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Dos Santos, le Machiavel de l'Afrique
José Eduardo dos Santos, 70 ans, au pouvoir en Angola depuis 1979, est l'un des chefs d'Etat les mieux accrochés à leur fauteuil.
José Eduardo dos Santos suivra-t-il la trajectoire d’un Robert Mugabe, président à vie du Zimbabwe, ou plutôt celle d’un Hosni Moubarak, chassé par une jeunesse en colère et une population exaspérée?
La première option paraît encore la plus probable… Surnommé le «Machiavel de l’Afrique» pour son art de l’intrigue politique, le président angolais fait mine de préparer sa succession.
Manuel Vicente, ex-patron de la société pétrolière nationale, la Sonangal, présenté comme un possible successeur, a été propulsé, en février, ministre d’Etat chargé de la Coordination économique. Mais Dos Santos reste solidement accroché au pouvoir.
La Constitution, modifiée par ses soins en 2010, lui réserve la possibilité de rempiler encore une fois pour un mandat de cinq ans, en 2017, après l’élection du 31 août.
L’opposition a beau rassembler des milliers de manifestants dans les rues de Luanda, la capitale, pour demander des élections vraiment transparentes…
L’Angola, un pays de 19 millions d’habitants, laminé par la plus longue guerre civile qu’ait connu l’Afrique (1975-2002, 1,5 million de morts), reste sous l’emprise du Mouvement populaire de libération de l’Angola (MPLA), le parti-Etat de José Eduardo dos Santos.
Démocratie de façade
Sorti vainqueur de la guerre, après la mort en février 2002 de son ennemi juré, Jonas Savimbi, chef de l’Union nationale pour l’indépendance totale de l’Angola (Unita), dos Santos règne en maître. Il a pris tout son temps pour doter son régime d’une façade démocratique.
Les deuxièmes élections démocratiques de l'histoire du pays, annoncées comme «imminentes», après les accords de paix du 4 avril 2002, ne se sont finalement déroulées que six ans plus tard, le 5 septembre 2008. Le MPLA avait alors remporté une victoire écrasante, avec 80% des voix.
L’Unita, privée de sa manne diamantaire et minée par des querelles internes, n’avait alors glané que 10% des voix.
Les anciens rebelles n’avaient pas les moyens de rivaliser avec le MPLA, qui a fait campagne en construisant écoles et dispensaires dans les plaines côtières, où réside la base «assimilée» de son électorat.
Les «assimilados», en Angola, regroupent les noirs éduqués et les métis, par opposition aux «civilizados» portugais et aux «indigenas» africains. Autant de catégories instaurées avant l'indépendance, au temps de la «province d'outre-mer» portugaise. L'intérieur du pays, contrôlé durant la guerre par l'Unita, reste nettement moins développé.
Ensuite, l'élection présidentielle, prévue pour 2009, a été reportée de trois ans. Entretemps, en 2010, dos Santos a fait réviser la Constitution pour supprimer la présidentielle directe et instaurer des législatives au terme desquelles le chef du principal parti était sensé remporter la présidence, sans avoir besoin de majorité absolue.
Il se réserve ainsi la possibilité de faire encore deux mandats de cinq ans, même s’il est déjà le chef d’Etat le plus détesté d’Afrique, avec 78% d’opinions négatives selon un sondage Gallup publié en avril.
Dos Santos réussit la prouesse politique de se soumettre pour la deuxième fois de sa vie à une élection, en 33 ans de pouvoir. Il n’a affronté les urnes qu’une seule fois, en septembre 1992, trois ans après la chute du mur de Berlin et sous la pression des Etats-Unis.
Il avait remporté le premier tour d’un scrutin présidentiel encadré par les Nations unies, avec 49,3% des voix. Mais l’élection avait été si violemment contestée par l’Unita (40,1% des suffrages) que le pays avait replongé dans la guerre avant même que le second tour ne soit organisé.
Laboratoire de la «Chine-Afrique»
L’Angola, qui surfe depuis dix ans sur le boum de sa propre reconstruction, est un pays hors-catégorie en Afrique. Sa capitale, Luanda, est l’une des villes les plus chères du monde —surpassant même Tokyo. Son modèle de développement, indépendant, en fait un laboratoire de la «Chine-Afrique».
Son armée est considérée comme l’une des plus professionnelles du continent, et son président s’éternise au pouvoir sans que les investisseurs ou les puissances occidentales n’y trouvent à redire.
Après tout, l’homme fort de Luanda reste un gage de stabilité, dans un pays considéré comme stratégique, puisqu’il est le second producteur de pétrole en Afrique après le Nigeria.
Dos Santos, un mutique qui ne s’expose guère, naviguant entre son palais présidentiel et sa résidence, paraît bien décidé à savourer jusqu’au bout sa victoire. Fils de maçon, ingénieur formé en URSS, il avait succédé à Agostinho Neto, le père de l'indépendance, mort en 1979.
Le quadra que les apparatchiks pensaient pouvoir contrôler
Alors ministre des Affaires étrangères à la personnalité plutôt effacée, dos Santos avait été propulsé chef de l'Etat, à 37 ans, principalement en raison de sa couleur de peau —noire, comme celle de son prédécesseur.
Les barons du MPLA, à l'époque majoritairement blancs et métis, pensaient que le pays n'était pas prêt pour un président «assimilé».
Le quadra, que les apparatchiks du MPLA pensaient pouvoir contrôler, a ensuite fait ses preuves dans l’art de l’éviction politique. Il s’est appliqué à éradiquer l'aile radicale de son mouvement, à l’époque marxiste-léniniste et soutenu par l’URSS.
En 2002, affirmant ne pas vouloir se présenter à la prochaine élection, il avait laissé les candidats à sa succession au sein du MPLA faire acte du candidature… pour mieux les exclure ensuite.
En janvier 2006, un général un peu trop populaire, Fernando Garcia Miala, chef du service du renseignement extérieur, a été limogé, rétrogradé et mis à la retraite. Son tort: être un peu trop populaire, après avoir lancé une fondation destinée à venir en aide aux orphelins.
Dos Santos concentre toujours les pouvoirs, entouré de généraux parfois plus influents que les ministres. Il est le chef de l’armée, de la police et nomme toujours les juges. S'il laisse ses collaborateurs s'enrichir, il n'a jamais cédé de manière ostensible aux sirènes du luxe.
Le flou persiste sur ses avoirs à l’étranger. Quant à sa fille aînée, la métisse Isabel Dos Santos, 39 ans, née d'un premier mariage avec une Russe, elle est identifiée en 2011 par le magazine Forbes comme le femme la plus riche et la plus puissante d’Afrique.
A la tête d’un empire industriel qui prend de plus en pied au Portugal, l’ancienne puissance coloniale, elle se distingue dans la banque, les médias, le ciment, la grande distribution, l’énergie et les diamants. Sans pour autant s'identifier à la bourgeoisie qui gravite autour du pouvoir.
Aussi discrète et influente que son père, Isabel dos Santos ne se gêne pas pour dénoncer les travers des «oligarques», parmi lesquels elle compte pourtant nombre d'associés. Elle est présente lors des congrès du MPLA, un parti où elle n’a aucune fonction. Serait-elle candidate à la succession, comme Karim Wade a pu l'être au Sénégal? La question reste taboue…
«Zédu» (contraction des deux prénoms du président) ne tolère pas la critique. Les rares journalistes qui le remettent en question risquent le tribunal, voire la prison. En 2005, le FMI a publié sur son site Internet un article d'un universitaire américain intitulé «La corruption est la principale institution dans le pays».
Fait rare, le président de l'époque du FMI, Rodrigo de Rato, avait dû présenter des excuses…
«L'arrogance des grands pétroliers»
Seul le pape, en visite en Angola en mars 2009, s'était permis de rappeler les dirigeants à l'ordre sur les dossiers de la pauvreté et de la corruption.
Or, les responsables angolais sont d'autant moins prêts à recevoir des leçons en matière de bonne gouvernance qu'ils cultivent «l'arrogance des grands pétroliers», comme le souligne l'historien angolais Carlos Pacheco.
L'or noir, 56% du PIB et 90% des recettes de l'Etat, est extrait de gisements offshore contrôlés à 41% par la société nationale Sonangol. Les recettes pétrolières s’évaporent à grande échelle. Selon l’organisation Human Rights Watch (HRW), le FMI aurait repéré un gigantesque trou de 32 milliards de dollars entre 2007 et 2010, soit 25% du PNB.
Pour l’instant, le nouveau parti d’opposition CASA, fondé en avril par Abel Chivukuvuku, un ancien baron de l’Unita, ne change pas vraiment la donne.
Cette formation, qui regroupe les dissidents de tout bord, vise 30% des suffrages, mais devrait, au mieux, n’en récolter que 20%, faute d’une assise politique suffisante à travers le pays.
Sabine Cessou