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Des soldats français en Côte d'Ivoire au banc des accusés
Quatre militaires français comparaissent devant la Cour d’assises de Paris pour le meurtre de Firmin Mahé, un coupeur de routes ivoirien. Le procès pourrait être aussi celui de l’engagement français en Côte d’Ivoire.
Mise à jour du 4 décembre: L'ex-ministre de la Défense Michèle Alliot-Marie est attendue aujourd'hui à 18h30 devant la Cour d'Assises de Paris pour témoigner dans le procès des quatre militaires français inculpés du meurtre de l'Ivoirien Firmin Mahé en mai 2005. A la barre, le général Poncet a confirmé sa version des faits niant avoir donné d'ordre explicite. "J'affirme que le général Poncet m'a donné l'ordre" a déclaré le colonel Burgaud, inculpé, qui s'est adressé à son ancien supérieur en disant: "Je croyais avoir à faire à un chef, je vois que ce n'est pas le cas". "Moi j'assume la totale responsabilité de mes actes" a-t-il ajouté.
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Depuis ce mardi 27 novembre, la Cour d’assises de Paris juge quatre militaires français accusés d’avoir achevé, en l’étouffant dans un sac plastique, un «coupeur de routes» ivoirien, Firmin Mahé, 29 ans, le 13 mai 2005 près de Bangolo, dans l’ouest de la Côte d’Ivoire.
Les quatre accusés comparaissent libres et ont maintenant quitté l'armée. Il s'agit du colonel Eric Burgaud, 50 ans, qui était chef de corps à l'époque, aujourd'hui cadre en entreprise, et des trois militaires présents dans le véhicule où Mahé a péri: l'adjudant-chef Guy Raugel, 48 ans, qui a reconnu l’avoir étouffé, le brigadier-chef Johannes Schnier, 35 ans, qui le maintenait, et le brigadier Lianrifou Ben Youssouf, 32 ans.
Le procès devrait durer deux semaines. Le général Poncet, patron de l’opération Licorne à l’époque des faits, et Michèle Alliot-Marie, ministre de la Défense, sont cités comme témoins. Henri Poncet, qui a toujours nié avoir donné «l’ordre implicite» de liquider Mahé, comme l’en accusait le colonel Burgaud, a bénéficié d’un non-lieu.
L’affaire n’avait été révélée qu’en novembre 2005, soit six mois après les faits, par Michèle Alliot-Marie qui avait suspendu Poncet et son adjoint, avant de les muter et leur adresser un blâme. L’annonce publique de l’implication du général par sa ministre de tutelle, était survenue quelques heures après la publication de déclarations dans Le Monde, où Poncet mettait en doute la version officielle dans le bombardement de Bouaké le 6 novembre 2004 (neuf soldats français tués).
Que s’est-il passé à Bangolo le 13 mai 2005?
Les faits sont établis: Firmin Mahé, considéré depuis plusieurs semaines par les militaires français chargés du maintien de l’ordre dans cette région comme un dangereux coupeur de routes, auteur de nombreuses exactions, est repéré au bord d’un chemin par une patrouille.
L’homme s’enfuit dans des marais sous les tirs de sommation. Une balle tirée à ras du sol l’atteint au tibia, mais il réussit à se cacher malgré le déluge de feu. Un hélicoptère muni d’une caméra thermique, est appelé à la rescousse pour le localiser, mais Mahé, qui n’est pas né de la dernière pluie, échappe aux recherches en s’enfonçant dans l’eau du marécage.
Il est finalement retrouvé le soir par une nouvelle patrouille, agonisant au bord de la route. À bord, l’adjudant chef Raugel, le brigadier chef Schnier, et le brigadier Ben Youssouf, qui conduit le véhicule. La suite, Raugel vient de la raconter, en avant-première de son procès, au Dauphiné Libéré:
«On m’a appelé au téléphone. Il m’est dit: vous l’évacuez sur le PC à Man en prenant bien votre temps. Il y avait un ordre implicite derrière tout ça. J’avais besoin d’avoir un ordre clair. Comprenant à demi-mot, je demande: vous me confirmez bien que Mahé ne doit pas arriver vivant? Il me répond: oui, vous m’avez très bien compris. Et ça s’arrête là».
À l’autre bout du fil, le colonel Burgaud, qui, au début de l’instruction, a affirmé avoir reçu du général Poncet, son supérieur hiérarchique, «un ordre pas clair dont l`interprétation était très claire». Poncet, qui a toujours démenti, a bénéficié d'un non-lieu.
«On part doucement, respectant les consignes données», raconte encore Raugel. «C’était la confusion dans ma tête, je ne savais absolument pas quoi faire (…) À un moment donné, je vois derrière le poste du pilote ce sac plastique, un sac poubelle. Et la seule chose qui me vient à l’esprit, c’est: il est inconscient, je l’étouffe, il ne sentira rien, il meurt des suites de ses blessures et je ne veux rien à avoir à faire avec tout ça. C'est une solution qui dégage tout le monde de toute responsabilité, c’est moche, je ne me suis pas engagé pour ça, mais ça permet de régler le problème. On arrive à Man. Mon équipage décharge le prisonnier mort avec l’équipe médicale».
«Je voulais que ça cesse»
Pour l’adjudant Raugel, aucun doute: «Mahé avait commis les pires exactions. C’était le chef de bande le plus redouté. On avait du mal à mesurer l’ampleur de ses exactions car les victimes ne pouvaient pas parler, comme il n’y avait ni police, ni gendarmerie pour les protéger. Il n’y aura aucun doute sur le fait que c’était le pire criminel de l’ouest de la Côte d’Ivoire». Une thèse défendue par Adèle Dito, ancienne maire adjointe de Bangolo, citée comme témoin, qui soutient, elle aussi, que Mahé était un «dangereux bandit». À l’inverse d’Edith, la compagne du coupeur de route, avec qui elle a eu un enfant âgé aujourd’hui de huit ans, qui devrait, elle aussi, participer au procès.
«Des criminels, j’en avais attrapé», poursuit Raugel. «Vous savez ce qui se passait? On les remettait à l’ONU. Soit ils étaient remis en liberté, soit ils étaient remis aux gouvernementaux qui les remettaient en liberté. Il n’y avait pas de solution. Moi, je me suis engagé pour protéger. Cet ordre-là me disait: là, mec, ça va s’arrêter. Je voulais que ça cesse… » Pour ne plus voir «des hommes massacrés, avec les couilles dans la bouche, les doigts coupés, achevés à coups de machette…»
«Est-ce que je le regrette?», s’interroge encore l’adjudant-chef. «Ça fait 7 ans et demi que je le regrette. Je n’ai pas eu besoin de la prison pour ça. Mais il fallait que ça cesse (…) J’ai fait ça pour que ce criminel soit mis hors d’état de nuire. Je me suis sali les mains parce qu’il n’y avait pas de solutions. Et s’il n’y avait pas de solutions, c’est la faute de nos politiques qui nous mettent dans des situations comme ça».
L'impuissance de l'armée française
«Des situations comme ça», et même bien souvent pires, l’armée française en a connu de nombreuses durant son engagement en Côte d’Ivoire depuis le coup d’État manqué du 19 septembre 2002. D’abord comme force d’interposition agissant pour son propre compte et ensuite sous mandat de l’ONU. Avec pour mission des tâches de maintien de l’ordre auxquelles elle était mal préparée. Avec aussi les ordres politiques venus de Paris, dont le seul fil conducteur était de compliquer la tâche du président Laurent Gbagbo.
Quand les bandes armées libériennes de Sam Bockarie, le célèbre coupeur de bras, ont fait irruption dans l’ouest ivoirien en novembre 2002, ils ont dû adopter la thèse officielle, celle d’une rébellion locale venant renforcer celle du nord dirigée par Guillaume Soro.
Devenu trop voyant, Bockarie a été liquidé au printemps suivant mais l’ouest ivoirien était déjà précipité dans un chaos sanglant dont il n’est toujours pas sorti. Gbagbo a commencé à armer «ses» Libériens. Pris sous des feux multiples, les soldats français ont été les seuls à maintenir un semblant d’ordre dans la région, rassurant les populations apeurées, construisant des puits, accouchant des femmes avec leurs médecins militaires, contenant les rebelles. Tandis que les militaires ivoiriens fidèles à Gbagbo passaient généralement leurs nuits en boîte et décampaient souvent à la moindre attaque des insurgés.
Et puis, les Casques bleus sont arrivés par milliers. Ils étaient bangladais à l’époque où Mahé a été tué. Ils ne parlaient pas le français. Au lieu de faciliter la tâche de la Force Licorne, ils l’ont souvent compliquée. À plusieurs reprises, les militaires français ont dû venir à leur secours quand, en fâcheuse posture, ils étaient incapables d’avoir le dessus sur leurs assaillants. Dans l’ouest mais aussi à Abidjan quand des centaines de «patriotes» ont fait pendant plusieurs jours le siège à Sébroko du quartier général de l’ONU.
Placés désormais en force d’intervention de soutien aux Casques bleus, ils ont assisté impuissants à de nombreux massacres. Comme celui de centaines de Guérés, l’ethnie dominante dans cette région, fin mars 2011. Des fidèles de Gbabgo exécutés sous les yeux de soldats marocains de l’ONU qui sont restés les bras croisés. À ce jour, aucun responsable de ce Srebrenica ivoirien n’a été arrêté.
«Les chefs (militaires) devraient avoir les couilles de dire que les politiques n’ont pas le droit de nous mettre dans des situations comme ça», s’insurge l’adjudant Raugel. «J’attends que la justice mette le doigt là où ça fait mal. Moi, ça me fait mal depuis sept ans et demi».
Philippe Duval
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