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Une femme du Pays Dogon dans le village de Benimato dans l'ouest du Mali. REUTERS/Florin Lorganda
Une femme du Pays Dogon dans le village de Benimato dans l'ouest du Mali. REUTERS/Florin Lorganda

Au Pays Dogon, le temps de la survie

Le Pays Dogon subit une triple crise économique, alimentaire et sécuritaire. Le syncrétisme religieux qui y est pratiqué est dans le collimateur des djihadistes. Reportage.

«Salut les chômeurs!» Soumaïla Guindo taquine les guides du village d’Endé qu’il croise dans les ruelles sableuses où s’enfonce sa béquille.

Dressée derrière son bonnet traditionnel à pompons qui ferait fureur sur les pistes de ski européennes, la monumentale falaise du Pays Dogon cache le soleil de fin d’après-midi.

Le maire de la commune rurale de Kani-Bonzon s’amuse d’un drame: l’absence de touristes. Au Mali, le malheur passe mieux avec le sourire. Ce dernier s’est abattu sur le pays en février 2012, lorsque les indépendantistes touaregs du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) ont ouvert le feu au nom d’un Nord-Mali indépendant à la légitimité démocratique et historique contestée par ceux-là même qu’ils disent représenter.

C’est ensuite une porte qu’ils ont ouverte. A des djihadistes aussi violents que crapuleux. Le MNLA n’a d’abord pas voulu, puis pas pu la refermer. Depuis le nord du Mali est la nouvelle terre promise des djihadistes d’Afrique de l’Ouest et d’ailleurs. Interdit de fumer, de s’habiller dans la tradition locale. Mais autorisation de kidnapper, de couper des membres, d’enrôler des préadolescents et d’abuser des femmes.

Absence des touristes

Si le Pays Dogon ne subit pas la loi des groupes armés, comme à Gao et Tombouctou, l’économie y est dévastée. Alors que les bateaux continuent de partir de Mopti à destination du nord avec plusieurs tonnes de céréales ou d’arachide à leur bord, les touristes, eux, ne sont pas prêts de revenir sur la falaise. Disparus, comme les Tellem qui la peuplaient il y a plusieurs centaines d’années, avant l’arrivée des Dogons.

«Nous sommes en train de chercher des solutions à la crise, notamment le développement du maraîchage», explique Soumaïla Guindo, assis devant sa maison en banco, contre laquelle sont posées trois bottes de pailles de mil doré.

Sa commune regroupe 17 villages et plus de 14.000 habitants. Ils dépendent «à plus de 80% des revenus du tourisme». Cette semaine, un couple de Tchèques dont le rêve était peut-être d’avoir le Pays Dogon pour lui seul a bien visité les environs.

Avec un guide sans doute plus préoccupé par ses fins de mois que par la sécurité de ses clients. Mais l’enlèvement d’un globe-trotter français, le 20 novembre, dans la région de Kayes, va sans doute refroidir les derniers touristes têtes brûlées.

Devant les cours en terre battue d’Endé, on ne prend plus la peine d’exposer l’artisanat local. Les sculptures en bois sont négligemment éparpillées au sol. Des restes de teinture à l’indigo stagnent au fond de canaris. Des pans de campements touristiques se sont écroulés faute d’entretien. Les plus jeunes enfants, qui n’ont pas connu les cohortes de touristes, sont effrayés par les blancs comme dans n’importe quel village perdu du Mali. Eux seuls animent un peu les journées.

Quitter le Pays Dogon?

Les habitants sont aux champs, courbés vers la terre où les soucis se récoltent à la pelle. Seydou Guindo sort ses bogolans (tissus traditionnels) de la case qui lui sert de magasin. Il attend la fin de la récolte pour se décider à partir en Guinée, en Côte d’Ivoire ou à Bamako, comme d’autres villageois l’ont déjà fait:

«Même si je pars, c’est obligatoire que je revienne à la prochaine saison des pluies pour aider la famille à cultiver, car mes parents sont trop vieux. Qui va nourrir la famille, si je pars sans revenir?».

La situation est d’autant plus préoccupante que

«la crise économique s’est superposée à la crise alimentaire, rappelle Soumaïla Guindo. Les parents n’ont pas les moyens d’amener leurs enfants aux centres de santé, et les enfants sont malnutris parce que la campagne agricole passée a été catastrophique

La mortalité infantile aurait augmenté à vue d’œil. Au Pays Dogon aussi le coup d’Etat du 22 mars a tué. Les habituels conflits fonciers entre cultivateurs dogons et éleveurs peuls d’une part, et entre communautés dogons d’autre part, ont dégénéré dans les mois qui ont suivi la fin violente du pouvoir d’Amadou Toumani Touré.

Les appels au secours sont restés sans réponse. Les morts se sont comptés par dizaines. Fin mai, au moins 30 Peuls d’origine burkinabè ont été tués dans des violences avec des agriculteurs dogons à la frontière entre les deux pays, a rapporté l’AFP.

«Une action en justice avait donné raison aux éleveurs, ce que les agriculteurs n'ont pas accepté, et compte tenu de la situation au Mali, les Dogons en ont profité pour régler leur compte aux Peuls», avait affirmé un haut responsable de la région nord du Burkina.

Selon lui, «il y a souvent eu des problèmes entre agriculteurs et éleveurs, mais ils n'avaient jamais eu» une telle ampleur.

«D’habitude la sécurité de proximité intervenait dans ces cas là. Mais après le coup d’Etat, cette force n’existait plus. Ou si elle existait elle n’était plus active», déplore le maire de Kani-Bonzon. Dans sa commune, dit-il, les dégâts ont été évités «via des médiations traditionnelles».

Les menaces des djihadistes

Aux marges de leur falaise, souvent considérée comme une forteresse imprenable, les Dogons peuvent sentir l’haleine des djihadistes contre leurs nuques.

«On reçoit régulièrement des messages de menaces annonçant l’arrivée de groupes armés islamistes», affirme un membre des forces de sécurité stationné à Bankass.

A Douentza, le Mouvement pour l'unicité et le djihad en Afrique de l'Ouest (Mujao) a détruit en octobre le toguna de la ville. Un sommaire toit en bois et en paille, soutenu par des piliers souvent décorés par des sculptures incrustées représentant des symboles animistes. Un lieu d’accueil, de dialogue et de règlement pacifique des conflits dans la société dogon. Un responsable du Mujao à l’origine de sa destruction est mort quelques jours après.

Vengeance mystique, ont bien volontiers laissé entendre certains médias maliens, qui voudraient croire que des maraboutages et des sortilèges peuvent venir à bout d’AK-47.

Ironie du sort, l’histoire des Dogons raconte qu’ils ont quitté le pays mandingue, dans le sud du Mali actuel, pour fuir l'Islam. Quelques siècles plus tard, l’Islam revient à eux par la force. Mais pas seulement.

A Begnemato, village posé au sommet d’une faille creusée dans la falaise au milieu des coulées vertes et des exubérances minérales ocre, chaque religion a son quartier. Un pour les chrétiens, un pour les musulmans, et un pour les animistes. Ce dernier est aujourd’hui le moins peuplé.

«Dans mon enfance c’était le quartier le plus grand», se souvient Marcel Togo, l’un des deux professeurs chargés des six classes que compte la belle école en pierre du village.

Au fil du temps l’Islam s’est fait une place importante au Pays Dogon. Plus «moderne», plus dynamique, plus adapté à la société malienne que l’animisme, la religion ancestrale. Et visiblement plus prosélyte.

«Quand on fait visiter certains villages, des habitants musulmans nous tendent la bouilloire à l’entrée des mosquées pour nous inviter à faire nos ablutions», raconte le guide «Petit Moussa», l’air agacé.

Dans la plaine, les villages comptent souvent deux mosquées. Une en banco, et une en ciment, financée par des ONG des pays du Golfe. Musulmans, chrétiens, animistes, tous les enfants de Begnemato se retrouvent à l’école de la République.

Pour s’y rendre ils montent et descendent au rythme des reliefs de la roche, cahiers sur la tête. Pas très réveillés, ils se plantent en cercle au centre de l’école et chantent tant bien que mal en français l’hymne malien, pendant que le drapeau vert-jaune-rouge s’élève sur son mât vers le ciel, muet et pourtant si sollicité.

Fabien Offner

 

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Fabien Offner

Fabien Offner. Journaliste français, spécialiste de l'Afrique de l'ouest. Il est basé à Bamako.

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