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Adama Dahico, dans les rues d'Abidjan, janvier 2009. © KAMBOU SIA / AFP
Adama Dahico, dans les rues d'Abidjan, janvier 2009. © KAMBOU SIA / AFP

Adama Dahico, le Coluche ivoirien qu'on veut faire taire

Candidat à la présidentielle en 2010, l'humoriste Adama Dahico est désormais interdit d'antenne à la télévision ivoirienne et subit une vindicte, liée à son soutien à Laurent Gbagbo au second tour de l'élection.

Des grappes de jeunes s’agrippent à la voiture décapotable. Le passager lève les bras pour saluer la foule.  

«Dahico président!», s’égosillent des dizaines de groupies qui l'apostrophent en dioula (langue du Nord de la Côte d'Ivoire). La scène se passe à Adjamé, près du «marché aux voleurs», en octobre 2010.

Adama Dahico, qui est l’un des quatorze candidats au premier tour de la présidentielle ivoirienne, mène campagne dans le quartier populaire d'Abidjan, où il est né le 10 mai 1968, la «nuit des barricades» en France (événements de mai 68).

C'est là que ce fils de docker malien, d'origine dogon, a grandi dans une cour commune, parmi des émigrés de l'Afrique de l'Ouest.

Aîné d'une famille nombreuse, il a arrêté ses études en classe de seconde pour faire du théâtre. Et se former sur le tas pour devenir, à la fin des années 1990, une vraie star dans son pays, vedette de maints feuilletons télévisés, créateur du festival du rire dans la capitale économique ivoirienne, et conquérir les salles de nombreux pays africains.

«J'arrêterai de faire de la politique quand les hommes politiques cesseront de jouer la comédie», proclame celui qu'on surnomme le Coluche ivoirien. 

Avec sa gouaille imbibée de nouchi, l'argot local, Dahico, un nom d'emprunt qui signifie ivrogne en nouchi, brocarde depuis des années les politiciens locaux, qu'il qualifie de «politiriens».

«Un politirien, c'est quelqu'un qui ne fout rien pour son pays, qui pense que le développement commence par lui et s'arrête à lui, qui est venu à la politique pour s'enrichir», persiffle Adama Dolo, son vrai nom à l'état civil.

Face à lui, Laurent Gbagbo, le sortant, Bédié, l'ex, renversé par un coup d'Etat en 1999, et Alassane Ouattara. Trois poids lourds qui depuis presque vingt ans se disputent l'héritage d'Houphouët-Boigny (le premier président ivoirien, au pouvoir de 1960 à 1993).

«C'est le fou du roi», s'insurgent ceux qui soupçonnent le comique de rouler pour Gbagbo, qui lui a donné par décret la nationalité ivoirienne en 2005, à l'âge de 37 ans. Le clown va faire son tour de piste et, comme Coluche en 1981, renoncer?

Mais non, il continue, réunit la caution de vingt millions de francs CFA (plus de 30.000 euros) pour se présenter et se prend même au jeu de la compétition présidentielle.

Le 29 octobre 2010, les Ivoiriens qui sortent de huit ans de crise politico-militaire n'ont pas le cœur à rire. On n'entend pas une mouche voler dans les longues files d'attente qui se forment religieusement devant les bureaux de vote.

Plus de 80% de votants et seulement une grosse dizaine de milliers de voix pour Adama Dolo qui termine onzième sur quatorze candidats. Le fils d'émigré malien se désiste alors pour Gbagbo qui, sur un plan purement mathématique, est en fâcheuse posture, après le ralliement de Bédié à Ouattara.

La guerre, il l'a vécue chez lui

Dahico va vivre toute la crise postélectorale en direct dans sa maison d'Abidjan avec son épouse et ses six enfants. Après le 11 avril 2011 et la chute de Gbagbo, bombardé par les hélicoptères français dans sa résidence présidentielle, il décide de reprendre ses activités artistiques  pour marquer, dit-il, son «adhésion à la paix à la réconciliation et surtout à la reconstruction du pays».

La suite, il la raconte lui-même à SlateAfrique:  

«Je me suis rendu à l'investiture du président Ouattara à Yamoussoukro, où il m'a fait la promesse de me recevoir quand tout sera calme. Deux jours après l'investiture, j'ai été enlevé par des éléments des FRCI. Après m'avoir séquestré et dépouillé de mes trois portables, de ma montre et de mon argent, ils sont partis avec mon véhicule de type 4x4, que je n'ai jamais retrouvé. Mon domicile à Abobo a été pillé par des éléments en armes. On a volé mes meubles, mes vêtements, des matériaux de construction, vingt pots de peinture, un groupe électrogène et des carreaux en grande quantité. La raison évoquée: on m'accuse d'avoir soutenu le président Laurent Gbagbo.»

Quinze mois après, l'amuseur public n'a toujours pas été reçu par le président Ouattara. Pire, il est interdit de télévision et affirme ne plus pouvoir exercer son métier d'humoriste.

«Tous les spots et reportages dans lesquels je suis annoncé, sont censurés, raconte t-il. Je suis entré en studio pour produire un single musical intitulé Le pardon dans lequel j'adressais un message de paix, mais les responsables de la Radio Télévision Ivoirienne n'ont pas donné de suite à ma production. Je leur ai aussi proposé sans succès un partenariat pour une émission d'humour.»

Prétexte invoqué par une responsable marketing de la chaîne:

«Adama Dahico a été candidat à l'élection présidentielle. Il est une personnalité politique. Il fait partie des personnalités les plus importantes du pays et on ne doit pas utiliser son image à des fins commerciales. C'est une question de déontologie.»

A-t-il choisi le mauvais camp?

Pour le régime Ouattara qui a la rancune tenace, le saltimbanque Dahico n'existe donc plus. Il a été tué par le candidat.  

«Je suis interdit d'activité dans mon pays et obligé de faire mes tournées à l'extérieur avec mon nouveau spectacle, un one man show intitulé Du CP1 à la CPI. Je l'ai joué en grande première à Ouagadougou le 14 juillet, deux fois de suite la même nuit dans une salle comble de 3.000 places. Dans mon pays, on veut me réduire au silence et je crie injustice!»

Regrettez-vous de vous être présenté à la présidentielle? Cette question, le «bouffon» de la politique ivoirienne refuse d'y répondre. Laurent Gbagbo, c'est toujours «son ami», même si Alassane Ouattara est devenu «son frère».

A tous les deux, il adresse cette supplique:  

«Dans cinquante ans, nous espérons que nos hôpitaux ne seront plus des mouroirs publics, que nous aurons davantage de médicaments pour soigner nos malades, de l’eau potable sur toutes les étendues de nos territoires, des emplois pour les jeunes, car on ne peut pas finir des études et aller s’asseoir pour gérer une cabine téléphonique. Il faut que les gouvernants créent les conditions de bonne gestion de l’environnement et de meilleure utilisation de nos ressources naturelles. Qu’ils ne se contentent plus de se remplir les poches. Pendant cinquante ans, ils ont pensé à eux-mêmes, qu’ils pensent maintenant aux populations pendant les cinquante ans à venir.»

Philippe Duval 

 

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Philippe Duval

Philippe Duval. Journaliste français, spécialiste de l'Afrique. Auteur de Côte d’Ivoire, chroniques de guerre (Harmattan, 2012).

Ses derniers articles: Les djihadistes surestiment leurs forces  Mamadou Koulibaly, le révolté ivoirien  Saint-Sylvestre tragique à Abidjan: l’heure des questions 

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