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Des commerçants dans un marché congolais, juillet 2003. JACK GUEZ / AFP
Des commerçants dans un marché congolais, juillet 2003. JACK GUEZ / AFP

Francophonie: les Kinois ont le blues

Alors que Kinshasa accueille le sommet de la Francophonie, les commerçants d'un marché de la capitale rasé le 20 juillet n’ont pas le cœur à la fête. Ambiance.

Fin d’après-midi grisâtre au marché Rail. Il y a quelques mois encore, ce vaste espace de la commune Lingwala, dans le nord de Kinshasa, abritait de nombreux commerçants installés sur des étals en bois et abrités par des parasols.

Mais, le 20 juillet, la police a rasé le marché dans le cadre de l’opération Kinshasa propre et des travaux de réhabilitation du train urbain: le marché tire son nom des rails qui le traversent.

«En pleine nuit, on a commencé à détruire le marché, raconte Paul*, 32 ans. Après avoir détruit le marché, les policiers ont commencé à entrer dans des maisons, à casser toutes les maisons qui étaient derrière ce marché. C'étaient des maisons en dur, bien clôturées… Tout ça a été cassé.»

Iva, une vendeuse de poulet de 41 ans, renchérit pour sa part qu’ils ont «détruit tous nos biens, toutes nos marchandises».

Beaucoup travaillaient depuis plusieurs années au marché Rail, déjà actif lors de la colonisation belge, et certains n’ont rien pu sauver.  

«Avant de casser, on donne un ultimatum, affirme un responsable de l’opération Kinshasa propre. Les gens étaient sensibilisés depuis six mois. Ils ont pleuré, mais la loi, c’est la loi! Lorsque vous érigez une maison à 2 mètres des rails, est-ce que c’est normal? Les gens qui ont été mal habitués.»

Accompagné par le député Francis Kalombo (pouvoir), des commerçants sont allés voir, début août, le président de l’Assemblée nationale, Aubin Minaku.

Promesses non tenues

«On nous a dit qu'on va voir si on va construire un autre marché, et que si on ne va pas construire, on va nous donner une autre place. Mais jusqu'à maintenant il n'y a même pas de réaction», déplore Paul, qui vendait des gâteaux au marché, comme l’ont fait avant lui ses grandes sœurs.

«Vraiment, on est embêtés! tempête Anne-Marie, 52 ans, qui vend des légumes secs, de la pâte d’arachide, des chenilles grillées et des poissons séchés. On fait souffrir les Congolais! Est-ce que dans les autres pays qui ont accueilli le sommet de la Francophonie (du 12 au 14 octobre), ça s’est fait de cette façon?»

Une autre vendeuse, très amère, tranche que la Francophonie «n’apporte rien de positif».

Claudine, qui présente ses légumes frais sur une table improvisée, est plus nuancée sur le sommet. «Je n’ai pas un sentiment négatif mais le problème qui bat son plein, c’est comment on est en train de saccager [des marchés et des restaurants jugés clandestins] alors que les gens souffrent de la misère sur tous les plans», souligne-t-elle.

En République démocratique du Congo, deux tiers des 70 millions de Congolais vivent avec 1,25 dollar par jour. 

Parce qu’ils n’ont pas d’autre emploi, par habitude aussi, Paul, Anne-Marie, Claudine et quelques dizaines de vendeurs se sont réinstallés au marché. Ils se plaignent de la rareté des clients, tout en surveillant les patrouilles de police. Question de survie. 

«On a brûlé les produits des gens mais quand on cherche à se faire rembourser, on nous dit que c’est un marché pirate, précise Paul. Alors qui va rembourser? Personne!»

A l’arrivée de la police, on fuit. Et s’il est trop tard, on négocie. Mais «ils disent qu’ils font leur travail, que c'est "service commandé", qu'ils doivent nous chasser», peste Richard, 34 ans, qui, faute de table vend désormais de la quincaillerie sur un sac de riz.

Patrick, un habitant du quartier, raconte que quand «les Jeep arrivent, les policiers sautent sur les marchandises, les renversent. Ils n'ont pas pitié». S’interposer? «Vous risquez d'être arrêté.»

Dérapages répétés

«Nous sommes là pour la sécurité, pas pour faire des analyses. Les autorités sont là pour ça», résume le policier de Kinshasa propre.

Reste que pour éviter les dérapages —dénoncés par la municipalité, le chef de la police et des ONG— on a annoncé le déploiement d’officiers de police judiciaire (OPJ) sur le terrain.

Juste un effet d’annonce? L’agent de Kinshasa propre assure que des OPJ participent depuis toujours aux opérations.

Il souligne par ailleurs que, contrairement aux rumeurs, les policiers ne conservent pas le fruit de leur descente, et que les effets sont transférés «au parquet».

Une version contestée par plusieurs commerçants. Selon eux, les marchandises et équipements (table, parasol…) saisis sont amenés dans un commissariat. Moyennant un peu d’argent, «on libère vos biens», explique Paul. Une rançon qui n’a rien d’une caution pour l’avenir.

Habibou Bangré, à Kinshasa

*Les prénoms ont été changés

 

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Habibou Bangré

Habibou Bangré. Journaliste, spécialiste de l'Afrique. Elle collabore notamment avec The Root.

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