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Commémoration du centenaire de la guerre des Boers le 9 octobre 1999. Reuters/Mike Hutchings
Commémoration du centenaire de la guerre des Boers le 9 octobre 1999. Reuters/Mike Hutchings

Le conflit qui a donné naissance à l'Afrique du Sud

La guerre des Boers a profondément marqué la société sud-africaine. Retour sur «un conflit de blancs» fondateur.

Il est rare aujourd’hui que l’on mentionne les guerres qui mirent aux prises les deux populations blanches d’Afrique australe, les colons néerlandophones et les anglophones de la colonie du Cap.

Ce silence peut s’expliquer par plusieurs raisons, la première étant que l’humanité a naturellement tendance à fuir la complexité, et que ces conflits ne font rien pour simplifier la vision que l’on peut avoir de l’Afrique.

Du temps de l’apartheid, il était simple de considérer que les blancs étaient des monstres et les noirs des victimes. Il était surtout plus simple de partir du principe que les uns et les autres, les blancs et les noirs, représentaient deux blocs monolithiques.

Comme toujours, la réalité était infiniment plus tortueuse, et lourde de sens. Nous n’allons pas tenter en quelques phrases de résumer l’histoire d’un aussi grand pays que l’Afrique du Sud.

Qui sont les Boers?

En revanche, il peut être intéressant de s’attarder sur ces deux guerres qui opposèrent des puissances coloniales d’un genre très différent, sur des terres qui, fondamentalement, ne leur appartenaient pas.

Car une réflexion, aussi brève soit-elle, sur les guerres des Boers ne peut qu’aider à comprendre la situation actuelle.

Qui sont les Boers? Pour la plupart, ce sont des descendants de colons néerlandais installés au Cap au XVIIe siècle. A la différence des colons anglais qui leur succédèrent et commencèrent à les supplanter, les Boers, ou «fermiers» ne furent jamais soutenus par leur mère patrie, les Pays-Bas.

Leurs rangs grossis par un nombre non négligeable de huguenots français, mais aussi d’Allemands, d’Italiens et même de Russes, les Boers développèrent très tôt une tendance à l’autarcie et à l’autodétermination.

Migration vers l’intérieur des terres

Au début du XIXe siècle, ne supportant plus la mainmise anglaise sur des terres qu’ils avaient été les premiers à exploiter, ils se lancèrent dans ce qui est resté célèbre sous le nom de «Grand Trek».

Au cours de cette migration vers l’intérieur des terres, ils se heurtèrent à la puissance zouloue, alors sous la férule du roi Dingane. Ils parvinrent néanmoins à s’imposer, et se taillèrent ainsi deux fiefs indépendants, la République du Transvaal et l’Etat libre d’Orange, dans les années 1830-1840.

L’Afrique du Sud que l’on connaît aujourd’hui était alors le théâtre de rivalités sanglantes entre les Anglais, les Xhosas et les Zoulous, ces derniers étant également rivaux, entre les Anglais et les Boers et entre les Boers et les Zoulous.

De ce billard à cinq bandes, si l’on peut dire, les Xhosas et les Boers furent les grands perdants, semble-t-il, jusqu’en 1879, quand Anglais et Zoulous réglèrent leur différend sur le champ de bataille, avec les conséquences que l’on sait.

La guerre des Zoulous eut d’ailleurs une influence incontestable sur les deux Etats boers. La résistance zouloue avait été en effet si efficace qu’elle poussa les Boers à envisager de s’arracher à la tutelle grandissante des Britanniques.

A qui revient l'exploitation des terres?

En décembre 1880, les Boers, vivant dans une situation de quasi-annexion depuis 1877, se révoltèrent et chassèrent les Britanniques en trois mois de campagne. Mais pour leur malheur, leurs domaines étaient riches en or et en diamant, suscitant la convoitise de puissants magnats comme Cecil Rhodes.

Les négociations sur les droits d’exploitation des concessions minières durèrent plus d’une quinzaine d’années, mais les parties ne purent parvenir à un arrangement. Entre-temps, l’empire britannique avait déployé des contingents importants aux frontières des deux Etats boers, troupes dont la présence finit par pousser les Boers à déclarer la guerre à Londres en 1899.

Sur le papier, l’affaire semblait entendue. L’empire britannique était capable d’aligner plus de 400 000 hommes, alors que les deux Etats boers ne pouvaient en mobiliser que 80 000, et que leurs forces armées n’avaient rien de professionnel.

Toutefois, les Boers, après des années passées à affronter Zoulous et Xhosas dans la guerre de brousse, étaient passés maîtres dans l’art de la guérilla.

Tous leurs soldats étaient des cavaliers et des tireurs hors pair, conférant à leurs unités une mobilité et une puissance de feu inégalées. Ils s’étaient procuré des fusils Mauser dernier cri vendus par l’Allemagne mais aussi de l’artillerie lourde comme des canons Creusot français de 155 mm.

Une guerre des blancs

L’empire britannique prétendait lutter pour la civilisation et contre l’esclavage, dénonçant d’ailleurs à juste titre le traitement réservé aux noirs par les Boers. Ces derniers, eux, se battaient purement et simplement pour leur survie.

Au début, les combats tournèrent à l’avantage des Boers. Les généraux britanniques accumulèrent les maladresses et firent preuve d’une rare incompétence, envoyant leurs hommes à la mort en rangs serrés sous les tirs d’une précision meurtrière de l’ennemi.

Mais petit à petit, le déséquilibre des forces finit par jouer en leur faveur. Malgré la présence à leurs côtés de volontaires étrangers, dont de nombreux Français, les Boers durent céder du terrain. De plus, cette guerre, pour Londres, fut la première à être véritablement «impériale», puisque des Canadiens et des Australiens y prirent également part.

Si la seconde guerre des Boers fut une «guerre de blancs» qui se battaient en fin de compte pour déterminer qui aurait la haute main sur la région, et si la population des régions concernées par les opérations était aux quatre cinquièmes composée de noirs, il faut souligner que des noirs se joignirent au combat dans les deux camps.

Des noirs au service de leurs maîtres

Du côté boer, si les deux républiques interdisaient officiellement aux noirs de porter des armes, le besoin en hommes était tel que beaucoup de serviteurs et d’ouvriers agricoles suivirent leurs maîtres, rappelant par là ce qui s’était passé dans certains des Etats du Sud lors de la guerre de Sécession (1861-1865).

Les Tswanas en particulier furent mobilisés par les Boers, et on estime qu’en tout, quelque 10 000 noirs servirent aux côtés des républicains. Dans le camp britannique, près de 100 000 d’entre eux furent utilisés comme auxiliaires et porteurs, et 10 000 reçurent des armes. Les Swazis se rallièrent aux Anglais dans l’espoir déclaré de récupérer des terres dont ils avaient été spoliés par les Boers. Dans le Natal, des unités zouloues de police montée furent même constituées.

Ce fut une guerre sans merci. Exaspéré par les pertes et la résistance acharnée des Boers, le haut commandement britannique eut recours à la tactique de la terre brûlée, incendiant les fermes et massacrant le bétail.

Pour faire plier les soldats des «commandos», les unités de guérilla boers, Londres créa des camps de concentration, officiellement pour regrouper les populations civiles loin des zones de combat.

Une guerre indélébile

Dans les faits, cela revint à laisser mourir de faim et de maladie des milliers de femmes et d’enfants boers. Les noirs ne furent pas épargnés ; 115 000 «Boers noirs» furent eux aussi envoyés en camp. En tout, au moins 27 000 blancs et 12 000 noirs auraient péri dans ces circonstances.

Epuisés, isolés, les Boers finirent par déposer les armes en 1902. Afin de pouvoir continuer à gérer la colonie, Londres, vainqueur, dut cependant lâcher du lest et accorder une certaine autonomie aux Boers. Les pertes avaient été terribles.

Les Britanniques avaient perdu 22 000 hommes, les Boers 6 ou 7 000, chiffres auxquels s’ajoutent les civils boers et africains morts dans les camps, et près de 8 000 à 10 000 noirs tombés au combat.

Cent dix ans plus tard, la société sud-africaine dont accoucha le conflit reste profondément divisée. Les tiraillements entre Zoulous, Xhosas et Swazis restent importants, et les blancs, même si le sujet est plus rarement abordé, sont scindés entre Afrikaners nostalgiques de l’ère des deux Etats boers et ceux qui se sont résolument tournés vers la métropole anglophone.

L’apartheid, mot afrikaner, symbolise à lui seul le malaise de cette mosaïque volatile née des appétits impérialistes britanniques dans la région.

Et il se trouve encore aujourd’hui des descendants de Boers pour rêver de l’instauration d’un nouvel Etat libre d’Orange.

Roman Rijka

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Roman Rijka. Journaliste. Spécialiste de l'histoire militaire.

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