mis à jour le

Manifestation du FIS (Front islamique du Salut) à Alger le 14 septembre 2012. REUTERS/ Louafi Larbi
Manifestation du FIS (Front islamique du Salut) à Alger le 14 septembre 2012. REUTERS/ Louafi Larbi

L'exception algérienne face à «L'innocence des musulmans»

Face à «L'innocence des musulmans», des Algériens ont choisi de ne pas croire à l'innocence des islamistes.

C'est un drapeau écrit blanc sur noir. Celui de l'United States of salafistes. On le voit de plus en plus: du Sahel et jusque sur les ambassades américaines en Tunisie ou ailleurs. Ce drapeau désigne paradoxalement un pays à venir selon les idées d'un pays révolu.

Ce drapeau fait aussi dans le remake: il a ses martyrs, fait sa guerre de libération, a son hymne (l'Adhan), ses ennemis, ses otages, sa vision du monde aveugle et ses foules. Il vise cependant un peu plus que les décolonisations: la terre entière, convertie en une mosquée totale face à l'Eglise totale qui veut gouverner la terre entière, selon lui.

Passons, car ce n'est pas le sujet du jour mais le sujet du siècle. La question du jour est celle qui étonne les Algériens et le reste du monde: pourquoi en Algérie il n'y pas eu de manifestations salafistes violentes contre le film L'innocence des musulmans?

Des réponses sont en circuit: la première veut que cela soit à cause de la police algérienne. Elle est rodée, sait contenir les manifestations, même celles organisées dans la tête, possède vingt ans d'expérience dans la gestion des foules et des vastes ronds-points et a le fichier le plus long au monde de ses islamistes, affidés, descendants, ascendants et sympathisants.

La seconde thèse est que l'Algérie est un pays post-mortem: tout le monde y est mort politiquement, sauf Abdelaziz Bouteflika qui a prouvé qu'il est vivant télévisuellement.

On est, selon la théorie, dans le post-islamisme, le post-socialisme, la post-décolonisation et la post-illusion et pré-emploi. Ici donc, selon cette thèse, les gens ne sont plus que des piétons ou des importateurs. Ni salafistes, ni progressistes.

200.000 morts et beaucoup de souffrance

L'activité politique se résume à redresser ou à s'asseoir ou à partir. Donc, dans un pays qui a connu une guerre civile, 200.000 morts et beaucoup de souffrance, on se passe un peu de l'illusion salafiste et islamiste. Et de son contraire aussi.

L'Algérie n'est plus dans la phase FIS (Front islamique du salut), mais dans la phase Al Qaïda. Le drame d'un diplomate tué par des salafistes, elle l'a vécu quelques semaines avant les Etats-Unis.

Le drame du 11-Septembre, elle l'a vécu dix ans avant les Etats-Unis. Le «dégage!», elle l'aurait vécu il y a vingt ans avant la place Tahrir. Un des rares domaines où nous sommes en avance sur le reste de l'humanité.

L'autre théorie qui explique un peu la singularité algérienne est justement la singularité algérienne.

Ce pays a cinquante ans: il est plus jeune que ses dirigeants. Les jeunes sont plus nombreux que les vieux mais se sentent plus vieux que le reste de l'humanité. C'est un pays où on enregistre dix émeutes par jour mais seulement une révolution par siècle.

Tout le monde y parle de l'au-delà, y vit déjà, y va un peu ou en revient après dix ans de guerre. Du coup, on y est sans utopie, sans illusion, en avance sur les autres, en retard sur soi. Un peu. Ou tellement. Ou seulement en apparence. Avec la plus grande mosquée d'Afrique et les plus petits partis islamistes dans le monde arabe.

Donc face à L'innocence des musulmans, des Algériens ont choisi de ne pas croire à l'innocence des islamistes. Cela a ravi un peu. Mais cela impose de rester prudent aussi.

Selon certains, la dictature est utile seulement pour faire barrage aux salafistes. Pour le reste, pour les routes, les commerces ou autre, c'est un désastre.

Donc la singularité algérienne est là: le troisième âge collectif donne cette sagesse molle sans vertèbres qui permet de rester prudent et de rester assis, sur soi.

On connaît cependant le sens de l'expérience selon le proverbe: une lanterne qui permet d'éclairer le passé. Et l'avenir? Une lanterne éclairée au gaz et au pétrole, disent les prévisions à court terme.


Kamel Daoud (Quotidien d'Oran)

A lire aussi

Charlie hebdo, brûlé par les flammes de l'enfer

Charlie hebdo joue-t-il avec le feu?

Charlie Hebdo: Des caricatures halal, c'est possible?

Charlie hebdo va-t-il trop loin?

Kamel Daoud

Kamel Daoud est chroniqueur au Quotidien d’Oran, reporter, écrivain, auteur du recueil de nouvelles Le minotaure 504 (éditions Nadine Wespieser).

Ses derniers articles: Djihadistes, horribles enfants des dictatures!  Verbes et expressions du printemps arabe  Le 11-Septembre de l'Algérie 

Kamel Daoud

Algérie

Petit bréviaire des idées les plus tragiques

Petit bréviaire des idées les plus tragiques

vu d'Alger

Les 20% de l’émirat gaulois

Les 20% de l’émirat gaulois

islamisme radical

Islam

Comment l'expression "Allahu akbar" est devenue synonyme d'un radicalisme religieux

Comment l'expression "Allahu akbar" est devenue synonyme d'un radicalisme religieux

Vu de Nouakchott

Vas-y, Charlie, c'est bon!

Vas-y, Charlie, c'est bon!

Affaire Charlie Hebdo

«Aucun texte du Coran n'interdit de caricaturer le Prophète»

«Aucun texte du Coran n'interdit de caricaturer le Prophète»

al Qaida

Petite compta

La liste des courses des djihadistes d'Aqmi

La liste des courses des djihadistes d'Aqmi

Enquête

Journalistes tués au Mali: le principal suspect

Journalistes tués au Mali: le principal suspect

Vu d'Algérie

Ces musulmans victimes du terrorisme islamiste

Ces musulmans victimes du terrorisme islamiste