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François Hollande et le roi Mohammed VI, à l'Elysée, mai 2012. © REUTERS/POOL New
François Hollande et le roi Mohammed VI, à l'Elysée, mai 2012. © REUTERS/POOL New

François Hollande peut-il tout dire sur le Maroc?

Le président français semble exclure le royaume chérifien de sa nouvelle doctrine diplomatique pour l’Afrique.

Le président français a annoncé, le 5 octobre, à La Valette, la capitale de la République de Malte, en marge du sommet des chefs d’Etat et de gouvernement des pays du Dialogue euroméditerranéen 5+5, qu’il se rendra «avec grand plaisir» en visite au Maroc, au début de l’année prochaine «pour renforcer les liens d’amitié et les perspectives d’avenir»  (le Dialogue 5+5 est une enceinte de dialogue politique informel qui regroupe dix pays riverains de la Méditerranée).

«Est-ce pour faire passer la pilule de la visite d'Etat de François Hollande à Alger, prévue le 5 décembre, et qui inquiète beaucoup Mohammed VI?», s’interrogeait Maghreb Confidentiel.

Le journal faisait, en même temps, la comptabilité des délégations ministérielles en direction du Royaume, qui culmineront avec le déplacement du Premier ministre français, Jean-Marc Ayrault, le 12 décembre, pour l'inauguration du tramway de Casablanca, dont l'explotation a été attribué à des entreprises françaises.

En effet, Rabat a toujours soupçonné la nouvelle présidence française de tropisme algérien même si ces inquiétudes se sont quelques peu dissipées.

Finie la Françafrique?

Le 27 août 2012, François Hollande traçait les grandes lignes de la diplomatie française, à l’occasion de la traditionnelle Conférence des ambassadeurs, au palais de l’Elysée. Le chef de l'Etat français avait déclaré la vouloir en rupture avec la Françafrique.

François Hollande a tenu à présenter sa propre vision de l’Afrique:

«Un continent en forte croissance, et qui le sait, et qui ne supporte plus le discours larmoyant à son endroit. Des sociétés qui se développent vite, portées par une démographie forte. Un continent où la démocratie progresse, où l’environnement et l’énergie sont autant de sujets majeurs.»

Mais surtout, avec son annonce controversée de se rendre au sommet de la Francophonie à Kinshasa, François Hollande a affirmé que la politique africaine de la France doit être «différente du passé».

Avant tout, «elle doit être fondée sur la transparence dans nos relations commerciales et économiques, la vigilance dans l'application des règles démocratiques et le respect aussi des choix souverains», avait-il déclaré.

Et pour bien montrer que ses paroles, souvent entendues de Paris, s’accompagnent d’actes concrets, le président annonçait qu’il irait en République démocratique du Congo, à la rencontre de l'opposition au président Joseph Kabila.

«J'y rencontrerai l'opposition politique, les militants associatifs, la société civile. C'est le sens de la nouvelle politique africaine de la France: tout dire partout et faire en sorte que ce qui soit dit soit fait.»

Un discours de realpolitik

C’est aussi un choix de realpolitik, puisque l’Afrique est plus que jamais dans le viseur d’un projet de transformer les diplomates en VRP des entreprises françaises.

«Laurent Fabius vous présentera un plan d’action pour ce que nous avons appelé la diplomatie économique. L’enjeu, c’est la capacité d’être plus compétitif, de conquérir des marchés et nous devons chacun y prendre notre part», avait fait savoir le chef de l’Etat français à ses ambassadeurs.  

Le Maroc est depuis toujours le terrain de chasse fétiche de cette «diplomatie économique» que semble vouloir réinventer François Hollande. Et jamais les turpitudes du royaume en matière de droits de l’Homme n'ont pertubé cette «diplomatie économique».

Le premier chef d'Etat africain à être reçu à l’Elysée par Hollande a été Mohammed VI. Le président français lui avait accordé, le 24 mai, un entretien de 40 minutes alors que le roi était en voyage privé en France.

L'Elysée avait alors affirmé dans un bref communiqué l'attachement de François Hollande à l'amitié entre la France et le Maroc et souligné les liens exceptionnels qui la caractérise.

La France solidaire du roi

Le chef de l'Etat français «a salué le processus de réforme démocratique, économique et sociale en cours dans le royaume à l'initiative du roi», avait indiqué la présidence, soulignant que «la France se tient aux côtés du Maroc dans la voie qu'il a choisie de modernisation économique et d'approfondissement de l'Etat de droit».

Dans son message de voeux et de félicitations adressé au souverain à l'occasion de la Fête du Trône (30 juillet), François Hollande en rajoutait une couche:  

«Les douze derniers mois ont été résolument denses pour le royaume», avec l'adoption de la nouvelle Constitution, l'organisation d'élections législatives «exemplaires» et le lancement «des chantiers ambitieux pour répondre aux aspirations des Marocains».

«Le Maroc a traversé cette période de changement intense avec succès», s'est-il réjoui, renouvelant la disponibilité de la France à soutenir les efforts du Maroc dans ce processus de réformes.

«Je tiens à exprimer à nouveau à Votre Majesté les sentiments de haute estime que m'inspire l'oeuvre qu'elle accomplit. Je lui souhaite plein succès dans la mise en oeuvre des réformes qu'elle a décidées», avait-il conclu.

Aucune allusion aux contestataires

Pas un mot, pas une allusion aux revendications de la société civile sur ce qu’elle considère comme des réformes en trompe-l’œil, ni aux jeunes militants qui ont battu le pavé pendant un an et dont nombre d’entre eux croupissent depuis en prison.

Rien non plus sur la corruption de proches du régime et de membres de son appareil sécuritaire, dont certaines affaires avaient filtré au plus fort du printemps arabe grâce à Wikileaks, sans parler de la répression qui touche les médias indépendants à l’image du harcèlement que subit actuellement le journaliste Ali Lmrabet.  

Dernier exemple en date, celui du retrait d’accréditation d’un journaliste de l’AFP à Rabat qui n’a pas suscité d’émoi à Paris. Le porte-parole du Quai d’Orsay s’est tout juste borné a rappeler «l’attachement que porte la France à la liberté de la presse».

Les visites répétées des «VRP» de la France à Rabat, depuis l’élection de Hollande n’ont pas non plus été l’occasion d’aller à la rencontre des voix dissidentes, ne serait-ce que celles qui dénoncent avec vigueur «les cadeaux empoisonnés de la France», à l’image du très controversé projet du TGV voulu par l'ancien président français Nicolas Sarkozy et dont le volet financier avait été dénoncé par le Parti socialiste.

«Après Nicole Bricq (Commerce extérieur) et Manuel Valls (Intérieur) en juillet, puis Hélène Conway (Français de l'étranger) fin septembre, Geneviève Fioraso (Enseignement supérieur) se rendra au Maroc en octobre. En novembre, c'est le ministre de l'Economie, Pierre Moscovici, dont la cote de popularité atteint des sommets du côté de Rabat qui est attendu», rappelle Maghreb Confidentiel.

Sur le dossier sensible du Sahara Occidental qui mine depuis trente ans les relations algéro-marocaines, François Hollande a vite fait de chausser les bottes de ses prédecesseurs, alors que même son Premier ministre qualifiait jusqu’à sa nomination d'«occupation» la présence marocaine sur ce territoire contesté.

Le problème ici est moins d’assumer l’alignement de Paris sur les thèses de Rabat, mais d’expliquer les raisons de cette volte-face.

Des promesses déjà oubliées?

Il est déjà loin aussi le temps où Jean‑Marc Ayrault alors président du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche à l’Assemblée nationale et député‑maire de Nantes recevait les figures montantes de la contestation au Maroc et leur promettait qu’avec les socialistes au pouvoir, leur voix allait être entendue par la France.

Alors que Mohammed VI tarde toujours à nommer un ambassadeur à Paris, une nouvelle légion pro-marocaine s’est constituée autour de François Hollande perpétuant le lien magique qui lie la France avec son ancien protectorat.

Ali Amar, de Rabat

 

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Ali Amar

Ali Amar. Journaliste marocain, il a dirigé la rédaction du Journal hebdomadaire. Auteur de "Mohammed VI, le grand malentendu". Calmann-Lévy, 2009. Ouvrage interdit au Maroc.

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