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Lors de la Dakar Fashion Week, 16 juillet 2010. REUTERS/Finbarr O'Reilly
Lors de la Dakar Fashion Week, 16 juillet 2010. REUTERS/Finbarr O'Reilly

Diaspora: le combat pour la nationalité des Sénégalaises

L'impatience grandit chez les Sénégalaises, notamment de l’extérieur, pour la réalisation d’une promesse du candidat Macky Sall: la possibilité de transmettre leur nationalité à leurs enfants issus de couple mixte.

Avec l'alternance au Sénégal en mars 2012, la promesse de changement dépassait les frontières du pays de la Teranga, notamment pour les femmes.

Mi-octobre à Dakar, une journée de réflexion très attendue par nombre de Sénégalaises à travers le monde est organisée par le ministère de la Justice. Les différents acteurs autour de la table planchent sur une réforme du Code civil sénégalais qui interdit aux Sénégalaises de transmettre automatiquement leur nationalité à leurs enfants.

Dans un pays réputé pour son progressisme et qui a réussi la parité homme-femme à l’Assemblé nationale, c'est une situation assimilable à une anomalie. Le candidat Macky Sall avait promis de la réparer.

Devenu président, il avait annoncé au cours d’une rencontre avec les Sénégalais des Etats-Unis, en marge du 67èmesommet annuel des Nations unies en fin septembre, qu’il fallait «que la femme sénégalaise puisse transmettre sa nationalité à son enfant. Ce ne sera que justice rendue». Néanmoins, la justice tarde à être rendue puisqu’aucune annonce officielle n’est faite allant dans ce sens.

Et pourtant au regard de la tradition, de l'histoire et de l'évolution de la société sénégalaise, la survivance de deux articles du Code de la famille sénégalais est un anachronisme juridico-sociale. Il s’agit de l’article 152 qui confère à l’homme le statut de chef de famille et de l’article 277 alinéa 2 donnant au père, en sa qualité de chef de famille, la puissance paternelle c’est-à-dire qu’il a l’entière responsabilité sur les enfants issus du mariage y compris le droit de lui transmettre la nationalité.

Ces deux points de la législation sénégalaise créent des situations complexes dans certaines familles.

Indignation de la diaspora

«Ayant grandi entre Paris où elle est née et Thiès (70 km de Dakar), ma fille de 15 ans est "juste française" même si elle se reconnaît comme sénégalaise à part entière», s’indigne Seynabou.

Cette mère sénégalaise travaille dans l’import-export en France. Une «anomalie» qu'explique la jeune quadra par le fait que sa fille «est le fruit d’une union avec un étranger».

Nombreuses sont les Sénégalaises de la diaspora qui regrettent la continuité de l’application de telles lois. L’indignation est du même acabit pour les futures «potentielles victimes»«Je suis sensée me marier avec un Sénégalais si je veux donner ma nationalité à mes futurs enfants», réagit avec stupéfaction Ndeye Sokhna, étudiante dans une prépa d’ingénieur à Paris, à propos des deux articles du Code civil sénégalais qu’elle paraît découvrir.

Eparpillées aux quatre coins de la planète, les Sénégalaises de la diaspora sont les premières à en pâtir.

Il est «difficile de quantifier avec exactitude le nombre précis de Sénégalais de l’extérieur. Ils n’ont pas toujours le réflexe de se signaler dans les services consulaires de leur pays de résidence», éclaire, sous le sceau de l’anonymat, un fonctionnaire au Consulat du Sénégal de Paris.

Même s’il y a un flou sur leur nombre, le candidat Macky Sall avait deviné l’importance de la diaspora au point de promettre durant la campagne électorale de 2012 d’en faire une entité géographique virtuelle avec la dénomination de «15e région du Sénégal».

Sexiste et absurde

La promesse est restée pour le moment virtuelle contrairement aux attentes de la diaspora pour la réforme du Code civil sénégalais sur l’acquisition de la nationalité.

«Nous voulons que cette réforme soit une réalité. C’est une loi absurde et sexiste. Nos enfants ne peuvent être Sénégalais qu’entre 18 et 25 ans, sur demande argumentée» proteste Hélène Della Chaupin, une Sénégalaise ayant grandi en Casamance mais vivant en France depuis plus d’une décennie.

Elle se définit comme «féministe et militante». Lors des élections présidentielle puis législatives de 2012, elle était la coordonatrice en France de la campagne de l’Alliance des Forces du Progrès, parti de Moustapha Niasse, actuel président de l’Assemblée nationale. Candidat pour les couleurs de son parti au premier tour, il avait rejoint la coalition Benno Book Yakaar qui a porté Macky Sall à la présidence au second tour.

L’actuel Code de la famille sénégalais est également un handicap pour les hommes d’autres nationalités mariés à des Sénégalaises. Ils ne peuvent accéder à la nationalité sénégalaise que sous deux conditions: «Avoir leur domicile principal au Sénégal et apporter de manière significative un plus à l’économie du pays», précise l’agent consulaire sénégalais en poste à Paris.

Le poids de l’histoire dans l’héritage matrilinéaire

Pour ces deux cas, le candidat Macky Sall avait donné des gages de renier l’héritage patriarcal de la colonisation. Historiquement, l’organisation de la société traditionnelle sénégalaise est matrilinéaire.

Avant la conquête française et la perte de leur autonomie au 19è siècle, le pouvoir se transmettait par la lignée de la mère dans les trois royaumes de l’ethnie Wolof (le Waalo au nord ouest du pays, le Djolof au nord-ouest la région du fleuve et le Kayor situé entre les fleuves Sénégal et Saloum).

A un moment de l’histoire, il fut ainsi chez les Sérère des royaumes du Sine et du Saloum (la petite côte sénégalaise) ou chez l’ethnie Diola (région de Casamance au sud). La coutume voulait qu’un neveu ou une nièce hérite de son oncle maternel à la place du fils ou de la fille.

«Au royaume du Waalo, par exemple, le règne de reines comme Ndatté Yalla, connue pour être une grande résistante à la colonisation au 19è siècle, a marqué l’histoire de part l’importance de la transmissibilité du pouvoir par les femmes, raconte l’historien Momar Mbaye. Dans le royaume du Kayor, pour briguer le trône de Damel (roi, ndlr), il existait une condition essentielle: la mère du futur roi devait appartenir aux sept familles royales».

Le féminisme africain est traditionnel

«Au lendemain des indépendances, poursuit Hélène Della Chaupin, nous avons calqué notre constitution sur celle de la France qui prévalait à l’époque avec une forte empreinte du code civil français de 1804. La loi napoléonienne met l’accent sur la puissance paternelle».

Mieux encore, «l’origine historique est plus profonde, corrige et complète l’historien Momar Mbaye. Elle remonte à l’avènement de la loi salique du temps de Clovis (fin 5ème de notre ère jusqu’au début 6èmesiècle) qui fait qu’en France, il y a eu que des rois et des régentes et pas des reines sur le trône contrairement à l’Angleterre».

Des féministes africaines s’appuient entre autres sur ces précisions historiques pour mieux défendre leur particularité et l’originalité de leur combat.

«Quand on est féministe africaine, on entend souvent la vieille rengaine qui nous assimile à des copies d’occidentales alors que nous défendons la société africaine dans ses origines et son organisation première, argumente Hélène Della Chaupin. C’est la femme qui porte l’enfant donc la filiation la plus sure est celle de la mère. Nos sociétés traditionnelles l’avaient compris».

Elles l’avaient tellement bien compris qu'il y a eu des tragédies comme «Talataay Nder» (Mardi de Nder, un village du Walo dans le nord du Sénégal). L’histoire se déroule le mardi 7 mars 1820. Pour échapper à la razzia des esclavagistes maures venus du Trarza (dans l'actuel Mauritanie), les femmes de ce village royal ont préféré s’immoler collectivement que d’accepter la perte de leur liberté et de leur lignée.

Dans la conscience populaire sénégalaise, il y a le rappel récurrent de cet épisode symbolique du rôle majeur de la femme sénégalaise dans la sauvegarde et la transmission de la lignée familiale et donc, par voie de conséquence, de la nationalité.

Moussa Diop


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Moussa Diop

Journaliste sénégalais diplômé de l'Institut Français de Presse. Il est correspondant permanent du quotidien sénégalais Le Soleil à Paris.

Ses derniers articles: Alexis Peskine ou l'art de l'identité plurielle  Le combat pour la nationalité des Sénégalaises  Les noirs ne sont pas des oiseaux de malheur 

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