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Rachida Dati séduit aussi le Maroc
Vu du Maroc, l'ancienne garde des Sceaux est avant tout une femme ambitieuse qui a su obtenir ce qu'elle voulait. Les jeunes Marocains, avides de réussite sociale, admirent ceux qui forcent leur destin
Mise à jour du 5 décembre 2012: La justice a ordonné mardi qu'un test de paternité soit réalisé pour déterminer si le père de la fille de l'ancienne ministre Rachida Dati est, oui ou non, Dominique Desseigne, qui "persiste à contester" les allégations de l'ex-garde des sceaux. Selon des informations d'i-Télé, M. Desseigne, PDG du groupe Lucien Barrière, a refusé de pratiquer le test ordonné.
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Quand l’humoriste Jonathan Lambert a raillé Rachida Dati sur le plateau de Ruquier, les Marocains qui regardent «On n’est pas couché» sur France 2 ont certainement rigolé mais aussi pris sa défense. En témoignent certains de leurs commentaires sur les réseaux sociaux. Ilsont trouvé délirant qu’un magistrat marocain envisage de la poursuivre parce qu’elle enfreignait la loi par ce qu’elle a eu un enfant «en dehors des liens sacrés du mariage».
Un parcours de conte de fées
Ceci illustre bien l’image que se font d’elle les Marocains, fascinés par son parcours de conte de fées jusqu’au pinâcle de la République et recevant en retour les honneurs de son pays d’origine: elle a été décorée en 2010 des insignes de Grand Officier du Wissam alaouite, la Légion d’honneur marocaine.
Par ce geste, Mohammed VI entendait honorer «la trajectoire exemplaire» de Rachida Dati, première femme d'origine maghrébine à accéder aux plus hautes sphères du pouvoir français, qui selon le palais, incarne un «message positif pour les jeunes de l'immigration».
«Je suis faite de trois pays, trois cultures»avait-elle déclaré toute émue, en référence à ses origines nord-africaines.
Des liens qu’elle cultive avec Rabat
L’ex-garde des Sceaux, née d'un père marocain, maçon de profession et d'une mère algérienne au foyer, deuxième d’une fraterie de douze enfants, a toujours été soucieuse de ses relations avec son pays d’origine.
Certains de ses biographes avancent qu’elle aurait noué des liens avec le royaume du temps de Hassan II lors d’un voyage qu’elle fit en compagnie de son ami Henri Proglio, alors patron de Veolia.
Driss Basri, le puissant et très décrié ministre de l’Intérieur de l’époque, qui disait l’avoir un temps chaperonnée, a toujours vu en elle un modèle d’intégration pour les Marocains en France, celui de l’immigration choisie cher à son mentor Sarkozy qu’elle défendait alors bec et ongles. Une assertion qu’elle a toujours nié, arguant qu’il ne s’agit que d'une pure invention de la part de ceux qui ont toujours voulu ternir ses liens avec le royaume.
Des liens qu’elle n’a eu de cesse de cultiver. Eurodéputée, Rachida Dati s’implique avec ardeur aux côtés de Rabat, exerçant un lobbying assidu sur des dossiers à caractère économique à l’exemple de l’accord de pêche avec l’Union européenne ne ménageant aucun effort pour faire du Maroc, «un partenaire incontournable pour l’Europe».
Elle est souvent en première ligne lorsqu’il faut tresser des lauriers à la monarchie qu’elle estime être un modèle dans une région en pleine ébullition.
«Je suis très confiante en l'avenir du Maroc» qui est «devenu une référence, un exemple à suivre pour l'ensemble des pays du monde arabe», avait-elle martelé à plusieurs médias, en bonne avocate du trône, au moment où d’autres potentats arabes étaient balayés par le souffle révolutionnaire.
En juin 2011, elle déclarait que les réformes constitutionnelles lancées par le roi pour désamorcer la menace du Printemps arabe, revêtent un caractère «pionnier et révolutionnaire», saluant même un «discours de vérité».
«Mettre le pied dans la porte de ce pays»
Pour ses détracteurs, Dati est le prototype de la «beurette utile» en France ou au Maroc. Son ascension sociale, méritée ou pas, là n’est pas la question: elle se tait sur les travers des puissants qu’elle défend pour des impératifs de carrière, au point d’être trop souvent le porte-voix de leur propagande.
Au quotidien marocain Libération qui l’a interviewée en 2006, Dati n’hésitera pas à proposer son aide au royaume, regrettant que «le Maroc ne fasse pas appel à nous [...]. J’ai toujours entendu dire au plus haut niveau de l’État qu’on était les bienvenus et qu’on était des Marocains. Tant que ce discours ne sera pas contredit, je continuerai à me battre pour mettre le pied dans la porte de ce pays».
Alors, simple opportuniste, Rachida Dati? Non, pour elle il s’agit plutôt de pragmatisme et de liens de cœur.
«Je me sers de mon carnet d’adresses. J’aide aussi des Marocains résidant en France à régler certains problèmes. J’ai créé le Club XXIe siècle avec des personnes d’origine maghrébine qui aident les gens de très haut niveau à être visibles dans la société française», réplique-t-elle.
«Mon rapport avec le Maroc est constant et permanent […] Je suis toujours allée au Maroc en disant on est votre première vitrine. Peut-être considèrent-ils qu’on n’est pas assez malléables. C’est dommage, ils [les pouvoirs politiques marocains, NDLA] se privent d’une vraie représentation».
Un appel du pied qui montre son attachement viscéral à la terre de ses ancêtres, elle qui est pourtant née en 1965 à Saint-Rémy en Saône-et-Loire et fait ses premières classes dans une école catholique.
En 2007, alors que Nicolas Sarkozy entamait sa première visite de chef d’Etat au Maroc, le juge Patrick Ramaël lançait un mandat d’arrêt international à l’encontre d’un général marocain soupçonné d’être impliqué dans la disparition de Mehdi Ben Barka, le plus célèbre opposant de Hassan II.
Un coup de canif dans les relations entre le Palais et l’Elysée alors troublées. Selon Taïeb Fassi Fihri, ministre des Affaires étrangères de l’époque, la manœuvre du juge avait un triple objectif: destabiliser Sarkozy, envenimer ses relations avec Mohammed VI et… causer du tort à Rachida Dati.
Un caractère ambitieux qui plaît
Au Maroc, si elle peut remplir l’amphi d’une université à Casablanca c’est aussi parce que son caractère ambitieux est dans l’air du temps là-bas. Les jeunes Marocains, avides de réussite sociale, admirent ceux qui forcent leur destin, même s’ils portent en eux les scories du personnage de «Bel Ami» imaginé par Maupassant et avec qui Rachida Dati est souvent identifiée.
Elle n’est d’ailleurs pas assimilée à une icône de la méritocratie ou à un symbole de la diversité française. Son discours sur l’immigration «humaine» dont elle faisait cas lors d’un passage à la télévision marocaine n’a jamais été jugé crédible.
Sur cette thématique, le quinquennat de Sarkozy aura été pour les Marocains de France ou pour les candidats à l’exil européen, synonyme d’exclusion plus qu’autre chose. Mais qu’importe.
Son culot de «Bel ami» fait mouche
C’est plutôt son culot qui fait mouche. Que l’on dise d’elle dans les salons de Rabat qu’elle n’est qu’intrigue, calcul, séduction, voire arrivisme, est aussi quelque part une forme de légitimation dans un pays où l’élévation sociale s’hérite davantage qu’elle ne s’acquiert.
Sa méthode tout-sourire, faite de liens personnels, cassant les codes pour arriver à ses fins, est après tout la marque de fabrique de la «Génération M6», celle d’une monarchie décomplexée sur ses liens d’argent et de pouvoir et d’une bourgeoisie avide de reconnaissance sociale.
En cela, Dati, aux yeux de cette caste, est bel et bien la meilleure des Marocaines.
N’est-elle pas après tout la première Marocaine de souche à avoir occupé des fonctions régaliennes dans un gouvernement français?
Si Rachida Dati a «provoqué sa chance», si chez elle «tout a été calculé, organisé, arraché ou dérobé», comme l’affirment les auteurs de «Belle-Amie», une de ses nombreuses biographies non autorisées, une femme avide de gratitude et de pouvoir, voire une intrigante qui n’aurait qu’une obsession, garnir copieusement son carnet d’adresses d’hommes d’influence, de droite comme de gauche.
Cela révèle plutôt chez les Marocains qui l’apprécient, un caractère bien trempé qui force l’admiration, sinon l’estime.
En novembre 2010, une délégation marocaine de l’UMP tenait son université d’automne à l’hôtel Hyatt Regency de Casablanca. Rien n’était trop beau pour mobiliser les quelque 50.000 Français enregistrés auprès des services consulaires, et quelques poids lourds du premier cercle sarkozyste s’étaient déplacés pour l’occasion, dont Rachida Dati en guest-star du royaume.
Les Français du Maroc n’étaient pas les seuls à se presser pour profiter des jouissances du Sarkoland en terre marocaine. Des figures de la bonne société marocaine étaient là aussi, les uns faisant des compliments appuyés à «la marocaine de l’Elysée» sous les crépitements des flashs de la presse locale, d’autres cherchant à lui glisser une carte de visite.
Au final, une carrière hors norme
Pourtant, la presse marocaine lui rendra mal cette histoire d’amour avec le royaume. Elle reprendra à son compte la rumeur lancée par le site l’Observateur.ma, qui affirmait en septembre 2008 que José María Aznar, l’ancien président du gouvernement espagnol, serait le père de son enfant.
Mais, si l’incident faisait d’elle une victime collatérale des tensions entre Rabat et Madrid, ni le pouvoir, ni les médias marocains ne l’ont jamais villipendée lorqu’elle avait été éloignée du pouvoir, préférant même s’apesantir sur ses acquis à la mairie du VIIème arrondissement de Paris.
«A force de volonté et d’ambition, elle a réussi à réaliser une carrière hors norme et à faire la démonstration de sa compétence. Désormais, plus question de se laisser emprisonner dans l’image de la jeune femme d’origine maghrébine qui tombe au bon moment pour jouer les minorités visibles issue de l'immigration» s’enthousiasmait le site Yawatani à sa nomination au ministère de la justice par un Sarkozy flamboyant.
C’est certainement l’image qui reste d’elle au Maroc, malgré tout.
Jalal Ibrahimi, de Casablanca
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