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Arrêtez de tirer sur les journalistes ivoiriens
La presse ivoirienne est prise entre des impératifs de survie et certaines collusions avec des formations politiques. Pourtant, il est plus qu'urgent de mettre en place un arsenal de mesures pour réguler le secteur.
Quand tout va de travers dans un pays, c’est toujours la faute des journalistes. Mais, méritent-ils autant d’honneur ou autant d’indignité?
En Côte d’Ivoire, les médias sont souvent désignés comme l’un des principaux vecteurs de la guerre et de la haine, on les somme de reconnaître leur culpabilité, de couper les liens avec les partis politiques qui les financent, de se conformer à un code de déontologie rénové et de se joindre à l’effort national de réconciliation.
S’ils sont ainsi vilipendés, c’est qu’ils ont souvent dépassé les bornes. On ne compte plus, ces dernières années, les attaques diffamatoires ou injurieuses, les diffusions de fausses nouvelles destinées à alarmer les populations, les appels à la haine…
Et aussi les agressions contre des journaux d’opposition, sous Laurent Gbagbo, mais aussi sous Alassane Ouattara.
Mais, il faut remarquer qu’en dix ans de crise, aucun journaliste ivoirien n’est mort dans l’exercice de ses fonctions. La seule victime est française: Jean Hélène, journaliste à RFI. L’acte d’accusation contre les médias est donc lourd. Mais doit-on jeter le bébé avec l’eau du bain qui, elle, est particulièrement saumâtre.
La presse est toujours le reflet de la société qui l’environne, sauf dans les Etats totalitaires où, bien sûr, les médias sont aux ordres et n’ont pour mission que d'endoctriner la population et lui indiquer le droit chemin.
C’est une évidence de constater que la Côte d’Ivoire n’est pas à classer dans la catégorie des tyrannies, ni sous Ouattara, ni sous Gbagbo qui, il faut le rappeler, n’a jamais envoyé un journaliste en prison pour un délit de presse.
En finir avec le règne des pots-de-vin
En Côte d’Ivoire, on compte en effet une petite vingtaine de journaux, qui couvrent à peu près tout le champ des opinions dominantes. Un grand nombre vivote avec moins de cinq mille exemplaires quotidiens, un seuil nettement insuffisant pour assurer leur rentabilité économique. D’où un financement, plus ou moins occulte, par des acteurs politiques qui espèrent ainsi influer sur le cours des événements.
En Côte d’Ivoire, la politique est toujours considérée comme le principal moyen de réussite personnelle, et accessoirement d’enrichissement rapide. Très rares sont les journaux financés par de véritables acteurs économiques.
Dans ce contexte, les journalistes, payés au lance-pierre, sont contraints pour boucler leurs fins de mois de chasser le «gombo» (pot-de-vin), de demander «le prix du transport» ou même de vendre leur «papier». Des pratiques choquantes mais en parfaite harmonie avec l’univers de corruption qui les environne.
Il faut rappeler que les journalistes sont aussi au service de leurs lecteurs. Et, qui, à l’instar des titrologues, grands propagateurs de rumeurs matinales, de fausses nouvelles, et avides de manchettes sensationnelles, ne s’embarrassent pas toujours de considérations déontologiques.
Que faire dans un environnement si pollué? Brandir le bâton, débroussailler à la machette, agiter sous le nez des contrevenants un code d’ordre moral?
Sans recourir à des décisions brutales qui menacent la liberté de la presse, il existe un arsenal de mesures et de principes qui permettraient de réguler le secteur à plus ou moins long terme et d’assurer la survie de quelques-uns dans un environnement de plus en plus périlleux avec la concurrence exacerbée du Web.
Des mesures urgentes à mettre en place
- Les délits de presse (diffamation, injure, propagation de fausses nouvelles, etc.) sont du ressort de la seule justice et non pas d’un organe de régulation dépendant de l’Etat et distribuant les punitions collectives sous forme de suspensions de journaux. Ils sont individuels, le journaliste, auteur de l’article, et son directeur de publication pouvant seuls encourir les foudres de la loi. En cas de véritable menace de l’ordre public, le ministère de l’Intérieur peut délivrer des sanctions parfaitement identifiées comme telles.
- La diffusion totale de la presse quotidienne n’atteint pas deux cent mille exemplaires. C’est beaucoup trop peu pour assurer la survie d’une vingtaine de journaux. Il est donc nécessaire que, abandonnant leurs chapelles respectives, ils se regroupent sous la bannière de quatre ou cinq titres pour offrir de meilleures conditions de salaires à leurs journalistes, un contenu plus substantiel à leurs lecteurs et un espace plus attractif aux annonceurs. Dans ce schéma, l’Etat pourrait distribuer des aides incitatives.
- Interdire les financements de médias par les partis politiques est parfaitement utopique. L’action des organismes de contrôle doit se limiter à les identifier, à les encadrer, de telle façon que les usagers aient une claire information.
- Sommer les journalistes de se transformer en grands prêtres de l’effort de réconciliation, c’est inverser les rôles. Et leur demander de réussir là où les acteurs politiques ont échoué jusqu’à maintenant. En revanche, les prier d’être à l’écoute de la société civile, d’identifier et de rapporter fidèlement les vrais problèmes de la population, fait partie de leur mission première.
- Enfin, la presse ivoirienne se porterait sans doute un peu mieux si elle distinguait le commentaire de l’information et si le commentaire et le roman ne se substituaient pas souvent à une véritable recherche d’informations.
Philippe Duval
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