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Alassane Ouattara et Guillaume Soro à Abidjan le 21 octobre 2011. REUTERS/Thierry Gouegnon
Alassane Ouattara et Guillaume Soro à Abidjan le 21 octobre 2011. REUTERS/Thierry Gouegnon

Cette justice qui ne réconcilie pas les Ivoiriens

Les procès de l'après-Gbagbo ravivent les tensions en Côte d'Ivoire et menacent une stabilité encore précaire.

Mise à jour du 19 novembre 2012: Le gouvernement ivoirien a admis le 19 novembre que l'armée avait pu commettre des "dérapages" après une vague d'attaques en août et a promis d'ouvrir des enquêtes, après la publication d'un rapport de Human Rights Watch (HRW) évoquant des exactions "généralisées" de militaires.

Etant donné le "contexte sécuritaire" après les attaques et vu le "niveau de formation en droits de l'Homme" au sein des Forces républicaines (FRCI, armée), "il est possible qu'il y ait eu des dérapages", a déclaré à l'AFP le ministre des Droits de l'Homme, Gnénéma Coulibaly.

 

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Comment allier le besoin de justice et la nécessité d’une réconciliation? C’est bien le dilemme auquel sont confrontés les Ivoiriens, avec l’ouverture, le 2 octobre dernier, des premiers procès supposés liquider les contentieux de la crise postélectorale qui a déchiré le pays des Eléphants en 2010-2011.

Près de 18 mois plus tard, la Côte d’Ivoire reste sous tension, quoi qu’en disent les autorités.

La hantise d'une justice sélective

Un seul consensus parmi la population: des crimes ont été commis par les deux camps qui s’affrontaient, celui du président de l’époque, Laurent Gbagbo, et celui de l’actuel chef de l’Etat, Alassane Ouattara.

Et la majorité des Ivoiriens estiment que justice doit être rendue. Mais nombreux sont ceux qui reprochent déjà à ces futurs jugements leur côté trop sélectif.

Seuls les partisans de l’ex-président Gbagbo sont en attente de leur procès. Soit plus d’une vingtaine d’inculpés dont Simone Gbagbo, la très influente épouse, le fils Michel, le secrétaire général de son parti —le Front populaire ivoirien (FPI)— Pascal Affi N’Guessan, et d’anciens ministres.

De leur côté, les principaux architectes de la victoire militaire d’Ouattara, dont certains sont aussi accusés d’avoir commis des atrocités, ont été promus à de hauts grades de l’armée.

Pour le moment, seul le procès de cinq accusés a eu lieu, avec des peines allant jusqu’à 15 ans de prison pour «enlèvement et assassinat». Mais ces jugements au compte-gouttes font reculer la perspective d’un point final à la longue crise ivoirienne par le chemin de la justice et le retour à une paix qui était naguère promue comme «la seconde religion du pays».

Le coup d’Etat de 2002, un argument des pro-Gbagbo

Certes, la Cour pénale internationale (CPI) —qui s’apprête à juger Laurent Gbagbo— a exigé de la justice militaire ivoirienne qu’elle se penche aussi sur les crimes commis lors de la tentative de coup d’Etat de 2002.

Cependant, cela n’a pas suffi à apaiser la colère des partisans de Laurent Gbagbo, qui ne comprennent pas que ces mêmes rebelles aient été graciés voilà dix ans par leur «champion», et que celui-ci soit maintenant détenu à La Haye.

La grande inconnue, pour les Ivoiriens, est surtout de savoir jusqu’où Alassane Ouattara respectera les promesses de son discours sur la fin de l’impunité, prononcé lors de son investiture le 21 mai 2011 à Yamoussoukro, la capitale politique.

Il a maintes fois réitéré son intention d’en finir avec une justice à deux vitesses, a fortiori devant la communauté internationale, dont le soutien lui est capital.

Dans ce climat délétère, la main tendue du président Ouattara tarde à être saisie par les militants du FPI et certains de leurs alliés, qui font de la libération de Laurent Gbagbo, de son épouse et de bien d’autres, une condition sine qua non pour aller au dialogue.

Et, avec 46% des électeurs, soit près de la moitié de la population, le parti de l’ex-président reste un poids lourd de la vie politique ivoirienne, capable de bloquer la réconciliation.

L'inertie de Konan Banny montrée du doigt

A l’évidence, ces procès créent, pour le moment, plus de problèmes qu’ils n’en résolvent. Dans ce contexte, Charles Konan Banny, le président de la Commission dialogue vérité et réconciliation (CDVR) mise sur pied par le chef de l’Etat et qui doit «réconcilier tous les Ivoiriens», n’est pas au bout de ses peines.

Figure de la vie politique ivoirienne, cet ancien gouverneur de la Banque centrale des Etats d’Afrique de l’Ouest (BCEAO) et ex-Premier ministre, est aujourd’hui très critiqué par la presse nationale, toutes affinités politiques confondues.

Parmi les reproches récurrents figurent son «inertie», une approche très opaque et personnelle des problèmes, ainsi que ses nombreux silences face à la montée des violences de tous ordres. Pas une semaine ne se passe sans que l’armée soit prise pour cible lors d’affrontements sanglants.

Mais, si «la Côte d’Ivoire est face à un sérieux problème de réconciliation», comme le reconnaît Konan Banny, «il est difficile de donner des opinions contraires à celles du pouvoir, sans en courir les risques. Et cela est dangereux».

Oum Kah (InfoSud)


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