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Chronique d'une débâcle annoncée du foot camerounais
Pour la deuxième fois consécutive, les Camerounais ne participeront pas à une phase finale de la Coupe d'Afrique des nations. Une débâcle causée par des luttes intestines au sein des Lions et d'une gestion calamiteuse du foot au Cameroun.
Mise à jour du 16 novembre 2012: Théophile Abega, ex-capitaine de l'équipe des lions indomptables, est décédé le 15 novembre.
«Il était l'un des meilleurs joueurs à venir d’Afrique et était en avance sur son temps» a déclaré à la BBC Sport Kalusha Bwalya, un ancien footballeur camerounais.
Décédé hier des suites d’un malaise dû à une «insuffisance cardiaque» selon la Cameroon Radio Television (CRTV, la télévision d’Etat), la star du football camerounais s’est éteinte à 58 ans dans un hôpital de Yaoundé, a indiqué le site d’Eurosport.
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Trop de foot, trop peu de sport, le mal camerounais procède d’une croyance dans les générations spontanées en matière de talents…
Il y a comme l’idée que si l’ordre peut provenir du chaos, la double présence de structures désuètes et de prévaricateurs qui ne connaissent pas le remords n’est pas de nature à empêcher l’émergence infinie de nouveaux Roger Milla.
Le règne de l’improvisation n’est pas prêt de s’achever. C’est à se demander si les Lions indomptables n’auraient pas manqué une vocation de mineurs: ont-ils découvert des trésors cachés dans les abîmes du classement FIFA?
61e au mois de septembre, le Cameroun pointe désormais au 71e rang.
D’échec en échec, la plongée effrénée dans la déchéance continue.
Les Capverdiens sont venus avec une stratégie, les Camerounais avec des génies, les Capverdiens avaient la jeunesse, les Lions avaient un palmarès, les Capverdiens n’avaient pas de Samuel Eto’o, les Camerounais en avaient un.
La suite est une tragédie sans héros.
Le drame du nombrilisme
Au Cameroun, le culte de la personnalité est tel que critiquer Eto’o, oser ne plus l’aimer c’est haïr le Cameroun. Comme si son talent était inaltérable.
Le Monsieur indispensable du football camerounais enchaîne tranquillement les contre-performances, mais ne peut pas se remettre en cause. Son passé parle pour lui, son argent aussi: le messianisme n’a pas cours en sport.
Il est pourtant loisible à tous d’injurier le bon Dieu; mépriser le président de la République est une liberté fondamentale de tout Camerounais.
Samuel Eto’o, l’inamovible capitaine, n’est pas la solution, il est une partie du problème. Sa présence inhibe les autres joueurs, son statut de sélectionneur joueur n’est que de nature à instaurer une cohésion de façade: on peut énumérer autant d’excuses que l’on veut pour expliquer la non-qualification des Lions indomptables pour la CAN 2013…
Il reste que, même si la relative simplicité du diagnostic suivant tranche avec la complexité des débats et l’abondance des théories, il reste que la performance des joueurs lors du match est l’ultima causa de cette énième humiliation.
On peut certes invoquer l’emprise de quelques dirigeants corrompus (notamment au sein de la Fédération camerounaise de football, Fécafoot) sur un peuple rendu coupable de ses passions, la formation de l’équipe que nous avons vu évoluer n’en a pas moins des relents démagogiques. Le populisme ne marque pas des buts!
En réalité, tout s’est passé comme si l’on voulait se justifier par avance d’une défaite devenue probable.
Jean Paul Akono, Rigobert Song, Wome Nlend, Achille Emana, Webo, Idrissou... on dirait le générique d’un documentaire sur les Lions Indomptables, franchement! On juge le maçon au pied du mur, c’est entendu. Alors, c’est sur le terrain de football que les footballeurs doivent être jugés.
Or, certains se sont illustrés ailleurs, dans les médias, les affaires, et les prises de position inconséquentes.
L'étrange jeu de Samuel Eto'o
On ne peut pas décliner une convocation à jouer en équipe nationale, écrire une lettre ouverte pour dénoncer l’amateurisme criard et, moins d’un mois et quelques nominations plus tard, se pointer comme si de rien n’était.
Qu’est-ce qui a fondamentalement changé entre le match aller contre le Cap-Vert et le match retour, qui a justifié le come-back du siècle?
L’absence d’Eto’o lors du match aller a fait du tort aux Lions indomptables, sa présence au match retour n’a rien arrangé du tout, au contraire!
Une «compilation» d’anciennes gloires fait-elle une équipe performante? Seuls Roger Milla ou Raymond Kalla manquaient au casting! On a sorti de l’oubli, où ils se portaient pourtant bien, des joueurs qui étaient partis de l’équipe quand ils ne pouvaient plus rien lui donner, parfois par la petite porte.
Du coup Womé Nlend et compagnie ont été jugés sur le niveau de performance attendu de joueurs de leur âge plutôt que sur le niveau d’exigence placé en des joueurs sélectionnés pour défendre les couleurs nationales.
Tout ça pour ça?
Le Cap-Vert est devenu une foudre de guerre, un obstacle insurmontable, «un roc (…) un pic (…) un cap!… Que dis-je, c'est un cap? (…) une péninsule!»
Le Cap-Vert est une petite péninsule qui nous a donné de grandes leçons de football. La FIFA ne s’y est pas trompée qui l’a mieux classé que le Cameroun.
Le 14 octobre, les Lions indomptables sont encore montés d’un cran dans le ridicule, déroulant un jeu sans inventivité, sans joie, ils étaient à la peine, si pathétiques qu’ils n’ont même pas mérité de casse ou de débordements de fureur de la part de leurs fans.
Pour mémoire, ce match de barrage devait initialement se tenir le 13, les autorités et les joueurs ont demandé le report du match au 14, sous le prétexte que le chiffre 13 ne leur portait pas chance. A l’avenir, il faudra aussi veiller à éviter le 14 alors!
Que se passe-t-il dans la tête des Lions indomptables? Assiste-t-on à une application bête et méchante de la parole biblique (pour construire, il faut détruire…)? Ou bien nos Lions sont-ils devenus incapables de révolte?
Ils s’en sont retournés sans gloire dans leurs clubs respectifs, après la victoire la plus humiliante que les Lions indomptables aient jamais revendiquée.
Est-ce un hasard si Fabrice Olinga Essono (son acronyme, FOE, suffit à rendre heureux) et Armel Kana Biyik (son patronyme est une telle responsabilité) ont été les Lions les plus flamboyants?
En toute chose, il faut considérer la fin, Samuel Eto’o est rattrapé par le destin terriblement commun d’une génération vieillissante. La génération de Sydney 2000 doit faire place nette et permettre l’existence de nouveaux talents.
Les Lions se sont effondrés mais ils ne sont pas morts.
Eric Essono Tsimi
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