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Mali: La société civile libère la parole
Le sort du Mali fait l'objet de tous les débats au sein de la communauté internationale. A Bamako, des élus et membres de la société civile des régions occupées du nord se sont réunis pour des échanges sans tabou.
Mise à jour du 12 octobre 2012: Le projet de résolution sur le Mali proposé par la France devrait être adopté vendredi après-midi par le Conseil de sécurité de l'ONU, a indiqué le 12 octobre soir la mission française auprès de l'ONU.
L'adoption de ce texte "est prévue vendredi" à 15H00 locales (19H00 GMT), a annoncé la mission sur son compte Twitter.
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Il y a Dupont et Dupont, qui se répètent à l'infini, et il y a Dioncounda Traoré et Cheick Modibo Diarra, qui se contredisent sans cesse.
Quand le président de la transition assure que les régions occupées du Mali seront libérées «dans très peu de temps», le Premier ministre pense que cela prendra «des années».
Quand Dioncounda Traoré annonce que «notre premier choix reste le dialogue et la négociation», Cheick Modibo Diarra pense plutôt que «le temps pour ces négociations est passé».
Cette dernière différence de point du vue se ressent en réalité à l'échelle de la population, comme l'ont montré les Assises de l'occupation, organisées les 3 et 4 octobre à Bamako par la Coalition pour le Mali. Thème principal:
«Comment l'occupation est vécue par les populations du Nord du Mali.»
Et un thème complémentaire surgit: êtes-vous pour ou contre une intervention armée?
Des Touaregs et des Arabes à Bamako
En l'absence d'initiatives officielles (concertation nationale sans cesse repoussée), les rencontres proposées depuis plusieurs mois par ce regroupement qui se veut apolitique constituent les seuls cadres de témoignages, de débats et de propositions pour les acteurs du nord du pays, occupé depuis avril par des groupes armés djihadistes.
Cela faisait longtemps qu'on n'avait pas vu dans un hôtel de la capitale malienne autant de Touaregs et d'Arabes enturbannés. Beaucoup avaient quitté Bamako, dès le début de l'année, après des émeutes à caractère raciste.
«Entre ceux qui continuent de privilégier le dialogue, ceux qui ne croient plus au dialogue, ceux qui croient que l'action militaire inévitable est la seule option, et ceux qui croient que des élections et un gouvernement élu sont les préalables à toute action, il est urgent que la volonté et la voix du Mali soient entendues clairement, nettement sans ambiguïté», a déclaré Tiébilé Dramé, cerveau des Assises, lors du discours d'ouverture.
Plusieurs heures de témoignages parfois houleux d'élus et de membres de la société civile ont rompu avec l'inertie qui prévalait jusqu'à présent.
On a pu entendre des éclats de voix, des huées et des déclarations sans langue de bois. Comme cet habitant de Gao, qui a lancé aux représentants des Etats-Unis assis au premier rang:
«Il n'y aura pas d'élections au Mali sans le nord.»
Les Etats-Unis ont plusieurs fois réclamé des élections, même imparfaites, avant toute intervention.
Ou comme cet autre intervenant, accusant l'Occident:
«C'est à cause des Etats-Unis et de la France qu'on en est là, ils n'ont qu'à venir régler le problème!»
Des opinions peu partagées par la salle. Que peut-on donc retenir de toutes ces interventions?
L'option militaire gagne du terrain
Une intervention armée est réclamée par une majorité des intervenants, notamment ceux toujours présents dans le nord, venus à Bamako pour l'événement.
Cet élu touareg de Kidal, pour qui l'anonymat est une question «de vie ou de mort». Car, il retournera à Kidal après les Assises, estime qu' «il faut une intervention quelles que soient les conséquences». Une opinion partagée, selon lui, par les habitants de Kidal, qui «n'osent pas le dire».
Ceux qui privilégient la négociation sont «des gens irresponsables, voire des complices», pense Abdoulaye Diallo, conseiller communal de Ouatagouna (région de Gao).
«Quand quelqu'un occupe ta maison il faut d'abord qu'il sorte avant de discuter. Tout Nordiste à qui il reste un peu de dignité à défendre devrait être pour l'offensive.»
«On ne fait pas d'omellettes sans casser les oeufs», abonde le maire de Léré, Cheickna Dicko. Lui qui n'a «pas pu mettre les pieds dans sa ville depuis sept mois» est «pressé de l'intervention».
Pour cet élu dont une grande partie des administrés sont réfugiés en Mauritanie, c'est aussi une nécessité humanitaire.
«La saison froide va commencer. C'est un vrai danger pour les personnes réfugiés dans ces zones désertiques.»
Plus mesurée, le porte-parole des Jeunes patriotes de Gao, Hamil Boubacar Cissé, estime qu'«il faut au moins se positionner militairement car pour négocier il faut être en position de force».
Des ennemis loin d'être invincibles
Il n'est pas le seul à penser que les occupants «n'ont rien d'extraordinaire» et qu'une offensive militaire ferait fondre leurs rangs.
«S'il y a une riposte sérieuse, leur nombre va se diviser par 20 car la plupart sont des opportunistes. Ceux qui sont près à se battre pour une idéologie ne sont pas nombreux», pense également l'élu de Kidal, qui vit avec eux au quotidien.
«Depuis le discours de François Hollande à l'ONU, ces gens-là ont commencé à avoir peur. Ils vont fuir», assure Hamil Boubacar Cissé.
«Au premier coup de feu de l'armée malienne, nous aussi on va déloger ces gens qui ne sont pas des islamistes, mais cherchent un territoire pour être en sécurité et faire leurs affaires.»
Qui sont «ces gens-là»? A Gao, des étrangers d'Afrique noire et du Maghreb. A Tombouctou, un représentant du Haut Conseil Islamique assure que «la majorité des noirs membres d'Ansar Dine à Tombouctou sont des bambaras et des Maliens du Sud.»
D'autres élus rapportent que dans leurs localités, ce sont les habitants des lieux qui «occupent» leurs propres villes.
Des situations très diverses qui poussent certains intervenants à souhaiter explorer aux maximum les pistes de la négociation, car le camps adverse est en grande partie composé de «nos fils», et la guerre contre les occupants pourrait cacher une guerre civile.
Le vrai Ansar Dine
Un symbole était également attendu à ces Assises en la personne de Cheick Madani Ousmane Haidara, chef charismatique du mouvement religieux populaire Ansar Dine, dont le nom a été récupéré par un des groupes djihadistes.
«L'islam n'a jamais été répandu par la guerre», a-t-il déclaré (avec quelques contre-vérités historiques), en rappelant que la religion ne pouvait être une contrainte et que l'islam du Mali s'était toujours distingué par sa tolérance à l'égard des autres religions et par sa pratique relativement souple.
Cet islam malien est aujourd'hui menacé dans sa genèse même, car les manuscrits de Tombouctou, aux mains des islamistes, «contiennent en eux l'origine de l'adapatation de l'islam aux coutumes locales», a rappelé le député de Tombouctou, El Hadj Baba Haïdara.
Si ces Assises ont libéré la parole, les participants ont regretté l'absence des décideurs de l'armée et du gouvernement, qui ont perdu là une occasion de montrer qu'ils s'intéressent réellement aux problèmes de leur pays.
Les Touaregs victimes d'amalgame
Ces rencontres ont également eu leurs déçus. A commencer par Rissa Mohamed. Le lendemain du coup d'Etat, ce Touareg trentenaire a fui Kidal pour se réfugier au Niger. Il a récemment rejoint Bamako par le Burkina Faso.
«On ne peut pas passer par Mopti-Sévaré. L'armée malienne fait des misères aux Touaregs, qu'elle assimile à des islamistes ou des rebelles, témoigne-t-il à voix basse dans l'un des salons de l'hôtel, en fumant cigarette sur cigarette. Ils sont en train de faire l'amalgame», regrette-t-il, à propos de certains intervenants, «exclusivement des Songhai».
«Ils mettent tous les problèmes sur le dos des Touaregs.»
Pour lui une grande partie du problème malien est à chercher dans les rivalités entre tribus touareg, «mais les gens ne connaissent pas ça et n'en parlent pas».
Lui ne veut pas en parler: «Les gens vont nier ou dire n'importe quoi.»
Fabien Offner
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