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Ces hackers marocains qui font trembler la Toile
Les «Moroccan Ghosts» ont acquis une réputation de super-hackers. Mais qui sont-ils et au nom de quoi agissent-ils?
«Ô vous les croyants! Le vin, les jeux de hasard, les statues, les augures ne sont qu'une impureté parmi les œuvres du diable. Ecartez-vous en, afin que vous réussissiez. Le diable ne veut que jeter l'hostilité et la haine entre vous, par le vin et les jeux de hasard et vous détourner de l'évocation de Dieu et de la prière. Allez-vous donc y mettre fin?»
Dimanche 29 octobre, stupeur chez la Française des Jeux (FDJ). Ce message religieux publié en arabe et en français avait remplacé la page d’accueil du site dédié à la loterie Euromillions consulté par des milliers de joueurs en France.
La FDJ indiquait qu'une «page anonyme s'est greffée» sur plusieurs de ses sites restés inaccessibles durant plusieurs heures.
Cette action a été revendiquée par les «hacktivistes» réunis sous la bannière «Moroccan Ghosts» (les fantômes marocains). Sur leur compte Facebook, ils égrènent leurs derniers trophées avec jubilation: Keno.fr, Lotochange.fr, Parionssport.fr et Pronoexpert.nextedia.com etc.
Des champions redoutés du hacking
Selon le site spécialisé Zone-H , «Moroccan Ghosts» a réalisé 256 attaques sur le Net en 2012. Un record mondial. Hackread.com, quant à lui, leur attribue le piratage de 32 sites israélo-américains pour le seul mois de septembre.
Une frénésie qui a fait leur réputation dans le milieu du hacking international mais ne semble pas à priori révélé un mobile particulier tant leurs victimes semblent aléatoires.
En janvier 2012, ils avaient fait le buzz sur le continent après avoir hacké le site de la police sud-africaine.
Cependant, il existe bel et bien un fil conducteur à toutes ces attaques. Dans plusieurs vidéos qui vantent leurs forfaits et postées sur Youtube, ils affichent clairement leur ultranationalisme, leur loyauté presque mystique à la monarchie, une certaine forme de fondamentalisme religieux et une farouche hostilité envers l’Algérie considérée comme un pays ennemi.
Le miroir brisé d’une jeunesse «national-monarchiste»
Il est d’ailleurs intéressant de voir à quel point cette frange de la jeunesse marocaine est abreuvée de propagande royaliste, pétrie de religiosité et de conservatisme et en même temps totalement acculturée aux nouvelles technologies du Net et à l’univers des jeux vidéos où la violence est prédominante.
Ces jeunes piratent des sites algériens ou sud-africains en représailles au soutien de ces pays au Front Polisario qui conteste au Maroc sa légitimité sur le Sahara Occidental, une «cause nationale» érigée par le patriotisme officiel en dogme à tel point que tout débat autour de cette question est considéré comme suspect et ses auteurs de «dangereux nihilistes, traîtres à leur nation».
Matraqué sans arrêt par les médias officiels (toutes les télévisions marocaines sont étatiques) depuis des décennies, ce discours a influencé durablement plusieurs générations de Marocains.
«Défendre mon pays et le protéger de nos ennemis»
Les cibles américaines ou israéliennes soulignent la prévalence de la question palestinienne au Maroc.
Fait paradoxal, les grandes manifestations récurrentes en solidarité avec les Palestiniens, toutes tendances confondues, sont celles qui rassemblent le plus de participants au Maroc et souvent davantage que dans de nombreux pays du Proche-Orient.
Un jeune ado de 17 ans se réclamant du groupe «Moroccan Ghosts» et qui se fait appeler King Neco a été récemment interviewé par SoftPedia, une encyclopédie du monde virtuel en ligne. Il y révèle que le groupe a été fondé en 2012 et compte de nombreux pirates de différentes régions du royaume «dans lequel chacun des membres a un objectif spécifique».
«Mes objectifs comme ceux de mon équipe sont clairs: défendre mon pays et le protéger de nos ennemis. En outre, nous défendons l'affirmation de notre unité territoriale», déclare-t-il.
Avant d'ajouter:
«Nous avons pris certains pays pour cible parce qu’ils nous prennent pour des retardés et qu’ils ne veulent pas reconnaître que le Polisario est un ramassis de terroristes», ajoute le jeune hacker.
Il répète sans cesse qu’il agit en défense de «notre patrie le Maroc, notre roi Mohammed VI, la marocanité du Sahara et la Palestine»
«Moroccan Ghosts» devenu culte a fait des émules, comme le groupe «Moroccan Agent Secret (MAS)» qui s’est rendu responsable de l’attaque de dizaines de sites espagnols à la suite des tensions frontalières aux portes des enclaves de Ceuta et Melilla revendiquées par le Maroc.
Un mimétisme du «cyberflicage» ambiant
Le phénomène récent du hacking en meute est probablement la conséquence d’une culture de la délation encouragée par l’Etat et de la polarisation de la société marocaine autour de questions politiques et identitaires profondes.
Face à la contestation en vogue qui pointe du doigt les travers du régime, le pouvoir a usé d’une propagande intense (l’histoire dite de «l’enfant de Taza» en est un cas édifiant) pour exacerber le sentiment patriotique construit autour du drapeau rouge frappé du pentagramme vert et de la trinité «dieu, patrie, roi», la devise du royaume.
En 2011, l’Etat a tenté de contrecarrer les marches du Mouvement du 20-Février en alignant face à eux, comme en Egypte, des hordes de «baltagias», des casseurs de manifs arborant T-shirts aux couleurs nationales et portraits du roi.
Mais c’est surtout sur la Toile que la cyberguerre fait rage. Sur les réseaux sociaux, le Renseignement marocain a lancé de vastes opérations de communication virale destinées à discréditer les leaders de la contestation, associant leur image aux ennemis héréditaires du royaume: l’Algérie, le Polisario et l’Espagne et dépeignant «leur mode de vie délètère». Athéisme, francophilie, homosexualité, consommation d’alcool sont présentés comme des «dérives» de «jeunes déviant téléguidés de l’étranger».
L’Etat flirterait alors avec les thèses obscurantistes pour casser du militant.
Plusieurs activistes ont fait les frais de la cyberpolice marocaine qui utilise des logiciels de pointe pour les traquer ou endommager leurs comptes Facebook, leurs messageries électroniques et leurs plateformes Internet, comme ce fut le cas pour Mamfakinch attaqué par un «cheval de Troie» vendu aux pires dictatures.
Avatar de la cyberpolice chérifienne?
Cette propagande à large échelle a laissé des séquelles chez certains jeunes férus d’informatique désormais «embrigadés» leur procurant un sentiment d’impunité et de conviction légitimiste.
Le jeune King Neco fait d’ailleurs référence à la nouvelle Constitution adoptée pour desamorcer les effets des Printemps arabes:
«J’applique les énoncés de la Constitution. L’article 38 exige de tous les citoyens de s’impliquer dans la défense de la nation et de son intégrité territoriale contre toute agression ou menace» dit-il en substance.
King Neco affirme aussi ne pas craindre les lois qui condamnent le cyberpiratage et se voit bien embrasser une carrière sécuritaire dans son domaine de prédilection. De quoi alimenter encore plus la rumeur qui veut que «Moroccan Ghosts» n’est finalement qu’un avatar de la cyberpolice chérifienne…
Ali Amar
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