans le sud-ouest. Qui a raison?

D’où vient le nom Abidjan? Selon une légende, l’un des premiers Européens à avoir mis les pieds dans la région aurait rencontré un indigène à qui il aurait demandé le nom de la contrée.

Ce dernier, qui coupait des feuilles, aurait compris que le blanc lui demandait ce qu’il faisait: il aurait donc répondu: «Je suis en train de couper des feuilles»; ce qui donne approximativement Abidjan.

Sauf que cette histoire du quiproquo entre le blanc et l’indigène, je l’ai déjà entendue à propos de deux autres capitales africaines. N’est-ce pas un peu étrange que, à chaque fois, le nom d’une localité découle d’un malentendu entre un étranger et un autochtone?

D’où vient le nom Abengourou (est du pays, proche du Ghana)? Selon une version, le nom serait une déformation de M’pêkro qui signifierait: «Je n’aime pas les palabres». Une autre version dit qu’il viendrait de «Abê n’glo», qui signifierait «l’endroit que les Abê n’aiment pas». Les voisins des Agnis d’Abengourou étaient les Abê, et ils n’aimaient pas l’endroit où ils vivaient. Quelle est la vraie version?

D’où vient le nom Didiévi? Selon une version, le nom viendrait de «Idjéhui», qui signifie «cure-dents amer». Mais un jour, j’ai lu dans un journal que Didiévi viendrait de Didierville, du nom d’un Français baptisé Didier, qui aurait été l’un des premiers à s’installer sur le site. Quelle est la vraie version?

Cela fait des années que je cherche le sens de Ouellé (une localité du centre de la Côte d'Ivoire), la petite ville où j’ai grandi, et je n’ai trouvé personne pour me le donner. On m’a expliqué un jour qu’Arrah viendrait de Ngalewa, qui signifierait «je suis resté ici». Comment est-on passé de Ngalawa à Arrah?

Pourquoi suis-je en train de poser toutes ces questions, me demanderez-vous? Parce que j’estime qu’il est bon que nous connaissions notre histoire, je ne dirais pas la vraie, parce qu’elle est construite souvent à partir de mythes.

Mais ce qui importe ici, est qu’il y ait une seule histoire, pas deux. Nous devons savoir le vrai sens des noms des villes et autres localités où nous vivons. Nous avons besoin de repères.

Comme le disait Bob Marley ou je ne sais qui, il est bon de savoir d’où l’on vient, si l’on veut savoir où aller. L’Ivoirien que je suis doit savoir d’où viennent les noms Bété, Baoulé, Abengourou, Abidjan, parce qu’il s’agit de l’histoire de mon pays, de mon peuple. Nos enfants ont besoin de s’enraciner dans une histoire.

Il appartient aux historiens de nous donner une version unique de notre histoire, de l’histoire des différents peuples qui vivent dans ce pays, que nous devons enseigner à tous nos enfants, en leur faisant comprendre que cette histoire, l’histoire des Ivoiriens du sud, du nord, de l’ouest, de l’est, du centre, est celle de tous les Ivoiriens.

Oui, que les historiens ivoiriens me donnent l’histoire des peuples du nord, du sud, du centre, de l’est, de l’ouest de mon pays, afin que je l’enseigne à mes enfants de dix, douze et treize ans; que je leur apprenne que toutes ces histoires différentes forment l’histoire de leur pays; que l’histoire des Bété, des Yacouba, des Baoulé, des Sénoufo, des Malinké, des Lobi, des Attié, des Agni, des Kroumen, des Gouro, de tous les peuples de ce pays, est aussi leur histoire, parce qu’ils sont Ivoiriens.

En vérité, en vérité, c’est lorsque nous nous serons réconciliés avec notre histoire collective, lorsque nous nous la serons réappropriée, lorsque nos enfants auront compris qu’ils forment un même peuple, avec la même histoire partagée par tous, alors nous nous serons réconciliés avec nous–mêmes et aurons arrêté, du coup, la transmission du virus de la division, de la haine tribale. Et c’est cette réconciliation-là qui compte.

Venance Konan (Fraternité Matin)

 

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Venance Konan. Ecrivain et journaliste ivoirien. Il a notamment publié le roman Les Prisonniers de la haine.

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