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Une deuxième révolution est possible en Tunisie
Les Tunisiens peuvent rallumer la flamme révolutionnaire contre Rached Ghannouchi le chef du parti au pouvoir Ennahda et les islamistes de tout poil, prévient l'écrivain Taoufik ben Brik.
Le printemps tunisien est toujours suspendu: l’hiver a trop duré et, de surcroît, il s’annonce toujours par la boue qui se liquéfie. On a peine à croire à la splendeur de la floraison, à la violente éruption d’une vie trop longtemps contenue.
Jetez une grenouille dans l’eau bouillante: elle s’en extrait vivement d’un bond. Placez-la dans l’eau froide et portez-le tout lentement à ébullition: la grenouille meurt. Les Tunisiens sont dans le second cas, ils étouffent peu à peu, à mesure que Rached Ghannouchi, dit Zaballa (le surnom donné par l'auteur, Ndlr), s’incruste et serre la vis.
Le chômage, l’inquisition, la chasse à l’homme, le sentiment accablant d’appartenir à un pays naufragé semblent être les principales raisons de ce désespoir:
«La Tunisie, c’est désormais Tunistan.»
L’incapacité de l’intelligentsia pour ordonner en un système cohérent les confuses aspirations populaires (dignité, liberté, égalité…) est patente.
Y a-t-il une révolution qui débouche sur la religiosité —qui est un retour à une vie prénatale, passive, neutre, satisfaite, accablante et castratrice?
Et les innombrables minorités et sensibilités sociales et politiques qui tentent de sortir à l’air frais du monde, suffoquent et reculent.
Tant de squelettes de mouvements abandonnés, de visions qui se rétractent, de rêves qui meurent font que chaque Tunisien se sent nuisible, sans projet ni vocation aucune.
Et, pour surmonter ce vague à l’âme, les Tunisiens s’esclaffent:
«Si Allah répond aux prières, ces derniers temps, la réponse est toujours: non.»
Désorientés, fatigués par des histoires qui ne tiennent pas la route.
«C’est ça la révolution?!», s’éclaffent, meurtris les Tunisiens.
Bidon.
«Ce n’est pas parce qu’on est mort que tout va bien», dit si bien l’adage.
Frustrations et inquiétudes
Par les temps qui courent, la frustration accumulée, la dignité bafouée, les Tunisiens sont médusés. C’est comme pincer un corps anesthésié. La peau reprend de la couleur, mais la sensibilité ne revient pas pour autant.
Les Tunisiens donnent l’impression d’être des revenants, des survivants. Ils évoluent dans le cimetière politique de Zaballa… qui cherche à se payer les moyens de sa pérennité: une police paramilitaire loyale, un parti mobilisé, les alliances qu’il faut, tant à l’extérieur qu’à l’intérieur, un impressionnant appareil de propagande… et une politique fondée sur l’inquisition.
Ghannouchi, notre nouveau Zaba (les initiales de Zinedine el Abidine Ben Ali), dit Zaballa cherche à chosifier le pays, à criminaliser l’Etat, à assujettir les hommes, à fragmenter la société, à piétiner les valeurs, à briser les âmes, à mutiler les langues, à casser le Way of Life «bon enfant» des Tunisiens.
Ouled Ahmed, le poète du vin et de l’amour dénonce:
«Jamais dans son histoire contemporaine, la Tunisie n’a connu un tel acharnement contre les libertés. Jamais en Tunisie nous n’avons connu un tel sentiment d’insécurité face à l’omniprésence "d’escadrons de la mort", au délabrement de la justice et à l’extension de la corruption.»
Comme Ben Ali, Ghannouchi est en train d’utiliser la technique de la terre brulée, pour emporter toute une culture de contestation et d’affrontement et ramener ainsi le pays à l’âge de pierre politique: plus de relais dans la société, plus de contre-pouvoirs, plus de syndicats, plus de presse et plus de partis bien sûr.
A quelle alternative pourrait-on s’attendre sous Zaballa? Il n’y en aura pas. Tout sera verrouillé.
«Il cherche à dévorer le cœur du pays.»
Puis, un point d’interrogation qui est, en soi, déjà, toute une aventure. Le désert? L’au-delà de l’errance? S’en contenter? Jamais!
Ajoutons à cela le fait que ce tournant n’est pas vécu comme une fatalité: les Tunisiens, le dos au mur, se sont découverts des forces insoupçonnées. Désobéissance civile, grèves générales, sit-in, manifestations…
Une révolution qui rappelle celle du Mexique
En somme Zaballa ne gouverne pas. Depuis le 17 décembre 2011, le pays vit une splendide anarchie. Car ces dires du poète mexicain, Octavio Paz que Faouzi Arbi, un humoriste, aime citer le rappellent assez:
«Comme les fêtes populaires, la révolution est un excès et un gaspillage, un éclatement de joie et de laisser-aller, un cri d’orphelin, un cri de vainqueur, un cri de suicide et de vie.»
La révolution tunisienne, comme la révolution mexicaine, est l’autre vérité ignorée et humiliée par les Ghannouchiens.
La révolution tunisienne n’a rien à voir avec le visage de courtoisie, de dissimulation, de mutilations et de mensonges affiché par les barbus, elle est le visage brutal et éclatant de la fête, de la rixe, de la feria, de l’amour et de la fantasia. Un révolutionnaire n’a que le panache pour bien.
La révolution tunisienne est un réveil de vieilles substances endormies, une révélation de maintes férocités, de maintes faiblesses et de maintes délicatesses qui n’avaient pu s’exprimer… jusqu’alors.
Adios Zaballa!
Taoufik Ben Brik
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