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Priscilla Gneto, la native d'Abidjan devenue princesse des tatamis
Médaillée de bronze aux JO de Londres, Priscilla Gneto a créé la surprise au sein de l’équipe de France. La Franco-Ivoirienne est devenue en quelques semaines, la nouvelle égérie du judo. Naturelle et décomplexée, cette combattante ultraféminine apporte un vent de fraîcheur à sa discipline.
A chaque fois que Priscilla Gneto sort sa médaille de bronze de son immense sac de fille, le même bonheur se lit sur son visage.
La joie spontanée d’une gamine de 21 ans qui ne réalise pas encore son exploit. Depuis le 29 juillet et sa victoire dans la petite finale des moins de 52 kg, la judoka ne se lasse pas de contempler sa récompense.
«Le premier soir, elle était même sous mon oreiller. Je l’ai tout le temps près de moi pour les médias, mais je suis aussi contente de la montrer aux gens et de voir qu’ils sont heureux», s’exclame-t-elle avec de grands yeux noirs pétillants.
D'un geste vif, la jeune femme inspecte son trophée et le retourne encore et encore.
«Je l’ai fait tomber. Je l’ai un peu égratigné, ajoute-t-elle dans un grand éclat de rire bien sonore. Mais elle est dans un meilleur état que celle de ma copine Automne Pavia (NDLR: médaillée de bronze dans les moins de 57kg). En rentrant du club France, sa médaille était dans son sac et elle a traîné par terre tout au long du trajet. Elle est complètement rayée!»
Corse et fière de l'être
La médaille entre les dents ou serrée dans ses doigts aux ongles roses fluo, Priscilla prend la pause. La coquette sportive réajuste sa frange et donne son avis sur son bon profil. Sur le terrain d’athlétisme de l’Insep (Institut national du sport, de l'expertise et de la performance) où elle est pensionnaire depuis quatre ans, elle se plie de bonne grâce à une séance improvisée:
«J’adore les photos!»
Dédicaces, remises de récompenses, la benjamine de l’équipe de France de judo est devenue en quelques semaines la nouvelle chouchou des tatamis.
«J’ai eu plein de trucs fous sur Internet, des propositions de sponsoring, de photos, et même des demandes en mariage! Si je répondais à tout, je serai mariée avec quatre ou cinq garçons», explique-t-elle toujours en rigolant.
Priscilla a surtout été surprise par l’accueil qui lui a été réservée à son retour de Londres dans sa région, la Corse:
«Ils étaient tous à fond même dans des villages perdus qui captent à peine la télévision. Des mamies me ramenaient des cadeaux et des fleurs et me disaient "Tu nous as fait pleurer et tu as porté les couleurs de la Corse".»
Une reconnaissance émouvante pour une championne qui n’est pourtant pas née sur l’île de Beauté.
La jeune femme a vu le jour à des milliers de kilomètres de la mer Méditerranée, à Abidjan, en Côte d’Ivoire.
Fille de Constant Gneto Kpassagnon, un défenseur de l’équipe de football ivoirienne dans les années 90 et de Patricia, une joueuse internationale de handball, elle était prédestinée à une carrière de sportive.
«Je voyageais beaucoup avec mes parents. J’allais voir les matchs de foot ou de hand le week-end», se souvient-elle.
Ballotée au gré des contrats de ses parents, la petite fille se pose finalement en Corse à l’âge de neuf ans:
«Mon père voulait arrêter sa carrière, mais il est quand même venu jouer dans le petit club de Porto-Vecchio où il connaissait des gens. Il était trop amoureux du foot.»
Une progression fulgurante
Dans cette ville du sud de la Corse, elle suit d’abord les traces de sa mère en pratiquant le handball. Ce n’est que vers 11 ans qu’elle endosse son premier kimono.
«Mon père aimait aussi les sports de combat et il m’a inscrite au judo. J’ai accroché tout de suite parce que quand je suis arrivée, je faisais déjà tomber les garçons», raconte Priscilla.
Sa progression est fulgurante. L’athlète enchaîne les titres de championne de France cadette et junior. A 13 ans, elle entre au pôle corse avant d’intégrer cinq ans plus tard l’Insep à Vincennes, en région parisienne. La même année, elle signe au prestigieux club de Levallois Sporting Club Judo où s’entraîne Teddy Riner ou Gévrise Emane:
«C’est la cour des grands. Je côtoie des champions. Il y a une super ambiance. Ils sont tous là pour me donner des conseils!».
Rapidement, elle confirme tous les espoirs placés en elle. Malgré son petit gabarit (1m 63 pour 52kg), elle dégage une hargne et un moral à toute épreuve. Un bras gauche surpuissant et une explosivité rare qui lui permettent de terminer 5e des derniers championnats du monde et de se qualifier pour les JO 2012.
Outsider, elle se présente à Londres sans aucune pression.
«Le matin quand je me suis levé, j’étais beaucoup moins stressée que par rapport à d’autres compétitions. J’avais juste hâte d’y être pour connaître le résultat», dit-elle en se remémorant cette journée si particulière.
Détendue, elle remporte ses deux premiers combats avant de s’incliner en quarts-de-finale contre la future championne olympique, la nord-coréenne An Kum-ae:
«Je ne me suis pas assez livrée. Je l’ai trop regardée, mais j’ai fait quand même un beau match. C’était un peu dur les pénalités que j’ai pris à la fin.»
Malgré la déception, la judoka sèche ses larmes et se reconcentre très vite pour le repêchage. Surmotivée, elle ne veut pas repartir de la capitale anglaise les mains vides. Face à la Belge Ilse Heylen dans la petite finale pour le bronze, elle ne lâche rien:
«C’était le dernier combat, comme si je jouais ma vie. J’y suis allée à fond, sans me poser de questions et je l’ai dégommé.»
Priscilla terrasse son adversaire par ippon (score le plus élevé qu'un combattant puisse obtenir lors d'une compétition d'arts martiaux) et remporte la première médaille olympique pour le judo français à Londres.
«J’ai pensé à rien. J’avais juste envie de pleurer, de crier et de sauter», décrit cette hyperactive, en se tortillant sur sa chaise dans la cafétéria de l’Insep.
Objectif 2016
Dans quatre ans à Rio, au Brésil, la judoka ne pourra plus jouer sur l’effet de surprise. La Franco-Ivoirienne sera l’une des prétendantes au titre olympique.
«Tout le monde va m’attendre, mais je vais essayer de ne pas me mettre la pression. C’est quand je ne me prends pas la tête, que cela marche», annonce-t-elle.
D’ici là, Priscilla doit se reconstruire un physique d’acier. Régulièrement handicapée par son épaule gauche, elle va subir une opération début octobre.
«J’angoisse surtout pour la piqûre. Face à une aiguille je ne fais pas le poids», avoue sans complexe la terreur des tatamis.
Eloignée des combats jusqu’en début d’année prochaine, elle se montre déjà impatiente. Derrière son visage de poupée et son sourire ravageur, elle n’en reste pas moins une guerrière:
«Je vais laisser trois ou quatre mois à mes adversaires pour qu’elles puissent faire les belles et après je vais repartir en compet’! Je viens juste de m’imposer. Je ne veux laisser ma place à personne, c’est mort!»
Stéphanie Trouillard
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