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Un Haïtien au carnaval de Port au Prince le 26 février 2006. Reuters/Eduardo Munoz
Un Haïtien au carnaval de Port au Prince le 26 février 2006. Reuters/Eduardo Munoz

En Haïti, nous sommes racistes!

La première République noire de l'Histoire est loin d'être débarrassée du problème du racisme. Le témoignage d'un blogueur haïtien à la peau foncée.

Chacun, en fonction de ses intérêts, de ses expériences, de son épiderme... a sa manière de voir la question du racisme. Personnellement, avec ma peau foncée, je confirme que le racisme est bel et bien présent en Haïti. Point.

Et plus que dans beaucoup de pays de gens aux yeux bleus. Dans ce coin de terre, nous sommes racistes. Et cela va dans les deux sens. Peau noire et peau claire.

Victime d'actes et de propos racistes

Je pourrais faire des témoignages interminables sur les milliers de fois, je dis bien, des milliers de fois (du haut de mes 33 ans) où j'ai été victime d'actes ou de propos racistes.

Mais, c'est compréhensible. Nous sommes un peuple aliéné, pertubé, instable... et qui a fait des choix de dirigeants avec des visions sociales étriquées, qui n'ont pas pu conjurer cet élan «naturel» à stigmatiser ceux-là et celles-là qui ont l'épiderme foncé comme moi.

Et les étrangers qui sont devenus Haïtiens aujourd'hui et élites économiques du pays n'ont pas aidé non plus. Mais ils sont excusables, on a prêté le flanc à leurs dérives stigmatisantes ou racistes. On a rien fait contre cela. Au contraire, nos silences complices, notre résilience face à leurs comportements discriminants huilent la machine à mépriser. 

Mais dans la plupart des cas, ce sont des camarades aussi foncés ou sensiblement moins foncés que moi qui me rappelent qu'ici, en Haïti, ce n'est pas un plus de ne pas avoir la peau claire. Ne serait-ce qu'un tout "p'tit peu". 

Etranger dans son propre pays

Je me sens plus étranger dans certains magasins, supermarchés et programmes à Pétion-Ville qu'à Minneapolis, dans le Midwest des États-Unis ou à Paris, en France. Et des étrangers ou blancs se sentent plus valorisés dans ces lieux que chez eux.

Je voyage beaucoup, je vais souvent chez les blancs, je n'ai pas en tête le souvenir d'une remarque ou d'un geste raciste à mon égard. Mais, il ne passe pas un mois sans que j'en sois témoin/victime. 

Moi, c'est l'instruction qui m'aide à être moins stigmatisé. On m'apostrophe moins, parce que je suis untel. Mais celui qui a peu séjourné à l'école ou pas du tout, il n'existe tout simplement pas dans cette société... ses opinions ne comptent pas, il est qualifié de tous les mauvais noms; il ne compte pas. Tout bêtement!

Dommage, ici, si on se fait appeler Dessalines, c'est une injure. Pas un compliment. Etre assimilé au père de la patrie [Jean-Jacques Dessalines (1756-1806), ndlr] signifie être laid et de peau très foncée. C'est ce qui arrive quand on renie tout. Même son identité. 

Le racisme en Haïti est en parfaite corrélation avec la crise identitaire. Et pour ce que je constate, ce n'est pas demain la fin de cette crise. Donc, pas demain la fin du racisme à Pétion-Ville... Bienvenue en Haïti!

Gaspard Dorélien*

*Auteur du blog «Bribes de vie en Haïti» et journaliste au Nouvelliste

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Journaliste haïtien au quotidien de Port-au-Prince Le Nouvelliste

Ses derniers articles: Calvaire sanitaire à Port-au-Prince  Racisme en Haïti, radiographie du mal  En Haïti, nous sommes racistes! 

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