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Le ramadan ou le deuxième Noël des commerçants
Durant le mois de ramadan, jeûner rime souvent avec consommer. Et ce, pour le plus grand bonheur des commerçants et de la grande distribution, qui tirent bien leur épingle du jeu.
En France, «près de 350 millions d’euros sont dépensés par les ménages musulmans pendant le mois de ramadan».
Cette estimation publiée par le cabinet Solis, spécialisé en études marketing, ne fait aucun doute: si le ramadan est une célébration religieuse clé de la religion musulmane, c’est aussi une belle opportunité pour les commerçants et l’industrie agroalimentaire pour augmenter leur chiffre d’affaires.
Pendant les trente jours de jeûne, les musulmans s’abstiennent de manger ou de boire du lever au coucher du soleil… et se rattrapent le soir.
Le paradoxe est que la consommation moyenne des familles musulmanes de France augmente, avec des dépenses jusqu’à 30% supérieures au reste de l'année. On se fait plaisir, et on veut faire plaisir.
Un rendez-vous, qui pour les commerçants, ressemble de plus en plus à Noël. Mais qui sont les premiers à en profiter?
La viande, «locomotive» du ramadan
La viande, à la base de nombreux plats traditionnels du ramadan —notamment parmi les familles maghrébines— est l’ingrédient phare du jeûne.
Parmi tous les produits dont on observe une croissance durant cette période —produits laitiers, fruits et légumes, fruits secs, boissons, feuilles de brick, lait fermenté— la viande reste incontournable.
A Rungis, premier marché d’Europe, le ramadan n’est pas passé inaperçu chez les grossistes en viande. Cet immense marché de 234 hectares —plus grand que Monaco ou le Vatican—, avec ses 12.000 personnes qui travaillent au quotidien, alimente les commerces, marchés, et restaurants de France et d’Europe en viandes, poissons, fruits, fleurs, épices, etc.
En 2011, Rungis a nourri environ un Français sur cinq, et expédié quelques 300.000 tonnes de marchandises.
Pour Khalid Salhy, l’un des plus importants grossistes de volaille halal à Rungis, le ramadan est toujours une bonne période, même si cela reste en-deçà des fêtes de Noël:
«La viande blanche a toujours beaucoup de succès pendant le ramadan. Nous avons constaté les quelques jours avant le début du ramadan et durant les deux premières semaines une augmentation de 40% de nos ventes.
En général nous vendons mieux que la viande rouge: déjà pour les prix, plus attractifs, et puis la viande blanche est plus tendre, plus légère, et en l’occurrence plus adaptée à la saison.»
Du côté des étals de viande rouge, le discours n’est pas aussi enjoué. Erwan Segrestil commercialise de la viande rouge venus de Belgique et certifiée halal. Cette année, le ramadan n’est pas une période particulièrement meilleure que les autres en termes de vente:
«Il n’y a pas beaucoup plus de ventes, c’est très calme. C’est les vacances, et beaucoup de musulmans sont rentrés au bled. Et avec la chaleur, ceux qui sont restés en France préfèrent manger plus léger des fruits, des légumes, des viandes blanches.»
L’année dernière pourtant, les ventes de l’entreprise avaient augmenté de 30%, alors que cette année, à part une légère hausse la première semaine du jeûne, il n’y a pas de différences flagrantes. Plusieurs raisons peuvent expliquer le phénomène:
«La concurrence avec les grandes surfaces se fait de plus en plus forte. La grande distribution investit dans le secteur du halal, et dégage de plus en plus de ventes.
La crise économique y est peut-être aussi pour quelque chose, car le prix de la viande rouge augmente et c’est un coût conséquent dans le panier de la ménagère.»
La grande distribution, nouvel acteur en pleine croissance
Depuis quelques années, les enseignes de la grande distribution sont de plus en plus présentes lors du ramadan, et d’une manière plus générale sur le marché du halal.
Certaines entreprises sont allées jusqu’à développer leurs propres produits halal: Wassila pour Casino, Carrefour halal pour Carrefour, ...
Des marques de distributeurs qui ne rencontrent un franc succès que sur certains produits. Abbas Bendali, directeur du cabinet Solis, nous a livré son point de vue sur la question:
«Le marché du ramadan s’ancre dans l’univers commercial, ça va devenir un temps fort pour tous les commerces. La grande distribution capte une grande partie des dépenses en produits transformés: plats cuisinés, charcuteries, etc. Elle est indéniablement gagnante sur ce type de produits.
Les gens sont de plus en plus accoutumés à la grande distribution, en particulier les jeunes, familiers de l’univers des centres commerciaux.»
Il faut dire que les enseignes de la grande distribution ne lésinent pas sur les moyens à l’approche du ramadan: campagne de publicité, stratégies marketing de plus en plus élaborées, multiplication et mise en avant des étals halal et d'autres produits typiques dans les centres commerciaux.
Le service presse du groupe Carrefour a ainsi communiqué à Slate Afrique sur la question:
«Carrefour a créé sa marque de distributeur depuis début 2011, avec une cinquantaine de références: plats préparés, épicerie, fruits secs, pâtisseries orientales… En 2012, nous avons sorti un catalogue spécial consacré au ramadan, qui a d’ailleurs relayé toutes nos opérations commerciales.
Nous avons également développé la vente de produits dérivés, notamment en art de la table, ou en électroménager: ustensiles de cuisine, tajines, robots, …
En général, le marché du halal pèse plus lourd que celui du bio. Il n’y a pas vraiment d’effets de mode avec le halal, mais Carrefour a développé certains produits halal à la demande des consommateurs.»
Des politiques marketing plus élaborées pour capter une clientèle exigeante, notamment en ce qui concerne les produits halal.
Car, c’est souvent sur ce point que les grandes surfaces se cassent les dents: les consommateurs se méfient beaucoup de la validité de la certification halal des produits vendus en grandes surfaces.
Le boucher du quartier, l’éternel incontournable
Même s’il est vrai que la grande distribution s’impose de plus en plus pendant le ramadan sur certains produits, le boucher traditionnel du coin de la rue demeure une constante, un rendez-vous incontournable du jeûne.
Même si la jeune génération a tendance à moins cuisiner, à se laisser tenter par du snacking ou des plats cuisinés, la viande demeure à l’heure actuelle la véritable locomotive du ramadan. C’est ce qu’a noté Abbas Bendali à travers l’élaboration de son étude:
«Les supérettes, les marchés, les bouchers, le commerce traditionnel en général captent encore une grande partie, car la viande brute, la plus chère, reste l’apanage du commerce traditionnel, de proximité.
Avec les débats sur la certification, la réputation halal des produits, le rôle du boucher s’est accru comme caution morale du produit halal. C’est un interlocuteur de confiance, car il mise sa réputation sur ses produits.»
Car, dans les supermarchés, l’offre en viande reste très limitée, se résumant souvent à des produits vendus sous vide ou en conserve. De quoi faire pâle figure à côté des boucheries garnies d'étals bien plus élaborés:
«La boucherie traditionnelle offre souvent un large choix de produits, en qualité et en quantité. Les prix restent souvent attractifs pour faire face à la concurrence de la grande distribution, car les bouchers ont tendance à acheter en grande quantité surtout pendant le ramadan.»
La proximité, la traçabilité de la viande, voilà deux notions sur lesquels la grande distribution devra travailler dans les prochaines années si elle veut devenir leader sur le marché halal. Un pari ambitieux, et qui est loin d’être accompli.
En 2011, les ventes des produits de grande consommation halal avaient fortement baissé au troisième trimestre de l’année. Un recul toutefois relatif: face à une croissance des ventes de 25% les deux premiers semestres, la croissance n’avait été que de 10,5% à la fin de l’année.
Les problèmes liés à certaines affaires où des molécules de porc avaient été découvertes dans des produits certifiés halal en grande distribution avaient stoppé la dynamique conquérante des grandes enseignes.
De quoi, pour les bouchers, garder le monopole de la «locomotive» de la viande encore quelques années.
Anaïs Toro-Engel
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