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Cours de français dans une école à Bamako au  Mali le 15 juin 2005. Reuters
Cours de français dans une école à Bamako au Mali le 15 juin 2005. Reuters

Pourquoi il faut enterrer la Francophonie

Pour le journaliste et écrivain Mohammed Kacimi, la francophonie n'est que le résidu archaïque d'une période coloniale révolue.

Chaque fois que j'entends le mot Francophonie, il me revient à l'esprit cette scène vécue dans les années 80, au festival de Limoges, un conseiller de l'ex-président français François Mitterrand, à la tribune, dévisage un parterre d'auteurs africains, puis, très gaullien, lève les mains au ciel et leur lance:

«Africains, Africaines, la France compte aujourd'hui sur vous pour ensauvager sa langue.»

Dans sa maladresse ou sa naïveté, le conseiller de Mitterrand avait dessiné, à son insu, la véritable géographie de la Francophonie:  

«Une réserve naturelle, peuplée de bougnoules et de nègres dont on attend qu'ils épicent, pimentent, et mieux, saillissent la langue de Vaugelas.»

Un palliatif à la perte de l'empire colonial

Tout le monde a signalé l'incongruité de ce concept, ni l'Espagne ni l'Angleterre ni les Etats-Unis n'ont inventé à leur territoire, leur langue ou leur littérature cette banlieue imaginaire.

En effet, à y regarder de près, la Francophonie compense symboliquement l'empire colonial perdu et c'est pourquoi ses frontières épousent fidèlement les possessions et territoires d'Outre-Mer, qui allaient de St-Pierre et Miquelon au Vanuatu.

Elle a juste transformé les indigènes d'hier en francophones d'aujourd'hui. A mesure que l'audience de la France se réduit à l'échelle internationale, les territoires imaginaires de la francophonie s'élargissent, allant jusqu'à inclure, et c'est risible, désormais le Qatar.

Les islamistes rêvent d'Oumma (communauté des croyants, Ndlr), la Francophonie est un songe d'une oumma linguistique virtuelle rassemblant des millions de gens qu’unirait le partage avec dévotion d'une même langue.

Mais ce mythe a fait son temps. Si l'on en juge par le peu de crédits, au sens propre et figuré, accordés par l'Etat aux centres culturels français à l'étranger mis au régime sec, pain et eau en attendant qu'ils mettent tous la clé sous la porte.

La mission civilisatrice, une supercherie

On attribue souvent cette influence ou cette empreinte culturelle à l'ère coloniale. Dans sa mission civilisatrice, la France aurait fait don non seulement de ces principes universels mais également de sa langue, laissée comme offrande aux peuples qu'elle a occupés.

Cette version est une supercherie. Pour ne prendre que l'exemple de l'Algérie, il convient de rappeler que, durant 130 ans de colonisation, l'administration coloniale s'est toujours opposée à la scolarisation des «petits arabes».

Un chiffre: en 1962, au moment où la France quitte l'Algérie, elle laisse 20 % d'enfants scolarisés, l'Université d'Alger accueillait  à la même date 800 étudiants, sur une population de 12 millions d'habitants.

Toute la période coloniale n'aura produit en tout et pour tout que 1.000 étudiants algériens.
La scolarisation massive en français sera l'œuvre de l'Algérie indépendante, en dix  années elle va former les élites qui sont aux commandes du pays.

L'aventure de la langue française en Algérie commence en fait le jour où la France donne son indépendance à ce pays.

Aussi des auteurs algériens comme Kateb Yacine ou Mustapha Lacheraf n'ont cessé de rappeler dans leurs écrits  que la langue française n'a jamais été imposée aux algériens mais qu'elle a été arrachée de force à la puissance coloniale.

Mince frontière entre auteurs francophones et auteurs français

La phase coloniale va susciter l'éclosion d'auteurs francophones. Originaires d'Afrique, du Maghreb ou d'Orient, ils sont généralement accueillis, pour ne pas dire parqués, dans des collections ethniques conçues spécialement pour eux par les Editeurs français.

Cela va de la collection «continent noir» chez Gallimard aux éditions de l'Harmattan, qui pratiquent au grand jour la traite littéraire des basanés.

Mais, où se situe la frontière entre auteurs francophones et auteurs français? Nul ne le sait, c'est une frontière floue et fluctuante selon les libraires, mais la réponse en vérité est simple: un auteur francophone devient un auteur français à partir de 10.000 exemplaires ou d'un prix.

Abdelatif Laabi est francophone. Mais, Tahar Ben Jelloun est Français.
Alain Mabanckou est Francais, mais Caya Makélé est Congolais. Cherchant un jour le dernier ouvrage d'Assia Djebar parmi la table des auteurs maghrébins, je me suis fait sèchement remettre à ma place par le libraire:

«Monsieur, depuis son élection à l'Académie française, Assia Djebar est avec les écrivains français.»

A enterrer dans le caveau de l'histoire coloniale

La Francophonie fonctionne un peu comme le second collège de l'Assemblée algérienne où siégeaient les notables élus par l'administration française, juste pour commenter, jamais pour amender, les lois votées par le premier collège composés de notables blancs démocratiquement élus.

A l'heure où le monde s'ouvre, la Francophonie résonne comme un archaïsme ou une ringardise.

Tout comme nous appelons de tous nos vœux la fin de la Francafrique il est temps d'appeler à l'enterrement de la Francophonie, s'avouer que cette idée ancienne a fait son temps tout comme le tourne disque, le twist, la 404, ou Mireille Mathieu.

Il faudra l'inhumer dans cet immense caveau de l'histoire coloniale qui regroupe Lavigerie ou Massu, Lyautey ou Focart .

Le jour où elle sera enfin libérée du terreau des anciennes colonies, la langue française pourra enfin plonger ses racines aux quatre coins du monde, pousser dans des terres nouvelles. Fleurir enfin au Saskatchewan ou en Ingouchie.

Mohamed Kacimi

 

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Mohamed Kacimi

Mohamed Kacimi. Ecrivain algérien.

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