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Bord de Seine le 17 octobre 2009. AFP/BORIS HORVAT
Bord de Seine le 17 octobre 2009. AFP/BORIS HORVAT

17 octobre 1961: pourquoi Hollande n'a pas demandé pardon

Les Algériens concèdent un bon point à François Hollande, qui rompt avec la rhétorique de la droite française.

Mise à jour du 30 octobre 2012: Les Algériens veulent "une reconnaissance franche des crimes perpétrés à leur encontre par le colonialisme français", a déclaré le 30 octobre à Alger le ministre algérien des moudjahidine (anciens combattants) Mohamed Cherif Abbas.

"Au regard des crimes perpétrés par ce colonisateur contre un peuple sans défense et compte tenu de leur impact dans l'esprit même des générations qui n'ont pas vécu cette période, sachant que tout un chacun connaît les affres subies par notre peuple (...), les Algériens veulent une reconnaissance franche des crimes perpétrés à leur encontre", a dit le ministre dans un entretien à l'agence APS.

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Des mots, oui, et toute une complexe logique derrière, politique et linguistique.

En 40 mots, comme l'a souligné l'éditorialiste d'El Khabar qui s'est appliqué à les compter, le président de tous les Français a tenté de résumé une histoire coloniale de 132 ans.

Si reconnaissance n'est pas repentance, François Hollande s'est quand même incliné (pas pour de vrai, c'est une image) devant les victimes du 17 octobre 1961, où des dizaines de manifestants algériens avaient été jetés dans la Seine glacée, crânes fracassés.

Plus court que le communiqué: «pardon»

De l'avis majoritairement partagé à Alger, 40 mots, c'est un peu court mais c'est quand même une goutte de tiédeur dans l'océan de la glaciation climatique entre Alger et Paris.

A quelques semaines de la visite de Hollande en Algérie prévue pour décembre, c'était le moins qu'il puisse faire pour avoir droit à un tapis orange, un bon couscous et probablement quelques contrats pour une France en crise. 

En fait, il y avait encore plus court que ces 40 mots émis dans le communiqué carré de la présidence de l'Hexagone, il y avait aussi «pardon», dirait Maître Capello, six lettres en bon français, pour tourner définitivement cette page sombre qu'a été la colonisation et sa sanglante apothéose, guerre sauvage menée par la France pour garder une terre qui ne lui appartient pas.

Les cow boys ont demandé pardon aux Indiens, les Allemands et le Vatican aux Juifs, et mêmes les présidents français Chirac et Hollande ont reconnu la responsabilité de la France dans les déportations pendant l'occupation, ce qui n'a posé aucun problème.

Pour l'Algérie, c'est décidément plus complexe et l'éditorialiste du quotidien Liberté a bien fait de souligner une technique particulière, un fin saucissonnage séquentiel qui consiste à ne reconnaître que quelques faits et épisodes précis de la longue répression des Algériens, sans toucher au global, c'est-à-dire la guerre d'Algérie et la longue colonisation qui en a été le moteur.

Le saucisson? Oui, contrairement au couscous, c'est bien français.

Le mot le plus court de la langue française

Ce peut être une interjection, un «a» ou «o», auxquels on pourrait ajouter un «h» pour signifier l'étonnement ou l'irritation.

Si la gauche s'est sagement rangée derrière la sagesse du président, le reste de la classe politique a été au dessous de tout.

Palme d'or à François Fillon, ex-Premier ministre de Nicolas Sarkozy, mais tout de même député de Paris.

Il montre encore à quelle point la prétention reste l'attitude la plus répandue.  

«J'en ai assez», a-t-il commenté pour rejeter le moindre petit pas vers la reconnaissance et fustiger cette mise en avant de la «responsabilité historique permanente».

Toute une classe politique semble encore à l'école et ne pas comprendre que quand on est grand, on est responsable.

A l'image aussi de Christian Jacob, chef de file des députés UMP, jugeant «intolérable de mettre en cause la police républicaine», comme si la police était une association d'anges bleus à caractère humanitaire.

Une droite en dehors du bon sens et visiblement irritée par des Algériens qui demandent à ce qu'on reconnaisse en français la spoliation (terres et richesses) et l'élimination physique (condamnations à mort légales ou exécutions sommaires).

Ou encore la déportation (en Nouvelle-Calédonie par exemple). Et, évidemment, l'Extrême-droite, égale à elle-même, qui nie tout simplement ce qu'il s'est passé en octobre 1961 (un bobard, a expliqué «l'historien» Jean Marie Le Pen). Comme s'il s'agissait d'une bande d'écoliers qui ne comprennent pas pourquoi ils sont privés de dessert alors qu'ils n'ont fait que brûler l'intendant.

Bon petit point donc pour Hollande, qui sera bientôt à Alger et qui comme son prédécesseur Sarkozy, se fera balader sur la rue Didouche, le plus grand boulevard d'Alger-Centre.

«Nous n'avons pas fait que de mauvaises choses», avait-il déclaré en contemplant les beaux immeubles de l'époque française, neuf mots pour résumer la colonisation française.

Si la France a effectivement construit des immeubles tout en rasant des villages, en termes de bilan, que va dire Hollande? En combien de mots va-t-il évaluer les 132 ans d'occupation illicite?

A chacun sa définition de la colonisation

Xénophobes, diaboliques ou hémophiles, les hommes naissent libres et égaux, selon la Constitution française, mais on ne peut pas en dire autant des Algériens, classés citoyens de seconde zone à l'époque et sous-hommes auprès de qui il ne faut pas s'excuser aujourd'hui.

Comme le soulignait le général de Gaule dans une lettre peu connue de 1959 et publiée par J.R. Tournoux (Jamais dit, Plon):

«Prétendre qu’ils sont Français (les Indigènes de la République ou les Français musulmans comme on les appelait) ou qu’ils veulent l’être, c’est une épouvantable dérision. Se bercer de l’idée que la solution politique c’est l’intégration ou la francisation, qui ne sont et ne peuvent être que notre domination par la force que les gens d’Alger et nombre de bons militaires appellent «l’Algérie française», c’est une lamentable sottise...  Il est tout simplement fou de croire que notre domination forcée ait quelque avenir que ce soit.»

Fin de la citation et cela dit, le général ne s'est incliné nulle part, contrairement à Aimé Césaire qui, en bon Français, aimait aussi les mots:

«La colonisation, je le répète, déshumanise l'homme même le plus civilisé; [...] l'action coloniale, l'entreprise coloniale, la conquête coloniale, fondée sur le mépris de l'homme indigène et justifiée par ce mépris, tend inévitablement à modifier celui qui l'entreprend; [...] le colonisateur, qui, pour se donner bonne conscience, s'habitue à voir dans l'autre la bête, s'entraîne à le traiter en bête, tend objectivement à se transformer lui-même en bête.»

Déshumanisée, abêtie, la France postcoloniale ressemble peut-être à François Fillon, qui «en a assez.»

Ce qui, paradoxalement, le rapproche des Algériens qui en ont assez de devoir rappeler les méfaits de la colonisation. Pourquoi la repentance ne serait pas elle aussi un joli mot?

Chawki Amari

 

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Chawki Amari

Journaliste et écrivain algérien, chroniqueur du quotidien El Watan. Il a publié de nombreux ouvrages, notamment Nationale 1.

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