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La négritude des héros blancs…

James Bond, Catwoman, Kojak: les héros sont-ils “black or white” ? Texte et dessins de Damien Glez.

2006: haut-le-cœur parmi les aficionados de l’Ecossais Sean Connery. Le sixième James Bond sera un James… blond. Daniel Craig est en réalité le neuvième à interpréter “l’agent secret au service de sa Majesté”, après Barry Nelson, Sean Connery donc, David Niven, George Lazenby, Christopher Cazenove, Roger Moore, Timothy Dalton et Pierce Brosnan; question de comptabilité et d’homologation. Toujours est-il que, pour les cinquante ans officiels de l’espion au cinéma, en 2012, c’est une rumeur plus que capillaire qui fait frémir les inconditionnels du héros de l’écrivain britannique Ian Fleming. Les producteurs de la série cinématographique auraient approché Idrissa Elba pour préparer la retraite de Craig, à l’issue des deux prochains opus. Comédien forcément britannique, Elba est aussi DJ (sous le pseudo de DJ Big Driis the Londoner) et… noir.

Le créateur du buveur de Martini-vodka a-t-il jamais précisé, dans ses romans, la couleur de peau de son personnage? Et même si c’était le cas, serait-il scandaleux qu’un héros censément blanc soit interprété par un acteur d’un autre épiderme? Depuis longtemps, le théâtre africain a joyeusement franchi le Rubicon. Notamment via les intrigues politiques de Shakespeare qui se prêtent tant à des adaptations sur les terres de la chefferie africaine. En 1995, le plus blafard de ses personnages, Hamlet, est incarné par le Burkinabè “teint noir” Issaka Sawadogo.

Le texte intégral de la tragédie du plus célèbre des Danois est mis en scène par Jean-Pierre Guingané et Stein Vinge. Peu de temps après cette version burkinabo-norvégienne, c’est une mise en abîme théâtrale que propose le metteur en scène Ildevert Méda dans un «Hamlet noir» italo-burkinabè. Dès le titre, la pigmentation semble explicite et le casting renoue avec la comédienne Aminata Diallo qui incarnait une Ophélie de couleur dans la précédente transposition.

Confier à un Blanc le rôle d’Othello

Alors pourquoi ne pas confier à un Blanc le rôle d’Othello, le plus noir des héros de l’œuvre de William Shakespeare? En réalité, le “toubab” russe Constantin Sergueïevitch Stanislavski interpréta déjà le Maure de Venise, dès 1896. Mais maquillé…

Si l’Afrique ne rechigne pas à “noircir” les héros blancs, les composantes associatives du “monde noir” s’offusquent aisément du procédé inverse. En 2010, l’écrivain Alexandre Dumas est interprété, au cinéma, par Gérard Depardieu. Mimétisme saisissant qui n’est pas du goût de la journaliste Audrey Pulvar et du Conseil représentatif des associations noires de France (CRAN). Ils rappellent que Dumas, petit-fils d’une esclave noire, était un quarteron.

La réaction militante à la distribution du long-métrage est-elle la manifestation d’un racisme anti-blanc aujourd’hui décrié par une partie de la droite française? La vérité historique se prêterait-elle moins à une libre adaptation qu’un patrimoine fictionnel? Le directeur de casting de «L’Autre Dumas» était-il tenu de respecter ce dosage du quart de sang noir et des trois quarts de sang blanc? Les producteurs du film répondirent que la diversité -indispensable- ne devait pas être «promue au détriment de la liberté artistique». Ils concluaient que «le cinéma, comme la vie, ne se réduit heureusement pas à la génétique». Les argentiers de l’œuvre auraient pu ajouter que Pascal Légitimus, le plus célèbre métis du cinéma français, n’était pas aussi “bancable” que l’ogre Depardieu. Mais l’argent est l’autre tabou français…

Rumeur d’un James Bond noir

Et dire que le film auquel la polémique fit de l’ombre racontait l’histoire d’un… nègre: Auguste Maquet, le “nègre littéraire” qui aurait écrit tout ou partie des «Trois Mousquetaires» à la place d’Alexandre Dumas.

Si les Britanniques ne s’offusquent pas encore de la rumeur d’un James Bond noir, c’est peut-être que les arts anglo-saxons sont habitués à ces opérations de bronzage instantané. Tout particulièrement aux Etats-Unis où un noir président américain –poste qui relève de la comédie plus que dans tout autre pays– remet son mandat en jeu.

Blanche dans les vieux comics américains, Catwoman, le pendant féminin de Batman, fut incarnée par la diaphane Michelle Pfeiffer avant la métisse Halle Berry. En 1973, le policier télévisuel Kojak était interprété par le Gréco-américain Aristotelis “Telly” Savalas. En 2005, le lieutenant se caractérise toujours par sa sucette et son crâne rasé. Mais il est devenu afro-américain, interprété par Ving Rhames. Avec moins de succès, il est vrai. En 2000, c’est le Black Eddie Murphy qui reprend le rôle de «Mister Love» créé par le Blanc Jerry Lewis. «Doctor Jerry & Mister Love» devient «Professor Klump & Mister Love».

Omar Sy premier comédien noir à remporter le César du meilleur acteur

On en viendrait presque à oublier a posteriori que les adaptations colorisées de héros blancs ont souvent été enfantées dans la douleur. Mise en abîme encore: en 2004, la série télévisuelle «Boston Legal», toujours à l’affût des incongruités de la société ultra-judiciarisée américaine, ne s’y trompait pas dans le premier épisode de sa première saison. Elle mettait en scène un procès attenté au producteur de la comédie musicale «Annie», inspirée de la bande dessinée Little Orphan Annie de Harold Gray, spectacle réellement joué sur scène depuis 1977.

Dans la fiction, la plaignante était la mère d’une fillette noire recalée au casting du rôle de la blondinette. Entre fiction et réalité, l’avocat (blanc) du feuilleton fera appel à Al Sharpton, l’activiste (noir) des droits civiques. Interprétant son propre rôle, le baptiste américain viendra plaider avec emphase pour qu’on accorde à l’Amérique une «Black Orphan Annie». Après avoir visionné cette série croustillante, chaque téléspectateur choisit de retenir le niveau d’humour qu’il veut. Cet épisode de Boston Legal est tout autant une satire des forteresses patrimoniales blanches que du militantisme black ostentatoire. De qui se moque-t-on? L’avocat gagnera son procès pour discrimination…

Comment voulez-vous que Michael Jackson échappât aux problèmes identitaires et épidermiques. Black or White?...

Et les Français, dans tout ça? En retard, comme d’habitude. Cette année, Omar Sy est devenu le premier comédien noir à remporter le César du meilleur acteur. Attendons de voir s’il se maintiendra au sommet du box-office dans d’autres rôles que ceux d’un banlieusard au teint “basané”. À quand un Astérix interprété par Lucien Jean-Baptiste? Une Bécassine par Firmine Richard? Une Jeanne d’Arc par Aïssa Maïga? Un Jean-Marie Le Pen par Dieudonné M'bala M'bala?…

Damien Glez

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Damien Glez

Dessinateur burkinabé, il dirige le Journal du Jeudi, le plus connu des hebdomadaires satiriques d'Afrique de l'Ouest.

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