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L'écrivain Mamadou Mahmoud N'Dongo par le photographe Olivier Denis
L'écrivain Mamadou Mahmoud N'Dongo par le photographe Olivier Denis

Mamadou Mahmoud N'Dongo: écrivain «post-néocolonial»

Mamadou Mahmoud N'Dongo, écrivain français né au Sénégal, publie son septième livre, Remington chez Gallimard.

D'emblée, Mamadou Mahmoud N'Dongo m'a séduit. Voici un écrivain qui ne déteste pas brouiller les cartes. J'emploie volontairement la forme négative car, comme il le dit lui-même, «ce n'est pas une coquetterie».

En France, quand on porte un nom à consonance «exotique» et qu'on publie dans une collection cataloguée «africaine», en l'occurrence Continent noir au sein de la prestigieuse maison Gallimard, tout le monde s'attend à ce que vous écriviez sur l'Afrique ou sur les Antilles, bref sur les Noirs. Eh bien non! Mamadou Mahmoud N'Dongo, qui se décrit lui-même comme un «écrivain d'expression française», n'est pas là où on l'attend. Et c'est tant mieux.

Prenez son dernier livre, Remington, sorti au mois de septembre. C'est le récit déjanté, à la première personne, d'un critique rock français, petit fils d'un grand peintre espagnol, travaillant pour un magazine parisien branché. Le titre du précédent, Mood Indigo, inspiré d'un morceau du célèbre jazzman Duke Ellington, trompait aussi son monde. La rythmique de l'écriture et la présentation des nouvelles qui composent ce recueil évoquaient le jazz mais sans faire référence à la culture noire. Quant à la Géométrie des variables, son cinquième roman, il entraînait le lecteur dans l'univers de la diplomatie européenne.

«N'y voyez aucune volonté de fuir mes origines sénégalaises», se défend ce descendant revendiqué de la noblesse peule (son lointain aïeul serait, affirme-t-il, le grand conquérant El Hadj Omar Tall). Il en veut pour preuve le nom de l'un de ses premiers opus, L'Errance de Sidiki Bâ.   

«J'aime tout simplement changer de thèmes, j'ai envie de m'intéresser à tout», explique Mamadou Mahmoud N'Dongo.

Après tout, pourquoi un écrivain noir serait-il condamné à écrire sur les Noirs? Certains, malheureusement, le pensent encore, y compris parmi les critiques littéraires français.  

«C'est super ce que tu fais. Mais tu ne devrais pas écrire ça, ce n'est pas pour toi», sous-entendu: « tu devrais écrire sur l'Afrique », lui a dit un journaliste d'une prestigieuse publication spécialisée.

Comme si, avec le nom qu'il porte, Mamadou Mahmoud N'Dongo devait s'interdire de sortir d'une sorte de ghetto. Trop noir pour écrire des histoires de Blancs! Trompant un peu plus l'ennemi, l'écrivain persiste malgré tout à publier chez Continent noir, collection qu'il a «choisie», dit-il, car «son directeur est l'un des meilleurs éditeurs de Gallimard». Et à ceux qui ne comprendraient pas son positionnement, il répond d'emblée: «pour moi la norme est une régression». Voilà qui est dit.

De Pikine à Drancy

Mamadou Mahmoud N'Dongo est, pourrait-on dire, un écrivain «post-néocolonial», libre des préjugés liés à ses origines et à sa couleur de peau. Né à Pikine, dans la banlieue de Dakar, en 1970, il arrive en France en 1975, suivant son père ouvrier chez Renault dans le cadre du regroupement familial. Son enfance se passe dans une cité de Drancy, en Seine-Saint-Denis, avec ses douze frères et sœurs.  

«Ce n'était pas une cité ghetto, il y avait une vraie mixité sociale, nous y étions quasiment les seuls Africains», précise-t-il.

Pour autant, et même s'il est particulièrement doué pour l'écriture, il constate vite l'existence d'un plafond de verre qui veut qu'un jeune des cités, de surcroît enfant d'immigré, «est naturellement orienté vers les filières techniques».  Soutenu par ses parents, il passe outre et s'oriente vers le 7ème art. Il entre au cours Dagan, à Paris, où il apprend le cinéma, la littérature et les arts plastiques. «Dommage que vous vouliez faire du cinéma, vous êtes fait pour l'écriture», lui fait rapidement remarquer son enseignante.

Conseil suivi. Mamadou Mahmoud N'Dongo publie son premier recueil de nouvelles, L'histoire du fauteuil qui s'amouracha d'une âme (Éditions L'Harmattan), en 1997. Six autres livres ont suivi depuis. Entretemps, l'auteur, qui vit entre la France et la Hollande, s'est frotté à la politique comme conseiller municipal sans étiquette de sa ville de Drancy. Sans être encarté dans un parti, il avoue sa fascination pour ce qui fut pendant des décennies l'un des fiefs du Parti communiste français (PCF).

«J'ai vécu entouré d'ouvriers communistes et de la haute hiérarchie du parti. Cela m'a structuré en quelque sorte», raconte celui qui confie aussi avoir «côtoyé les grands bourgeois».

L'écrivain, fait Chevalier des Arts et des Lettres en 2011, ne dédaigne pas servir d'exemple, en montrant aux jeunes non-blancs que la couleur de peau n'est pas un handicap. Mais il ne fait ni dans la victimisation, ni dans le militantisme. Plutôt dans la banalisation de la diversité des origines au sein d'une société française encore trop frileuse. Et quelle meilleure manière de se débarrasser de son étiquette raciale que de choisir avec autant de liberté les thèmes de ses livres?  Le plus incroyable est que si peu d'auteurs noirs français y aient pensé avant lui. À moins que ce ne soient leurs éditeurs qui les découragent...

Quoi qu'il en soit, Mamadou Mahmoud N'Dongo déborde de projets. Il travaille déjà à son prochain livre, s'attèle à un court métrage adapté d'une de ses nouvelles et a dans ses cartons un projet de pièce de théâtre. 

Etienne Kunde

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Etienne Kunde. Journaliste ivoirien.

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