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L'enfer des Soudanais des monts Nouba en Libye
Ils viennent des hauteurs des monts Nouba au Soudan. Installés à Tripoli, ils sont soupçonnés d'être pro-Soudan du Sud et traqués au quotidien.
Les Soudanais originaires des monts Nouba exilés à Tripoli, la capitale libyenne, vivent dans la peur et la clandestinité.
Selon eux, des espions de Khartoum les traquent, car ils sont considérés comme proches du Soudan du Sud. Une opération dans laquelle Tripoli apporterait son concours à son voisin.
A l’autre bout du fil, Hicham* hésite.
«Pas chez nous, vous êtes blancs, on vous repérera facilement… Dans un hôtel? Non, il pourrait y avoir des agents… Un lieu public? Des blancs qui discutent avec des noirs, ça ferait bizarre…»
L’entretien a finalement lieu dans une église. Le lieu est fréquenté par les chrétiens africains expatriés. C’est seulement dans le bureau du pasteur que les cinq musulmans Soudanais originaires des monts Nouba acceptent de parler.
Quelques jours plus tôt, dans le bureau de Ghada Abdulrazak, la responsable du service des minorités du Haut Commissariat aux Réfugiés (HCR), Hicham résumait ainsi la situation:
«L’ambassade soudanaise à Tripoli demande aux autorités d’arrêter les Soudanais des monts Nouba. Elle veut nous renvoyer à Khartoum pour que l’on soit jugé comme terroristes.»
Pour comprendre la peur actuelle d’Hicham et de ses amis, il faut d’abord se plonger dans les soubresauts de l’histoire soudanaise.
Originellement, le peuple nubien à la peau noire occupait le Soudan avant l’arrivée des Arabes au XIe siècle. Aujourd’hui, ils vivent principalement au nord du pays et au sud, dans les monts Nouba situés dans les régions du Sud-Kordofan.
Durant la guerre civile, nombreux sont les Nubiens à avoir pris fait et cause pour les rebelles sudistes du Mouvement de libération des peuples du Soudan (MLPS) contre les autorités de Khartoum dominées par les Arabes. Le 9 juillet 2011, le Soudan du Sud obtient son indépendance, mais le conflit entre les deux armées perdurent aux abords d’une frontière encore à définir.
Depuis, beaucoup de Nubiens des Etats frontaliers du Sud-Kordofan et du Nil Bleu sont arrêtés, soupçonnés d’être des agents de la branche nordiste du MLPS.
«Dire du mal du Soudan, c’est dire du mal de la Libye»
Une persécution qui déborde les frontières soudanaises pour s’étendre en Libye, assurent donc certains exilés soudanais, qui ne cachent effectivement pas leur sympathie pour le Mouvement de libération des peuples du Soudan.
Dans le petit bureau surchauffé, les histoires de menaces et de vexations se succèdent, crescendo.
Un jour, Imad se rend à l’hôpital pour une prise de sang. Il tend sa carte de santé (où figure sa nationalité) à la secrétaire:
«Elle me demande d’où je viens au Soudan. Quand je lui réponds du Sud-Kordofan, elle réplique: “Vous êtes des gens mauvais. Vous êtes contre Omar el-Béchir (président du Soudan)".»
Même assis sur une chaise, Ali ne peut cacher sa haute stature. Le jeune homme de 23 ans n’est pas à proprement parler un partisan du MLPS. Lui, il est membre d’un groupe appelé Jeunesse soudanaise. Il a été arrêté une semaine après avoir écrit un message hostile à Khartoum sur un mur à Tripoli.
S’il n’est pas légalement interdit d’être un opposant à Omar el-Béchir dans le nouvelle Libye, mieux vaut ne pas le crier trop fort.
«J’ai un ami dans la police, explique Khaled. Il m’a clairement dit: “Je sais que tu es un activiste. Fais attention. Si tu parles mal du Soudan, c’est comme si tu parlais mal de la Libye. Il y a des connexions entre les deux pays”.»
«Personne n’est rapatrié de force»
«Absurde», rétorque-t-on, en substance, à l’ambassade soudanaise, située également à Gargaresh, au bord de la Méditerranée.
«Nous n’avons aucune influence sur la police libyenne, assure Suharif Salih, l’assistant du consul. Personne n’est rapatrié de force au Soudan. Si un membre du MLPS vient dans mon bureau pour demander de l’aide, je le ferai. C’est un citoyen soudanais avant tout.»
Difficile de démêler le vrai du faux. Surtout que la communauté internationale a du mal à agir pleinement dans un pays encore en pleine reconstruction après sa révolution.
«Sous Kadhafi, nous avons toujours été là avec un statut ambigu. Il y avait des accords à l’amiable, mais jamais rien de formel. Maintenant, il y a un processus en cours», justifie Emmanuel Gignac, chef de mission du HCR en Libye.
L’organisation attend donc l’officialisation de sa mission pour recenser cette population et les aider, le cas échéant, à obtenir le statut de réfugiés.
L’histoire d’Ibrahim résume l’impasse.
«En mars, vers six heures du soir, une quinzaine de policiers et des Soudanais viennent à la maison. Ils cherchent des armes, de l’or et l’argent. Ensuite, ils m’embarquent en me frappant avec un bâton sur les mains, les épaules et me donnent des coups de pieds.»
Le premier commissariat refuse de s’occuper de l’affaire, car les agents n’ont pas de papiers justifiant l’arrestation. Au second, on l’interroge:
«Où caches-tu les armes pour tes amis du MLPS? Tu es noir, tu étais avec les pro-kadhafistes durant la révolution, non? Est-ce que Kadhafi a soutenu le MLPS?»
A chaque fois la même réponse:
«Je ne sais pas.»
Il reste emprisonné dix jours. Le lendemain de sa libération, il est de nouveau arrêté pendant 41 jours.
«Ils me répétaient que j’allais retourner au Soudan. J’avais peur de retourner à Khartoum.»
Sitôt libéré, après avoir payé 5.000 dinars (environ 3.125 euros), Ibrahim, grâce à des amis, fait sortir sa femme de Libye.
«Notre futur est sans espoir»
La vie de ces Soudanais, installés en Libye depuis les années 80 pour la plupart, est devenue un enfer à cause de la peur, justifiée ou non.
«Je déménage tous les trois à six mois, détaille Hicham. Maintenant, je vis dans le chantier où je travaille. Qu’est-ce qu’on peut faire? On ne peut pas retourner chez nous (dans les monts Nouba, Ndlr), c’est la guerre. A Khartoum, on serait emprisonnés immédiatement. Et ici, on se cache parce qu’on a peur. Notre futur est sans espoir.»
Au bureau de l’immigration illégale, le responsable, Massoud Al Goubi, ne nie pas les arrestations de Soudanais, «mais seulement parce qu’ils n’ont pas de visa».
Seulement, pour obtenir un visa il faut justifier d’un travail reconnu légalement. Ce qui n’est pratiquement jamais le cas des immigrés africains, soudanais ou autre. C’est un simple «prétexte» pour Hicham.
Comme cette interpellation dans un bus dont ont été témoins Maryline Dumas, correspondante de la Tribune de Genève et de la Deutsche Welle, et l’auteur de ces lignes.
Notre véhicule est arrêté à un check-point à l’entrée ouest du centre de la ville, début septembre. Un policier monte pour examiner les passagers. Il pointe le seul noir présent:
—D’où tu-viens?
—Du Soudan.
—Suis-moi!
«Le policier n’a même pas cherché à vérifier ses papiers. Il l’a embarqué, dès qu’il a dit qu’il était Soudanais», s’est offusquée Maryline Dumas. Sûrement, a-t-il été mis en détention dans le camp de Touycha, à 30 minutes de Tripoli.
«Les Soudanais ne sont pas les plus nombreux, mais il y en a régulièrement. Je suppose que c’est parce qu’ils n’ont pas de papier. Vous savez, on ne nous dit pas les raisons. On ne les demande pas non plus», admet le chef du camp.
*Les prénoms ont été modifiés.
Mathieu Galtier
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