mis à jour le

Tunisie: Comment effacer la «dette odieuse» de Ben Ali
Tunis réclame l’annulation pure et simple des 15 milliards d’euros de dette contractée par le dictateur déchu à l’étranger. La France est la première concernée.
La visite du président tunisien Moncef Marzouki en France semble avoir été fructueuse: la Tunisie semble bien partie pour obtenir l’annulation de sa dette contractée auprès de la France.
Lors d’une conférence de presse conjointe entre les deux chefs d’État le 17 juillet 2012 à Paris, le président français François Hollande et M. Marzouki ont assuré conjointement travailler à convertir la dette tunisienne détenue par la France en projets de développement, afin de garantir sa bonne utilisation.
Cette proposition reprend mais sous une forme différente l’idée émise par François Hollande lorsqu’il n’était encore que candidat de convertir en don le montant de l’endettement public tunisien.
Dans le même temps, la députée tunisienne Mabrouka MBarek a déposé un projet de loi visant à remettre en cause la dette tunisienne en invoquant le régime juridique de la «dette odieuse» en droit international.
Le passif des régimes précédents
D'après la Banque mondiale, ce sont plus de 30,8 milliards de dinars (15 milliards d’euros) que la Tunisie a emprunté depuis 1970, et dont plus de la moitié sous la présidence Ben Ali (1987-2011).
Si la France est le premier créancier de la Tunisie, cette dette inclut également des créanciers d'autres nationalités. Issu de la majorité, ce texte semble avoir des chances raisonnables de l’emporter.
La conversion de la dette tunisienne en investissements français donne un premier signal a priori positif à cette démarche, suivant par ailleurs la formule choisie en janvier 2012 par le gouvernement allemand.
Cette modalité d’annulation de dette présente «l’avantage», côté français, d’éviter l’utilisation de la formule controversée en droit international de «dette odieuse.»
Sans s’être (encore?) imposé dans la jurisprudence, ce concept de droit international est une doctrine de juriste international bien connue, définie en 1927 par Alexander Sack:
«Si un pouvoir despotique contracte une dette non pas selon les besoins et les intérêts de l’État, mais pour fortifier son régime despotique, pour réprimer la population qui le combat, cette dette est odieuse pour la population de l’État entier.
Cette dette n’est pas obligatoire pour la nation: c’est une dette de régime, dette personnelle du pouvoir qui l’a contractée ; par conséquent, elle tombe avec la chute de ce pouvoir.»
La «dette odieuse», un principe juridique explosif
L’évolution du droit a finalement retenu trois critères pour que l’on puisse qualifier une dette d’odieuse: qu’elle ait été contractée «contre les intérêts de la population, sans son consentement et en toute connaissance de cause par les créanciers» (définition du Centre for International Sustainable Development Law).
Mais la «dette odieuse» ne s'est pas encore imposée dans la jurisprudence internationale (elle n'a été invoquée que dans une décision de justice, en 1923).
Notamment parce que les États-Unis ont tenté de restreindre l’utilisation du concept de «dette odieuse» lors de leur guerre en Irak, en 2003, craignant que leurs créances et celles de leurs entreprises ne finissent par être annulées également. Selon la juriste Patricia Adams,l’opposition à ce principe juridique fut alors très forte:
«Même s’il y avait peu de doute sur le caractère odieux de l’essentiel de la dette irakienne, la plupart des créanciers répugnaient à l’admettre.»
En contrepartie de contrats dans la reconstruction irakienne, les États-Unis ont ainsi pu étendre l’annulation de la dette au secteur privé, en prenant bien soin d’invoquer le principe –explosif– de la «dette odieuse.»
La France, en convertissant la dette tunisienne en investissements futurs vers la Tunisie, fait également d'une pierre deux coups, comme le relève le site d'information Tunisienumerique.com:
«La France se trouve aujourd’hui en concurrence avec les États-Unis et l’Allemagne sur le marché tunisien, et compte reconquérir sa place sur le marché tunisien. C’est dans ce cadre que s’inscrit cette mesure.»
Et si la Tunisie devait devenir un précédent régional, nul doute que les nouveaux régimes libyens ou égyptiens ne manqueraient de l’invoquer auprès de leurs propres créanciers.
Antony Drugeon
Cet article a d'abord été publié sur Marchés Tropicaux & Méditerranéens
A lire aussi
Les Tunisiens ont-ils pardonné à la France?