mis à jour le

Il faut repenser le microcrédit en Afrique
La micro-finance a drainé de nombreux espoirs sur le continent. Mais de nombreuses pratiques abusives imposent de réétudier le secteur.
Le secteur de la microfinance est né il y a à peine trente ans, adoubé d’une mission de lutte contre la pauvreté que peu pouvaient lui contester.
Offrir des microcrédits à des femmes marginalisées pour les aider à lancer leur propre entreprise semblait une solution aux résultats irréfutables.
Une fois la question des effets réglée, il ne restait plus qu’à créer des institutions pérennes. Les regards se sont détournés des bénéficiaires pour se concentrer sur les institutions de microfinance (IMF), qui devaient être rentables et afficher des portefeuilles de prêt d’excellente qualité.
Cependant, aujourd’hui, avec plus de 205 millions de clients et quelques 10.000 IMF, le secteur connaît une crise d’adolescence. Taux d’intérêt excessifs, crises de surendettement (Kosovo, Inde/Andra Pradesh), pratiques de recouvrement abusives, autant de cas qui sont venus entacher l’image du secteur et qui doivent nous pousser à réétudier les promesses initiales de ses fondateurs.
Remettre les clients au cœur de la microfinance
Cela veut dire d’abord comprendre les besoins financiers des pauvres. Ceux-ci n’ont pas seulement besoin de microcrédits productifs à court terme pour financer le fonds de roulement de leur micro-entreprise.
Ils ont aussi besoin et ont déjà accès par des voies informelles à l’épargne, au crédit à la consommation, à l’assurance, aux transferts et aux systèmes de paiement.
A l’image de tout consommateur, ils optimisent les fonds et n’hésitent pas à les dévier des objectifs affichés pour répondre à leurs besoins, comme l’ont mis en évidence Murdoch et Rutherford dans l’ouvrage Portfolios of the Poor: How the World’s Poor Live on $2 a Day.
Il convient alors de reconnaître cette fongibilité des ressources et d’adapter les produits financiers, les mécanismes de distribution, de paiement et de remboursement aux besoins spécifiques des clients.
Replacer la mission sociale au centre des activités des IMF
C’est ainsi qu’est née la campagne de protection des clients en microfinance, qui promeut sept principes fondamentaux qui devraient à terme être respectés par tous les praticiens.
Parmi ces principes, la transparence des coûts et la facturation raisonnable des services constituent des progrès significatifs dans le rapport entre les IMF et les clients.
D’autres initiatives internationales telles que la Social Performance Task Force cherchent à faire en sorte que les IMF mettent en place des procédures et des outils conformes à leur mission sociale.
Mais, sans la contrainte réglementaire, les initiatives sectorielles risquent de s’essouffler. Les régulateurs doivent prendre conscience du caractère unique de la microfinance: un service financier mais aussi un outil de développement proposé à des populations pauvres, et donc vulnérables.
Les actionnaires ont un rôle clé à jouer dans l’impératif de replacer le client au cœur de la microfinance, préalable pour remplir une mission sociale.
En effet, cette mission devra être formalisée dans la stratégie de l’IMF, elle-même définie par ses dirigeants. L’analyse de l’impact du repositionnement des clients sur le profil de risque et de rentabilité de l’IMF apporte un éclairage intéressant, véritable plaidoyer pour un renforcement de la mission sociale.
Dans les situations de crise, à l’image de celle du Kosovo, les clients remboursent en premier les IMF qui leur apportent la palette de services financiers la plus adaptée (dont des produits d’épargne) et avec lesquelles une relation de confiance s’est construite au quotidien.
Alors l’institution traverse les difficultés tout en maintenant un portefeuille de crédits douteux significativement plus bas que celui de ses concurrentes, qui n’auraient pas été en mesure de servir ces deux objectifs clés.
En effet, la part des crédits ayant un retard de paiement supérieur à 30 jours peut passer du simple au triple selon les institutions. Autrement dit, placer le client au cœur de l’activité de l’IMF peut améliorer significativement son profil de risque.
Une maximisation des profits dommageable pour les clients
Par ailleurs, le modèle économique de la microfinance et la faiblesse de la régulation du secteur permettent d’atteindre deux objectifs a priori contradictoires: l’accès aux services financiers pour les populations vulnérables et la maximisation du profit.
Cette situation pourrait conduire à des stratégies d’actionnaires qui viseraient à mettre en avant la rentabilité au détriment des clients.
Le fameux cas de l’IMF mexicaine Compartamos permet de l’illustrer. Une analyse simple démontre qu’en abaissant les niveaux de rentabilité de 56% à 15% (moyenne du secteur bancaire), les taux facturés aux clients auraient pu être abaissés de 30% pour atteindre 56% l’an.
L’expérience tirée des crises du secteur montre que la stratégie de maximisation du profit n’est pas pérenne et qu’elle peut être dommageable pour les clients vulnérables desservis.
Le repositionnement souhaité du client conduit au renforcement de la mission sociale de l’IMF tout en permettant d’atteindre une rentabilité pour ses actionnaires pour le moins équivalente à celle du secteur bancaire.
Si l’expérience du Groupe ProCredit le prouve, elle va plus loin en démontrant que cette rentabilité est plus stable que celle du secteur bancaire.
Dans un contexte de saturation de certains marchés, de concurrence accrue et de risque de surendettement des populations vulnérables, seules les IMF qui auront su développer une approche responsable, éthique et humaniste vis-à-vis de leurs clients, les plaçant au cœur de leur action, pourront se développer sur le long terme au service du plus grand nombre.
Elodie Parent et Philippe Serres
A lire aussi
Des solutions pour l'emploi des jeunes en Afrique
Ce que vous devez savoir sur l'envol économique de l'Afrique
L'Afrique est le continent des opportunités
Pourquoi il faut investir en Afrique
Retrouvez aussi tous les articles de notre dossier L'Afrique en marche