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Scène de rupture du jeûne au Caire le 22 juillet.Reuters/ Asmaa Waguih
Scène de rupture du jeûne au Caire le 22 juillet.Reuters/ Asmaa Waguih

Egypte: Les Frères musulmans peuvent-ils sauver l'économie?

Les Frères musulmans ont le pouvoir. Mais la gestion d'une confrérie n'est pas la même que celle d'un Etat. L'heure du pragmatisme économique semble arrivée.

Il est facile de se laisser distraire par le combat politique extrêmement chargé de l’Egypte. Mais la lutte de l’Egypte post-révolutionnaire n’est pas tant une démonstration de force politique aux formidables enjeux qu’un marathon économique sans ligne d’arrivée bien définie.

La capacité des Frères musulmans à arracher l’autorité ultime aux généraux dépendra moins des tenants et des aboutissants des joutes politiques qui font la une des journaux que de leur habileté à gérer le rétablissement économique du pays.

Et cela va être plus facile à dire qu’à faire.

Répondre aux attentes naturellement élevées du public va nécessiter d’équilibrer les objectifs économiques à court et à long terme, tout en négociant toutes sortes de droits acquis —y compris les siens— qui ont jusqu’ici maintenu l’Egypte envasée dans l’inefficacité.

C’est beaucoup demander à une organisation dont le discours économique est d’une notoire vacuité. A quoi devons-nous nous attendre?

Quid de la politique économique des Frères musulmans?

Jusqu’ici, les Frères musulmans ont adopté une approche pragmatique, renonçant à toutes les mesures controversées susceptibles d’effrayer les investisseurs.

En fait, s’il y a une seule devise unificatrice du discours des Frères, elle semble «ne vous faites pas de souci, nous n’allons pas tout changer du jour au lendemain».

En effet, ses responsables se sont donnés bien du mal pour éviter les craintes de nationalisation —promettant qu’aucune restriction ne serait imposée au tourisme, aux investissements directs de l’étranger ou au secteur bancaire.

Ils ont également fait part de leur bonne volonté à signer un accord avec le Fonds monétaire international (FMI) —bien que selon le site d'information économique et financière Bloomberg, rien ne sera concrétisé dans ce sens avant 2013.

Peu craignent, en conséquence, qu’en termes d’affaires les Frères musulmans renoncent aux méthodes en vigueur.

D’un point de vue idéologique, ils se sont tournés vers les théories économiques islamiques pour trouver un juste milieu entre le libre-échange et les systèmes autoritaires.

D’un point de vue pratique, cela signifie accéder aux grands objectifs de croissance, de libéralisation et de respect des droits de propriété, tout en les assouplissant et en mettant l’accent sur la charité et la justice sociale.

La grande question est donc de savoir s’il est possible de traduire leur discours en actes aptes à apporter de vrais changements à la vie des Égyptiens ordinaires.

C’est une chose de prôner un impôt sur le revenu progressif et une restructuration des subventions, c’en est une autre de les mettre en place.

Vers une baisse des subventions?

L’un des sujets les plus épineux de leur programme est la réduction des subventions pour le carburant et la nourriture, qui consument traditionnellement environ 10% du Produit intérieur brut (PIB) et plus d’un quart des dépenses totales de l’Etat (les données disponibles indiquent que 90% des subventions égyptiennes reviennent aux 20% les plus aisés de la population).

Si l’Egypte veut rester solvable, le nouveau gouvernement devra réduire ce genre de dépenses —peut-être, en passant à des transferts de liquide ciblés plus abordables (et progressifs) sur le modèle iranien.

Mais trancher dans les subventions est davantage un défi politique qu’économique. Même si la majorité s’accorde à penser qu’une restructuration des subventions est économiquement souhaitable, cela ne pourra se faire sans en payer le prix politique.

Les responsables au pouvoir doivent affronter le même genre de défi politique en durcissant l’effort fiscal, et en l’étendant pour toucher individus et entreprises qui utilisent leur influence pour passer au travers du filet des impôts.

Aujourd’hui, les recettes fiscales ne représentent que 15% du PIB égyptien.

Déjà, les Frères musulmans semblent rechigner à appliquer quelque 4,4 milliards de dollars de réductions de subventions sur le carburant, inscrites dans le budget de cette année et votées quand l’autorité législative est revenue entre les mains de l’armée.

Selon le Financial Times, un responsable des Frères musulmans a déjà déclaré que le budget devait être revu, en le qualifiant de tentative «délibérée» de saper tout gouvernement dirigé par les Frères musulmans.

De même, le plan des «100 jours» de Morsi, qui promet la disponibilité du carburant et des denrées alimentaires bon marché, illustre la réticence des Frères musulmans à changer leur discours sur les subventions.

A bas à bas l'économie informelle!

Les opportunités et les risques de l’immense économie informelle (et non taxée) de l’Egypte pourraient avoir un rôle à jouer dans le succès politique à long terme des Frères.

Selon une récente estimation du FMI, l’économie informelle englobe rien moins que 35% de tous les acteurs économiques et emploie environ 40% de la main d’œuvre.

Pour l’économiste Hernando de Soto (qui a estimé les capitaux du secteur informel égyptien à 240 milliards de dollars), cela représente un immense obstacle au développement économique car les gains de l’économie informelle ne peuvent être transformés en capital.

Un secteur informel d’une telle ampleur est aussi la marque de fabrique d’un régime économique arbitraire et imprévisible qui crée un terrain de jeu inégal pour les petites entreprises, littéralement poussées dans l’économie informelle.

Mais, à l’instar des potentielles économies attendues une fois les subventions réduites, la promesse de régulation du secteur informel peut s’avérer trop coûteuse à court terme pour que les Frères musulmans puissent capitaliser dessus, ce qui obscurcit leurs perspectives politiques à long terme.

Les recherches sur les relations exactes entre les mouvements islamistes et l’économie informelle sont rares, mais certains détails tendent à prouver que les acteurs de l’économie informelle forment un électorat conséquent des Frères musulmans.

Ce sont les pauvres, après tout, qui dépendent le plus de la myriade d’opérations caritatives des Frères.

Pourtant, le soutien politique de cette tranche de population n’est pas garanti et pourrait rapidement disparaître, si les politiques des Frères musulmans se traduisent par une augmentation des impôts et peu de contrepartie.

Des œuvres caritatives au pragmatisme économique

Ces dilemmes soulignent la difficulté de la position des Frères musulmans. S’ils envisagent un avenir d’acteurs politiques crédibles, ils doivent débarrasser l’Egypte des causes paralysantes de son inefficacité, tout en ne s’aliénant pas leur principal électorat s’ils veulent être une force politique aujourd’hui.

Dilemme peu enviable, c’est le moins que l’on puisse dire. Mais passer d’une organisation de services sociaux —rôle que les Frères musulmans ont endossé pendant la plus grande partie de leurs 84 années d’existence— à un parti au pouvoir demande de réfléchir aux conséquences politiques à long terme, ce que le Hamas, voisin idéologique et géographique des Frères musulmans, a appris à la dure.

Si Morsi ne parvient pas à remettre les finances de l’Etat égyptien en ordre et à donner un coup de fouet à l’économie, qui n’a connu qu’une croissance médiocre de 1,8% en 2011, son appui constant sur les subventions et l’apaisement de l’économie informelle le rendront en gros aussi populaire que les gouvernements précédents qui les utilisaient comme une béquille.

C’est-à-dire qu’il sera aussi populaire que Moubarak.

Cela laisse à penser que l’avenir de l’Egypte dépendra moins de machinations politiques de haut niveau que de la dure réalité des politiques économiques. En cela, le moment choisi sera crucial pour les Frères.

Les dirigeants égyptiens à la poigne de fer se sont souvent appuyés sur un discours de stabilité: l’autoritarisme offre un environnement prévisible à l’activité économique.

Par conséquent, quand les revenus touristiques déclinent, que les investissements étrangers se tarissent et que l’incertitude brouille les perspectives d’investissements, c’est le statu quo qui en bénéficie.

C’est pourquoi Morsi devrait passer moins de temps à batailler avec les généraux et davantage à se concentrer sur son projet économique.

Continuer à le différer laisse présager la victoire à terme de l’armée et d’autres éléments de l’ancien régime.

Ty McCormick et Adeel Malik (Traduit par Bérengère Viennot)

Ty McCormick Rédacteur en chef adjoint à Foreign Policy. Adeel Malik est Globe Fellow en économie des société musulmanes, conférencier en économie du développement à l’université d’Oxford et chercheur en économie à St. Peter's College, Oxford.

Foreign Policy

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