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Claude François et ses claudettes sur le plateau de télévision de l'ORTF en 1969.
Claude François et ses claudettes sur le plateau de télévision de l'ORTF en 1969.

Ketty Sina, la muse camerounaise de Claude François

Elle a connu les années de gloire aux côtés de son mentor Claude François, avant de créer la première agence de mannequins noirs. Entre l'Afrique et l'Occident, le cœur de Ketty a toujours balancé.

Si vous n’êtes pas fan de Claude François, il y a peu de chances que vous ayez déjà poussé les portes du Kamukera. Ce n’est pas une association pour les férus de Cloclo, encore moins un de ces lieux mythiques où les nostalgiques des années soixante-dix aiment à se retrouver.

Niché à deux pas de la bibliothèque François Mitterrand, près de la Seine, dans le XIIIe arrondissement de Paris, le Kamukera est un restaurant hors-normes, à la croisée de deux cultures.

La nourriture est africaine et Claude François hante les lieux. Tout ici renvoie aux souvenirs du chanteur à succès des années paillettes. Ce petit coin d’Afrique redonne des couleurs à cette rue du Chevaleret, quand il fait gris à Paris et que le temps confine au spleen.

La devanture bariolée du Kamukera rappelle celle des maquis africains. De prime abord, on est saisi par une étrange sensation de bien-être. Devant un énorme poster de Claude François, qui régente les lieux, on se réchauffe au son d’un zouk sensuel, où les titres de Jacky Rapon succèdent au tonitruant Francky Vincent.

Claude François is not dead

L’endroit est un sanctuaire dédié au culte de l’icône française des années 70, disparu brutalement il y a 35 ans. Une étrange sensation vous saisit. Et s’il n’était pas vraiment mort? On est brusquement téléporté dans son univers. Tout parle, tout bouge et respire au rythme des années disco. On a comme l’impression d’avoir dansé sur les tubes de Cette année-là, Alexandrie Alexandra, et même voyagé au son de Je vais à Rio.

Comme si CloClo allait surgir d’un instant à l’autre de derrière une porte dérobée, avec une tenue incandescente qui fait crépiter les flashes des photographes et hurler les groupies en délire. Ou alors, baigne-t-on dans une ambiance africaine? Un culte des ancêtres à la mode seventies?

«Les morts ne sont pas morts», comme le disait le poète sénégalais Birago Diop.

Claude François est dans le murmure de cet endroit.

Des tickets collectors des concerts de l’artiste sont accrochés aux murs comme des trophées. Des portraits et photos du chanteur en compagnie de ses Claudettes ornent les murs. Et comme pour dire à ses hôtes d’un soir qu’il reste le roi incontesté du disco, un buste grandeur nature est posé au centre de la pièce.

Au fond du bar, se tient une femme à l’allure altière. Elle s’avance tout sourire. Elle: c’est Ketty Sina, la maîtresse des lieux et ancienne Claudette.

L'ancienne claudette Ketty dans son restaurant le 16 férvier 2012. FRANCOIS GUILLOT/AFP

Pendant les années paillettes, elle a partagé, durant deux ans, les plus grandes scènes, aux côtés de la star française. Elle est devenue la gardienne du temple. Lors des anniversaires de la mort de l’icône, elle intervient sur les plateaux télé ou radio, afin de redonner «vie au culte».

Françoise avant Ketty

Ketty ne s’embarrasse pas de préambule. Elle ne tarde pas à proposer un de ses rhums arrangés au gingembre qui vous laissent les papilles en ébullition. Les cocktails happy hours succèdent au traditionnel poulet colombo, au yassa poulet ou encore à son maffé ou ndolé royal.

50 ans passés et pas une ride. Un corps élancé, des jambes galbées et une poitrine généreuse, Ketty est restée la petite fille des années disco. L’air enjoué, l’ancienne Claudette n’hésite pas à esquisser quelques pas de danse pour amuser la galerie.

Claude François, Ketty en parle avec chaleur. Comme d’un bon vieux copain que l’on n’a pas vu depuis longtemps. Elle ne peut s’empêcher d’évoquer ses deux années de vie auprès du chanteur, durant lesquelles elle a surfé sur son succès.

«Claude a toujours été très correct avec nous, ses danseuses. Il était exigeant du fait de son perfectionnisme. Mais il nous traitait toujours avec un grand respect. Il nous invitait souvent chez lui. Il nous payait très bien. Bon d’accord, il était un peu paternaliste dans son fonctionnement, mais sympa… », explique Ketty.

Elle ajoute:  

«En plus, il n’a jamais abusé de la situation. Il n’a jamais cherché à séduire ses danseuses».

Ketty sourit comme si elle était téléportée dans le temps, ces années fastes qu’elle ne se résout pas à laisser mourir:  

«D’ailleurs, il y avait tellement de filles à lui courir après qu’il n’avait pas besoin de s’occuper de ses danseuses. Et moi, j’avais un copain suédois beaucoup plus beau que Claude. Il était blond, mon Suédois. A l’époque, j’avais un faible pour les blonds… Le goût des contraires sans doute…».

Ketty s’est toujours penchée avec intérêt sur les questions raciales. Elle qui a des enfants métis. A la demande de la chaîne Canal +, elle et sa famille se sont fait passer pour des blancs à l’aide de maquillages sophistiqués. Une expérience qui lui a livré des enseignements.

«Dans bien des quartiers, plus que la couleur de peau, c’est la taille du portefeuille qui compte. Il suffit de faire les boutiques de luxe pour s’en rendre compte», ironise-t-elle.

Le racisme? Elle considère qu’elle en a été rarement victime.

«Les belles femmes y sont moins exposées, évidemment», reconnaît-elle sans fausse modestie, consciente de ses atouts charmes.

L’émotion est nègre…

Fille de modestes épiciers, Françoise est née au Gabon, dans une famille originaire du Cameroun. Elle est arrivée en France à l’âge de 15 ans, à la suite d’un mariage arrangé avec un homme de 7 ans son aîné. Les premiers contacts sont rugueux. Son époux se montre violent.  

«Je pense qu’on n’avait rien en commun. Cet homme vivait déjà avec sa copine, quand j’ai débarqué dans sa vie, sans qu’on ne lui ai rien demandé. Aujourd’hui, je ne lui en veux plus. Il était aussi une victime», raconte-t-elle.

Après deux années de cris, de coups et de pleurs, Ketty le quitte et s’aventure dans le mannequinat. Elle découvre Paris by night. Plus que tout, Ketty aime danser. Elle a le «rythme dans la peau». «Un peu comme tous les Africains», lance-t-elle en plaisantant.

Ketty sait se jouer des clichés: elle qui a accepté de jouer le rôle de Joséphine Baker: nue sur scène avec une ceinture de bananes autour de la taille comme «au temps des colonies».

Elle ajoute avec le sourire :

«Les gens pensent que les filles noires sont forcément plus sensuelles, plus sexy. Ce sont des clichés, bien sûr. Mais j’ai accepté d’en jouer. Pourquoi pas, après tout ? Quand j’ai commencé à faire du mannequinat, nous étions très peu de filles noires. Du coup, j’étais deux fois mieux payée que les blanches», explique Ketty, qui a poursuivi son expérience dans la mode.  

«Par la suite, j’ai créé la première agence de mannequins noirs en France, en 1992. Mais franchement, être mannequin c’est beaucoup plus facile que de supporter les états d’âme des mannequins. Gérer les autres, c’est pas facile».

Pendant ces années-là, celles qui suivent sa séparation d'avec son premier mari, elle fréquente assidûment les dancefloors de l’Elysée Matignon: Ketty remarque le regard insistant d’un beau blond assis au bar. C’était Claude François. Tout de suite, l’artiste flashe.

Le lendemain matin, elle est convoquée au bureau de Cloclo qui l’engage séance tenante. C’est en 1976. Françoise devient Ketty, la Claudette. Ketty passe deux années de totale insouciance, entre les palaces, voyages et succès. Mais en 1978, tout bascule. L’artiste décède tragiquement. Selon la version officielle, il est mort en essayant de changer une ampoule grillée alors qu’il était dans sa baignoire.

Paris, dès lors, lui devient insupportable. Et Ketty cherche une échappatoire. Elle embarque pour l’Italie: le début d’une descente aux enfers.

Dans la peau de Joséphine Baker

En quête d’une vie meilleure, loin des flashes et du matraquage médiatique de la presse autour de la mort de l’icône, Ketty tente de se refaire: elle devient gogo danseuse. Après avoir connu la dolce vita et les plus belles scènes avec Claude François, la jeune danseuse se retrouve brusquement à faire des prestations dans des petits clubs de danse.

Elle tente, néanmoins, de rebondir et rentre à Paris pour devenir danseuse au Paradis Latin. Elle devient, ensuite, meneuse de revue durant douze ans au cabaret de l’Alcazar, où elle incarne Joséphine Baker. Et interprète parfaitement son rôle, jouant seins nus et avec la ceinture de banane.  

«On me payait le double du salaire des autres danseuses parce que j’étais noire et que cela ne courait pas les rues à cette époque», relate-t-elle, un peu perdue dans ses souvenirs.

«Je vivais la nuit et de temps à autres, durant la journée, je faisais des défilés de mode», ajoute-t-elle.

Ketty a des projets plein la tête. Et en 1992, elle décide de s'investir dans la mode, en lançant la première agence de mannequinat, Ketty Fashion Moving. Mais le projet se révèle ruineux.  

«J’étais trop jeune. Je devais m’occuper de tout. Je me suis retrouvée avec des filles sublimes qui étaient en concurrence directe avec moi. Une chose que je n’avais jamais connu», se souvient-elle.

Le «Lundi au soleil» de Ketty

Très vite, les mauvaises passes s’enchaînent pour Ketty. Elle divorce, se retrouve seule avec ses trois enfants. Et la Claudette oublie le Lundi au soleil, l’un des tubes entêtant de Claude François : elle sombre dans la dépression.

«J’avais investi tout mon argent dans cette affaire de mannequinat et j’ai tout perdu. Je croulais sous le poids des dettes.  Et je prenais constamment des médicaments et je ne faisais que dormir. J’ai passé quatre ans ainsi», confie Ketty.

Un coup de cœur la mène dans le XIIIe arrondissement, elle mène une vie de recluse et passe un peu pour la «paumée du quartier». Mais sa passion de la danse ne la quitte pas. Elle anime de petits spectacles de la mairie. C’est en 1997 qu’elle acquiert le Kamukera.  

«Au début, c’était un endroit tout sale et tout moche. Et avec un ami guadeloupéen, on l’a rénové et on a lancé le restaurant».

Et depuis 15 ans, le Kamukera est devenu un lieu de rendez-vous pour ceux qui veulent retrouver un coin de Tropiques dans la froidure parisienne. Tous les week-ends, le disco y prend quartier.

L’ancienne danseuse n’hésite pas à troquer sa tenue de ville pour des strass et paillettes. Quand elle ne repasse pas les plats, Ketty achève l’écriture de sa biographie qui devrait être publiée en 2012, avant de se remettre à danser avec ses filles sur des chorégraphies de Cloclo.

Avec un peu de chance, vous rencontrerez peut-être le sosie de Claude François, au détour d’une virée nocturne. Un sosie où une réincarnation? Nul ne le sait. Si un petit blond virevoltant à la voix nasillarde, vous chante au creux de l’oreille «Alexandrie, Alexandrie, tu as plus d’appétit qu’un barracuda», ne le repoussez pas trop brutalement.

On ne sait jamais. Un miracle made in seventies reste possible. Une réincarnation? Qui sait? Au Kamukera, plus qu’ailleurs, les morts ne sont pas morts.

Pierre Cherruau et Lala Ndiaye

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