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Qui n’a jamais rêvé d’entendre les chefs d’Etat dire la vérité, rien que la vérité? De les voir face à leurs concitoyens s’expliquer sur leurs faits et gestes? De leur poser des questions sur les zones d’ombre de leurs années de pouvoir?
Cet incroyable fantasme est aujourd’hui réalisé par Gustave Akakpo.
Le dramaturge togolais donne la parole aux «gratins des présidents»: Omar Bongo, Nicolas Sarkozy, Laurent Gbagbo, Abdoulaye Wade, Paul Biya ou encore Mobutu Sese Seko Kuku Ngbendu wa Za Banga.
Sur le plateau fictif de ce talk-show intitulé le «canard aux épices», les hauts dignitaires se pressent pour raconter les coulisses de leur mandat et les ressorts de la Françafrique.
Magouilles, corruptions, contrats, assassinats, rien n’est oublié.
«Après l’indépendance, l’Afrique était mal partie, mais la France elle est bien restée», annonce en introduction le comédien, qui joue le rôle du présentateur TV.
Avec une cruelle ironie et un zest de provocation, Gustave Akakpo a voulu célébrer à sa manière le cinquantenaire des indépendances.
En 2010, alors que des commémorations sont organisées dans l’Hexagone et sur le continent africain, l’artiste refuse les invitations.
«Je n’avais pas envie de participer à des tables rondes, ou à des manifestations. Je trouve qu’il y a des pays qui ont le droit de fêter leur indépendance, car ils ont eu de vraies avancées dans leur société et un progrès démocratique, alors que d’autres n’ont rien à célébrer, ils ne bénéficient toujours pas des ressources», explique-t-il, installé dans un petit café parisien, non loin du théâtre de Belleville.
Révolté par cette vision du continent, l’auteur, qui a quitté le Togo en 2005 après l’élection controversée du président Faure Gnassingbé, décide d’écrire lui-même son histoire de l’Afrique. Pour lui, ce passé est bien souvent rejeté voire oublié:
«Ce qui est symptomatique, ce sont les programmes scolaires en France. La colonisation et la décolonisation sont apprises comme une histoire extérieure, alors que c’est de l’histoire française au même titre que la révolution», affirme Gustave.
Avant d'ajouter:
«Cette rupture ne s’est pas forcément faite de manière apaisée. C’est comme si l’empire colonial s’était tranché d’une partie de lui-même.»
Pour traiter ce thème si sensible, le dramaturge, âgé de 38 ans, a choisi le rire. Après avoir écrit plusieurs pièces ou des livres pour enfants, il s’essaye avec Chiche l’Afrique au one man show politique:
«Lorsque tu vis une situation aussi dramatique, ce n’est pas évident d’exprimer ce cri et cette rage. C’est comme si j’allais dégueuler sur le public car la douleur est trop forte. L’humour permet au contraire d’en parler de manière apaisée».
Avec un humour grinçant, il traite des problèmes de visa ou de l’exploitation des gisements d’uranium par Areva au Niger. Il imagine aussi une France où les Noirs seraient en supériorité numérique.
«La capitale serait Brazzaville, le XVIe arrondissement de Paris ressemblerait au quarier populaire de Barbès et Marine Le Pen serait une chef séparatiste!», s’exclame-t-il sur scène, avec jubilation.
Gustave imite également tour à tour les hommes qui ont marqué le continent. Le Gabonais Omar Bongo revit à la tribune des Nations unies, bredouillant un exposé incompréhensible sur sa politique économique:
«Vous m’excuserez, mais certains papiers de mon discours ont disparu.»
Nicolas Sarkozy, secoué de tics, bouleversé d’avoir perdu son fauteuil de président, revisite son discours de Dakar:
«Vous les Français vous êtes durs, cinq ans seulement et déjà viré. Vue d’Afrique, cela fait service minimum!»
Mais, le personnage qu’il préfère incarner est, sans conteste, Charles Pasqua. Flingue à la main, cigare aux lèvres, cigales en fond sonore, l’ancien ministre français de l’Intérieur donne dans une «master class» les petits secrets de ses réseaux africains.
«Quand je suis à ce moment-là du spectacle, une bombe pourrait éclater, je ne regarderai même pas. C’est une sorte de surhomme intemporel. C’est un personnage cynique et bonhomme qui joue tout le temps avec lui-même, comme un chat avec une souris», raconte en souriant le comédien.
Observateur attentif de l’actualité, Gustave renouvelle en permanence ses sketches en fonction des coups d’Etat et des élections. François Hollande n’est pas encore présent dans cette galerie de portraits, mais le nouveau président français ne devrait pas tarder à intégrer le talk-show:
«On est encore à la limite de l’état de grâce, mais on lui dit attention, bientôt tu vas rentrer dans Chiche l’Afrique! Il a aussi une bonne trame comique!».
Truffée de références politiques, cette chronique s’adresse avant tout à un public connaisseur de l’Afrique. Mais pour le dramaturge, elle est aussi l’occasion d’ouvrir les yeux à la nouvelle génération.
«L'autre jour, après ma sortie de scène, une jeune fille m’a dit qu’elle ne connaissait pas les présidents, mais qu’elle retenait que mon spectacle était contre le racisme et le rejet de l’autre. J’ai trouvé que c’était déjà une réflexion intéressante», souligne Gustave, avec satisfaction.
Education et humour, la recette idéale de Chiche l’Afrique.
Stéphanie Trouillard
Le spectacle est joué jusqu’au dimanche 22 novembre 2012, au Théâtre de Belleville, à Paris
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