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Le général Henri Poncet, Abidjan, 2004. © PASCAL GUYOT / AFP
Le général Henri Poncet, Abidjan, 2004. © PASCAL GUYOT / AFP

Le général Poncet, l'adepte de «la guerre autrement» en Côte d'Ivoire

Cité comme témoin dans l’affaire Firmin Mahé, le général Henri Poncet, ancien patron de la force française Licorne, lors du bombardement de la ville ivoirienne de Bouaké, est considéré par certains de ses ex-collègues militaires comme un spécialiste des coups tordus.

Mise à jour du 5 décembre: Hier, l'ex-ministre de la Défense Michèle Alliot-Marie a témoigné pendant 45 minutes devant la Cour d'Assises de Paris dans le procès des quatre militaires français inculpés du meurtre de l'Ivoirien Firmin Mahé en mai 2005. A la barre en tant que témoin, le général Poncet a confirmé sa version des faits niant avoir donné d'ordre explicite. "J'affirme que le général Poncet m'a donné l'ordre" a déclaré le colonel Burgaud, inculpé, qui s'est adressé à son ancien supérieur en disant: "Je croyais avoir à faire à un chef, je vois que ce n'est pas le cas". "Moi j'assume la totale responsabilité de mes actes" a-t-il ajouté.

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La cour d’assises de Paris entend ce mardi 4 décembre Henri Poncet, 63 ans, général de l’armée française en retraite, cité comme témoin dans l’affaire Firmin Mahé, du nom de ce «coupeur de routes» ivoirien étouffé dans un sac poubelle par des militaires français.

Ces derniers comparaissent, depuis le 27 novembre 2012, pour homicide volontaire et complicité.

Au banc des accusés, l’adjudant-chef Guy Raugel, 48 ans, qui reconnaît avoir exécuté «l’ordre implicite» d’en finir avec Firmin Mahé, 29 ans, le colonel Eric Burgaud, 50 ans, qui dirigeait les opérations sur place, le brigadier chef Lianrifou Ben Youssouf, 32 ans, qui conduisait le véhicule, et le brigadier-chef Johannes Schnier, 35 ans.

Tous ont quitté l’armée. Leur supérieur hiérarchique, le général Poncet, 63 ans, mis en examen le 13 décembre 2005, pour complicité d’homicide volontaire, a bénéficié d’un non-lieu, requis par le procureur du Tribunal aux armées de Paris (TAP), le 17 mai 2010.

L’affaire, révélée par Michèle Alliot Marie, ministre française de la Défense à l’époque des faits, était restée secrète pendant cinq mois.

Le 13 mai 2005, à Bangolo dans l’ouest de la Côte d’Ivoire, Firmin Mahé, auteur selon l’armée française de nombreuses exactions, avait été intercepté par une patrouille. Après avoir fui dans les marais, sous des tirs, il avait finalement été arrêté avec une balle dans la jambe.  

«Vous le remontez à Man (la plus grande ville de la région avec un hôpital). Vous roulez doucement. Vous me comprenez», aurait dit au téléphone le général Poncet au colonel Burgaud qui lui rendait compte.

Un «ordre implicite» retransmis à l’adjudant-chef Raugel, qui dirigeait les opérations sur le terrain, et traduit radicalement, par étouffement dans un sac poubelle.

Un militaire qui n'a peur de rien

Poncet a nié, devant le juge d’instruction, avoir tenu ces propos. Face à la cour d’assises, Burgaud maintient ses accusations: «Il a été assez habile pour ne pas être devant vous. L’indignité, maintenant, est dans son camp», lance t-il au jurés avant de tenter de se justifier.

«Quand vous voyez des gens qui n’ont rien fait se faire massacrer, des enfants découpés entièrement à la machette, une femme enceinte tuée à coup de chevrotine dans le ventre (…), j’étais choqué. C’était inacceptable (…) Supprimer Mahé était la moins pire des solutions. C’est facile d’avoir le choix entre le bien et le mal. Le soldat choisit souvent entre le mal et le pire. Le pire était de ne rien faire. A 100 mètres d’un poste de l’ONU, une nuit, des gens d’un village ont été mis dans une case à laquelle on a mis le feu. Chez moi, ça s’appelle Oradour (massacre de la population de cette commune du centre-ouest de la France par l'armée allemande, en 1944)

Bref, il fallait en «buter un pour faire un exemple», explique Burgaud. «Il fallait que ça cesse», renchérit Raugel.

Le général Poncet a été tenu informé des opérations de recherche de Mahé, dès leur départ. Il a envoyé un hélicoptère, muni d’une caméra thermique, pour le retrouver.

Présent dans le tribunal, depuis le début du procès, il a entendu les mises en causes de ses subordonnés. Sont-elles susceptibles de l’ébranler?

«C’est peu probable, explique un colonel qui l’a côtoyé. Certes, c’est, aujourd’hui, un homme seul qui a été lâché par beaucoup de ses collègues, mais il s’en fout. Dans son monde, il y a deux camps: ceux qui sont avec lui… et tous les autres. Il a toujours fonctionné ainsi. C’est un homme qui a toujours adoré monté des coups. Son plus beau coup, la création des Forces spéciales, qu’il a dirigées de 2001 à 2004, juste avant d’être envoyé à Abidjan. Là, il a réussi à piquer aux trois armes (terre, air mer) leurs meilleurs éléments.»

Henri Poncet, qui fait preuve d’une défiance, jamais prise en défaut, envers la presse, a accepté une seule fois de s’exprimer publiquement sur ces forces spéciales, son bébé, qu’il a aussi défendues récemment dans une tribune libre du quotidien Le Monde.

Ce corps de commandos et de troupes d’élite, qui compte aujourd’hui 3.600 hommes et de rares femmes, fait «la guerre autrement», a-t-il expliqué. Ses actions s’inscrivent «dans des créneaux» et ses membres «doivent être capables de brûler ce qu’elles ont adoré quelques mois auparavant».

Ils agissent donc sans état d’âme ce qui nécessite, détaille Poncet, «la désinformation, la manipulation, tout en restant dans des limites acceptables». Ce sont, résume-t-il, «des emmerdeurs, des iconoclastes et des trublions».

Leurs principaux faits d’armes, l’arrestation de criminels de guerre en Bosnie, leur intervention à partir de 2003, en Afghanistan, près de la frontière pakistanaise sous commandement américain… Ce sont les plus glorieuses. Le reste fait partie, selon Poncet, d’un «jardin secret». On n’en apprendra pas plus.

Brouilleur de pistes

En Côte d’Ivoire, le général Poncet bénéficiait, dès son arrivée en mai 2004, de l’appui d’une quarantaine d’hommes des Forces spéciales. Ce sont eux qui ont gardé au frais, pendant quatre jours, les mercenaires biélorusses auteurs du bombardement de Bouaké (neuf morts dans les rangs français), avant de les expulser, sans autre forme de procès, vers le Togo voisin. 

Etaient-elles aussi à la manœuvre sur l’aéroport de Yamoussoukro où les deux Soukhoï venant d’atterrir, après leur mission meurtrière ont été détruits à coups de hache, avec leurs boîtes noires, par des soldats français en colère?

Dans l’un de ses interrogatoires devant la juge du TAP, Poncet a regretté que les mercenaires aient été libérés, qu’ils n’aient pas été interrogés. Il a aussi affirmé avoir obéi à un ordre supérieur. Faut-il le croire?

Dans de nombreux épisodes de cette crise ivoirienne de novembre 2004, les initiatives de Poncet ont été couvertes a posteriori par le pouvoir politique. Ainsi, l’ordre de destruction des aéronefs ivoiriens n’est pas venu de Jacques Chirac, comme on l’a longtemps affirmé, mais d’un militaire sur place, que l’instruction n’a pas identifié.

Michèle Alliot-Marie, ministre de la Défense à l’époque des faits, a endossé sans sourciller les faits d’armes de son général avant de piquer une colère. «Ça a quand même été très long» pour savoir exactement ce qui se passait sur place, se serait insurgée, un jour, la ministre, qui fait aujourd’hui l’objet d’une plainte déposée devant la Cour de justice de la République par des familles de soldats, victimes du bombardement de Bouaké.

D’où cette question: faut-il prendre à la lettre les déclarations de Poncet ou considérer qu’elles peuvent aussi ressortir de la «manipulation et de la désinformation» si chères aux Forces spéciales?

A question simple, réponse compliquée. Tout au long de son séjour en Côte d’Ivoire, le général Poncet s’est appliqué à mettre en œuvre ce précepte en vigueur dans les administrations locales, brouillant les pistes au point que les experts les plus avertis y perdent leur latin.

Ce qui amène à cette nouvelle interrogation: Poncet est-il vraiment le deux ex machina décrit par ses adversaires? Ou le valeureux saint-cyrien, décoré en juillet 2005 par Jacques Chirac, dont les initiatives ont permis d’exfiltrer sans trop de dégâts, huit mille français menacés par les «Patriotes» pro-Gbagbo en novembre 2004 ?

Natif d’Oran (Algérie), Henri Poncet est issu d’une famille de catholiques pratiquants. Il fréquente toujours l’église même si une rumeur, qu’il n’a jamais démentie, le dit franc-maçon.

Il a fait ses armes dans l’infanterie de marine, spécialité parachutiste. Ce sont ces troupes d’élite, les fameux «bérets rouges» qui ont baroudé sur tous les théâtres de guerre africains. Ils se sont longtemps considérés comme les héritiers des troupes coloniales si chères à feu le général Bigeard.

Poncet a fait une grande partie de sa carrière en Afrique, au Tchad, à Djibouti. En 1994, il a commandé l’opération Amaryllis, chargé de l’évacuation des citoyens français du Rwanda aux tout premiers jours du génocide.

Ce qui lui a valu d’être accueilli avec l’étiquette de «génocidaire» par la presse pro-Gbagbo à son arrivée à Abidjan, en mai 2004. Il s’en est plaint directement à Gbagbo, s’attirant  cette réponse cinglante:  

«Faites comme moi, ne lisez pas les journaux!»

Depuis 1996 et la fin de la conscription, l’armée a changé et l’Afrique n’est plus la chasse gardée des «bérets rouges».

Les troupes, qui se relayent tous les quatre mois, sont désormais composées de régiments de tous les horizons, dont les chasseurs alpins du colonel Burgaud, déployés dans l’ouest ivoirien, en mai 2005.

Diplomate d'un autre genre

Poncet n’a que mépris pour ces hommes au béret noir, large comme une tarte douze parts, qui, sortis de leurs montagnes françaises, viennent évoluer dans les plaines africaines. Entre lui et le général de Malaussène, son adjoint, issu comme Burgaud, des chasseurs alpins, la défiance est perpétuelle.

Ses relations avec l’ambassadeur de France, Gildas Le Lidec, présent à Abidjan, en novembre 2004, sont encore plus délétères. Le 6 novembre, Poncet ne prend même pas la peine de l’informer de la destruction des aéronefs ivoiriens, ce qui met en grand danger la communauté française. D’où cette réflexion, quelques jours plus tard, d’un diplomate invité à prendre place aux côtés du porte parole du patron de Licorne:

«Je ne m’assied pas près de ce con là.» Ambiance!

Une chose est sûre, attestée par de nombreux témoignages, Poncet s’est comporté durant son séjour en Côte d’Ivoire comme s’il n’avait de comptes à rendre à personne. Comme s’il était toujours patron des forces spéciales sous l’autorité de la cellule élyséenne. Il n’est même pas sûr que le général Bentégeat, chef d’état major de Jacques Chirac à l’époque, ait pu contrôler toutes les actions de ce proconsul ivoirien.

Alexandre François

 

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Alexandre François. Spécialite de l'Afrique.

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