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Rebelles de Bani Walid le 12 juillet 2012. Reuters/Youssef Boudlal
Rebelles de Bani Walid le 12 juillet 2012. Reuters/Youssef Boudlal

Bani Walid, le dernier bastion kadhafiste qui inquiète les Libyens

Bani Walid n'arrive pas à se défaire de sa réputation kadhafiste. Un an après la mort de Mouammar Kadhafi, les habitants crient à l'injustice. Reportage.

Si près et pourtant si fantasmée. Bani Walid n’est qu’à 170 kilomètres au sud-est de Tripoli.

Peuplé d’à peine 80.000 habitants, l’un des derniers bastions kadhafistes à être tombé durant la révolution fait peur.

Pour les Tripolitains, Bani Walid est une ville où le drapeau vert de Kadhafi et le drapeau d’al-Qaida sont les seuls étendards autorisés.

Sur place, le fantasme retombe pour laisser place à une réalité moins folklorique mais plus brutale. Bani Walid ressemble à une ville gruyère. Les immeubles sont constellés d’impacts de Kalachnikovs ou éventrés par des tirs de mortiers et de roquettes.

Ici, les frappes de l’OTAN ont été particulièrement massifs.

Depuis la fin de la guerre, les populations se sentent rejetées, car elle sont considérées comme des kadhafistes purs et durs, à l’image des habitants de Syrte, où Kadhafi a été retrouvé.

«On ne nous aime pas, parce que les derniers bataillons kadhafistes sont venus se réfugier ici, mais nous, les habitants, nous n’y sommes pour rien», s’emporte Icham, ravi de voir enfin des journalistes venir dans la ville «pour dire la vérité.»

La tournée des destructions de l’OTAN

Avec ses cousins, il propose aussitôt de faire un tour de la ville, c’est-à-dire des principaux ravages des bombardements de l’OTAN: l’unique hôtel n’est plus qu’un amas de ruines, le marché a également été détruit.

Les commerçants se sont repliés quelques centaines de mètres plus loin. Leurs échoppes ne sont plus que des poteaux en fer rouillé sur lesquels repose une bâche, généralement trouée.

A proximité du marché, deux graffitis portant la même inscription attire le regard:

«Kadhafi est un homme bon.»

Le slogan est bien visible, personne n’a cherché à l’effacer ou le recouvrir. Personne n’est enclin à s’épancher sur le sujet. 

Les quelque 80.000 habitants de Bani Walid ne sont pas d’anciens kadhafistes, mais ce ne sont pas non plus des révolutionnaires de la première heure.

Dans leur discours, les termes «soi-disant révolutionnaires» ou «régime du colonel Kadhafi» transpirent une certaine nostalgie. Icham l’admet mais réplique aussitôt:

«Et alors? Nous sommes libres de penser librement. Ce n’est pas une raison pour nous rejeter.»

Ensuite, direction l’hôpital. Depuis le début du siège de la ville par l’armée, le bâtiment est devenu le lieu social des habitants. L’état de siège de Bani Walid a été voté par le Congrès national par la décision n°7. Une action militaire fortement soutenue par les brigades de Misrata.

Officiellement, la ville, à 150 km au nord-est de Bani Walid, veut récupérer plusieurs centaines d’habitants de Bani Walid soupçonnés d’avoir participé à la mort d’Omran Ben Chaaban.

L’homme, originaire de Misrata avait participé à l'arrestation de Kadhafi. Il est mort le 25 septembre à Paris des suites de blessures. Blessures infligées sous la torture par des habitants de Bani-Walid, selon Misrata qui réclame justice… «vengeance», selon les termes de Bani Walid.

Une ville assiégée par la puissante voisine Misrata

«Regardez ce qu’il nous inflige à cause du sort d’une personne, alors qu’il y a 180 prisonniers de Bani Walid à Misrata, se plaint Mouftah Abdulgabar, membre du comité local de Bani-Walid. Omran ben Chaaban a essayé de forcer un barrage à l’ouest de Bani Walid. Des tirs ont été échangés. Il a été blessé au dos. On l’a amené à l’hôpital. Des habitants lui ont même donné du sang pour le soigner. Personne ne l’a torturé.»

Le siège a déjà fait une dizaine de victimes parmi les civiles et les combattants. L’escalade a débuté le 7 octobre 2012.

Dans la matinée, un missile, Grad probablement, explose dans un immeuble de deux étages dans un quartier résidentiel au sud-ouest du centre-ville. Abdullah, 12 ans, et sa sœur Mafoudha, 15 ans, sont transportés à l’hôpital, brûlés entre 50 et 60%.

Zayma, 20 ans, est venue visiter Adbullah et Mafoudha. Elle était leur voisine du dessus.

«C’était le matin. Je préparais le petit-déjeuner quand j’ai entendu des bruits de bombes. Mes parents m’ont dit de sortir. Moins d’une minute après, j’ai vu un missile tomber sur l’immeuble.»

Sur place, un pan de mur arraché, la nourriture et les vêtements éparpillés sur des monceaux de gravats et le trou creusé par le missile à son explosion témoignent de la violence de l’impact.

Les deux enfants auraient dû être transportés dans le département des grands brûlés à l’hôpital de Tripoli. Cela n’a pas été le cas. Les militaires qui tenaient le check-point ont laissé le choix au chauffeur: aller à Tripoli sans possibilité de revenir ou faire demi-tour.

«On avait besoin de cette ambulance, la seule toute équipée de la ville. L’ambulance a donc fait demi-tour. Mais si les enfants restent ici à Bani Walid, je ne sais pas s’ils survivront», conclut avec regret son médecin, Mohamed Mousbah Taha.

Bani Walid, un deuxième Tawargha?

Depuis l’histoire circule dans Bani Walid comme une traînée de poudre. La crainte est la même : que Bani Walid ne devienne un deuxième Tawargha. Cette ville a été entièrement vidée de sa population et détruite par Misrata, en octobre 2011 en représailles de son allégeance kadhafiste durant la révolution.

Le kadhafisme supposé des habitants de Bani Walid, voilà la vraie raison de ce siège pour Mouftah Abdulgabar.

«Pour Misrata, être de Bani Walid signifie pro-kadhafistes.»

Pour défendre l’honneur de sa ville, le représentant local convoque l’histoire et le droit:

«En 1993, les Warfallah ont tenté un coup d’Etat contre Kadhafi. Durant la révolution, l’OTAN nous a bombardés. A ce moment-là, nous n’avons pas suivi la révolution, mais nous n’avons pas soutenu Kadhafi non plus. On a attendu. Aujourd’hui, il est question des suspects mais personne ne nous a donné de noms. Nous ne sommes pas opposés à les arrêter. A condition de les remettre à la justice d’un Etat qui respecte la séparation des pouvoirs.»

Une condition qui risque de prendre du temps dans un pays qui vient de nommer son deuxième Premier ministre en un mois.

«Nous demandons une intervention internationale»

«Nous demandons une intervention internationale», plaide Mouftah Abdulgabar.

Il n’a aucune confiance dans l’Etat «totalement soumis à Misrata qui possède les milices les mieux armés du pays».

El Bachir Al Muntasser est reporter dans l’unique radio locale de Bani-Walid. Il ne croit pas à une intervention internationale, mais ne doute pas en revanche de la suite:

«Je me sens triste de ce qui se passe. Bani-Walid et Misrata sont voisins. Nous devrions être des partenaires. Mais, s’il le faut nous avons la capacité de nous protéger, de nous défendre pour protéger nos enfants et nos femmes.»

Une capacité bien maigre. Pour se défendre, Bani Walid n’a que quelques check-points aux entrées de la ville. Des check-points tenus par des adolescents, Kalachnikov en bandoulière, mais qui auraient bien du mal à se servir des mitrailleuses, juchés sur les pick-up.

«Ces jeunes devraient être à l’école et pas à tenir un fusil», se désespère Icham.

Les forces militaires sont inégales mais les habitants de Bani Walid comptent sur la solidarité ethnique. La ville est l’un des fiefs des Warfallas. Or, cette ethnie est la plus importante de Libye avec environ 1,2 millions de représentants sur les quelque 6 millions de Libyens.

«Ce sera la guerre civile. Nous n’avons jamais connu ça sous Kadhafi», prévient Imbarak Raheel, qui travaillait dans une métallurgie à Misrata.

Stocks d’oignons et de pommes de terre

En attendant le pire, la population a repris des réflexes de crise. Les rues de cette ville étendue sont désertes. Le moindre trajet nécessite une voiture et il y a pénurie d’essence. Les épiceries vivent sur leur stock. Un stand sur deux est fermé sur le marché. Mohamed s’approvisionne en oignons et en pommes de terre. Pourquoi?

«Je n’ai pas beaucoup d’argent et s’il y a des coupures de courant avec la guerre, ça ne sert à rien d’acheter des légumes frais», répond-il prosaïquement.

Les voies de traverse ont repris cours. Pour se ravitailler clandestinement en médicaments et en nourriture, nombreux sont les camions à prendre les chemins escarpés au nord de la ville connus surtout des chasseurs locaux.

Amna Tikhikh a troqué son insigne de serviette de députée contre sa blouse de médecin. D’abord contrainte, puis par choix.

«Les trois premiers jours du siège, j’ai essayé d’aller à Tripoli. Mais on m’en empêchée. Maintenant, je suis plus utile ici à aider les habitants à l’hôpital ou dans ma clinique que de parler devant une assemblée.»

La seule femme indépendante du Congrès national s’est faite connaître de la population de Bani Walid pendant le bombardement de l’OTAN et la prise de la ville. Elle était l’un des seuls médecins à être restés sur place. L’histoire se répétera-t-elle?

Mathieu Galtier , à Bani Walid

 

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Mathieu Galtier, journaliste français installé au Sud Soudan.

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