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Madagascar Wildlife Conservation Adventure 2012 by Tom Benson, via Flicr CC.
Madagascar Wildlife Conservation Adventure 2012 by Tom Benson, via Flicr CC.

Madagascar, cette île qui n'existe pas (1/2)

La Grande île a suscité toutes sortes de représentations et mythes littéraires et artistiques, depuis les récits de Marco Polo jusqu'aux films d'animation à succès «Madagascar».

Madagascar, le mot à peine lâché et les regards des enfants brillent… D’autres noms viennent à la suite: Alex, Marty, Melman, Gloria…

La saga de ces quatre héros dans l’univers merveilleux des studios DreamWorks Animation nous projette bien dans le rêve et l’imaginaire.

Souvent, l’envie ne prend pas de casser le rêve, de casser le mythe. Dire aux enfants que non, il n’y a pas de lion à Madagascar? Pas de girafe? Pas d’hippopotame (ou plus d’hippopotame), pas de zèbre?

Mais que oui, il y a des personnages qui rêvent de liberté, qui veulent être bien chez eux, qui rêvent d’un pays d’origine… Mais relativiser, car ce n’est qu’un film. Madagascar 1. 2. 3... Et ce sont plutôt de bons films de divertissement.

Il ne faut peut-être pas chercher plus loin ou se scandaliser et dire que ces aventures déforment la réalité et donnent une fausse image de Madagascar.

Bien sûr, sur la plage, le baobab ne pousse pas. Bien sûr, le fosa, ce chat sauvage tout de ruse et de discrétion, ne vit pas en bande furieuse. Bien sûr, ces quelques lémuriens qui tiennent dans la paume d’une main sont plutôt diurnes.

Bien sûr, les hommes —les Malgaches— sont plutôt absents de ce pays où le singe (pardon, le lémurien) est roi…

Marco Polo «débarque» à Madagascar

La fiction n’a-t-elle pas cette liberté absolue de réinterpréter les espaces et les lieux? D’investir les terrae incognitae?

Car c’est bien de cela qu’il s’agit, de se projeter dans des terres inconnues. Il faut avouer que jusqu’à aujourd’hui, malgré l’établissement de la carte du monde, Madagascar fait partie encore partie de ces terres inconnues: une île, grande, l’île rouge, l’île continent, traversée par le tropique du Capricorne, ni tout à fait l’Afrique, ni tout à fait l’Asie…

Depuis longtemps, la fiction et les mythes ont façonné la perception de Madagascar.

Mais remontons en Occident au XIIIe siècle… En rentrant des Indes, et passant sur l’île de Scoria, aujourd’hui l’île d’Ormuz (Iran), Marco Polo, «naviguant du côté du midi pendant mille miles», vient à «Madaigascar, qui est mise au nombre des plus riches îles du monde»(Troisième Livre, chapitre XXXIX, édité par Eugène Muller sur l’édition de Jean-Pierre Guillaume Pauthier, librairie Ch.Delagrave, 1888). 

Terre incognita rime souvent avec richesses et faits extraordinaires, des choses jamais vues, des merveilles et des enchantements. L’île de Madaigascar, luxuriante, décrite par Marco Polo n’échappe pas à la règle:

«Cette île produit beaucoup plus d’éléphants qu’aucun pays du monde. Il y a une île nommée Zanzibar qui fait un grand trafic d’ivoire. Car, comme tout le monde, je ne pense pas qu’il y ait une si grande quantité d’éléphants que dans ces deux îles.

On ne mange point dans cette île d’autre viande que celle de chameau, laquelle chair est fort saine aux habitants; il y a une multitude presque infinie de ces animaux dans cette île. Il y a outre cela dans cette île des forêts de sandals et de bon rouge, dont on fait plusieurs ouvrages.

On prend aussi dans la mer de grandes baleines, d’où l’on tire de l’ambre. Il y a des lions, des léopards, des cerfs, des daims, des chevreuils et plusieurs autres sortes d’animaux et d’oiseaux propres à la chasse. Enfin on y trouve diverses espèces d’oiseaux dont on n’a jamais entendu parler chez nous.»

Il est vrai que la nature a été généreuse pour Madagascar, nombre d’espèces animales et végétales y sont endémiques, et, au sens premier du terme sont «extraordinaires», c’est-à-dire jamais vues ailleurs…

L'oiseau-éléphant de 500 kilos

C’est ainsi que Marco Polo, dans le chapitre suivant, décrit l’oiseau ruc:

«Il paraît dans ces îles, en un certain temps de l’année, une espèce d’oiseau fort surprenant, nommé ruc, ayant la figure d’un aigle, mais d’une grandeur extraordinaire.

Ceux qui ont vu de ces oiseaux disent que la plupart de leurs plumes sont de dix pas de long, qu’elles sont grosses à proportion et que tout leur corps répond à cela.

Cet oiseau est si fort qu’il prend sans aucun secours que de ses propres forces un gros éléphant et l’élève en haut, puis le laisse tomber pour en faire sa pâture.

Moi, Marco, ayant entendu parler de cet oiseau, je pensais que c’était un griffon, qui est un animal à quatre pieds, quoiqu’il ait des plumes. Il est en tout semblable au lion, si ce n’est qu’il a la mine d’un aigle; mais ceux qui avaient vu de ces rucs assuraient constamment qu’ils n’avaient rien de commun avec tous les autres animaux, et qu’ils n’avaient que deux pieds comme les autres oiseaux.»

Le merveilleux se mêlant à l’extraordinaire, on aboutit à ce mythe de l’oiseau ruc. Il s’agit probablement de l’aepyornis, ou l’oiseau-éléphant, de la famille des ratites (autruche, émeus, nandous…), oiseau pesant près de 500 kilos, qui a effectivement vécu à Madagascar, oiseau certes, mais qui est incapable de voler…

Des témoignages d’Etienne de Flacourt dans son Histoire de la grande Isle de Madagascar, Paris, J.Henault, 1658, nouvelle édition annotée par Claude Allibert, Paris, INALCO, Karthala, 1995, semblent attester encore de l’existence de cet oiseau au XVIIe siècle.

Mais on pense généralement que l’espèce a commencé à disparaître à partir du XIIe siècle. Aujourd’hui encore, on trouve ses œufs dans les régions arides du sud de l’île, faisant la joie des collectionneurs et des trafiquants…

La tradition des contes malgaches

A Madagascar même, dans la tradition des contes, Imaintsoanala, héroïne mille fois célébrée, n’est-elle pas sortie du seul œuf fertile d’Ampelasoamananoho, immense femme-oiseau qui griffe la forêt de ses ongles interminables et qui tue sans pitié tout prétendant à sa fille? 

Imaintsoanala ou «La-verte-en-forêt», femme-enfant née de l’œuf d’une créature mi-femme, mi-oiseau, est une figure majeure parmi les personnages de la littérature malgache écrite et orale malgache.

Le poète Rabearivelo, par exemple, lui a consacré une place considérable dans ses poèmes, opéra et pièce de théâtre (Œuvres complètes, volume II, CNRS éditions, édités par Claire Riffard, Liliane Ramarosoa, Serge Meitinger, 2012).

Au XIIIe siècle donc, Marco Polo relaie les considérations de l’époque sur cette île extraordinaire, ou plutôt sur cette partie du monde qui échappe encore à la cartographie et à l’exploration. C’est un vide qu’il faut combler sur la carte du monde connu.

Seule la fiction peut remplir cet espace car aucun navigateur, aucun cartographe n’a jamais pu réunir encore les moyens pour s’y rendre.

Vents inconnus, océan sans limites, terre incertaine, limite du monde, Madagascar est cet espace manquant que l’imaginaire veut absolument rendre existant, la merveille est ce désir de se retrouver face à qui est autre, autre terre, autre humanité, autre animalité, autre nature… 

Marco Polo a sûrement dû puiser son récit parmi ceux des populations qu’il a visitées.

Ce n’est pas un hasard si le récit sur Maidagascar intervient juste après le récit sur l’île de Scoria.

Le détroit d’Ormuz est en effet un point important de la navigation de l’océan Indien, et le lien qu’établit Marco Polo entre Zanzibar et Madagascar, découle d’une route bien connue des arabes et des Indiens.

Ainsi, aux cours de leurs voyages, les navigateurs arabo-persans ont rapporté des mythes et des légendes de cette grande île qu’est Madagascar. C’est sûrement de ces rencontres avec ces navigateurs que Marco Polo a obtenu son récit.

Sindbad le marin s'empare des diamants

On retrouve l’un de ces mythes dans les Contes des milles et une nuits [4], notamment dans les aventures de Sindbad le marin, il s’agit du deuxième et cinquième voyage de Sindbad. Précisons que la plus ancienne trace écrite des Milles et une nuits date du XIIIe siècle.

Toutefois, les aventures de Sindbad le Marin n’y figuraient pas. C’est Antoine Gallant, dans ses publications entre 1704 et 1717, qui les y intégra.

Dans le deuxième voyage, après s’être une fois encore perdu en mer, Sindbad arrive sur une île, atterrit dans une vallée remplie de diamants, gardée par des serpents gigantesques…

On est face encore à cet imaginaire d’une île riche de mille merveilles, richesse matérielle et richesse de la nature. Sindbad doit alors affronter l’oiseau rokh, un oiseau géant capable de tuer les serpents.

Il s’aperçoit que d’autres marins jettent des morceaux de viande énormes dans la vallée, les diamants s’enfonçant alors dans la chair. L’oiseau rokh attrape la viande, les marins l’effraient avec des tintamarres incroyables, le rokh relâche la viande, les marins récupèrent les diamants.

Pris au piège de la vallée, entre les serpents et les oiseaux rokh, mais désireux de faire fortune, Sindbad trouve la parade, il se roule dans l’un des morceaux de viande lancé par les marins, ramassant au passage plein de diamants.

L’oiseau le soulève puis le relâche sous les tintamarres. Une fois encore, Sindbad s’enrichit…

Lors du cinquième voyage, Sindbad et ses marins tombent sur un œuf d’oiseau rokh qu’ils s’empressent de casser et de dévorer. Le couple d’oiseau rokh, père et mère de l’œuf, se précipite alors pour attaquer le navire de Sindbad, lâchant de leurs serres des blocs de pierre qui endommagent le navire.

Du suspens, un héros courageux et astucieux, des monstres, des animaux extraordinaires, une nature merveilleuse, un océan en furie, autant d’ingrédients pour faire de Madagascar un vrai pays de fiction… 

Raharimanana, écrivain malgache

Dans la deuxième partie de l’article, nous tenterons de montrer, à travers le mythe de «l’arbre anthropophage», que malgré le discours «scientifique» gravitant autour de la théorie de l’évolution et des classifications botaniques, le regard sur Madagascar reste fondamentalement de fiction et d’idéologie…

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Raharimanana

Né à Antananarivo, capitale de Madagascar, Raharimanana est romancier, poète et dramaturge, on lui doit notamment les romans "Nour, 1947" (Editions du Serpent à plumes, 2001), "Za" (éditions Philippe Rey) et les pièces, "47"(éditions Vents d'ailleurs), "Les cauchemars du gecko" (éditions Vents d'ailleurs), "Des Ruines"(éditions Carnets-Livres), toutes mises en scène par Thierry Bedard de la compagnie "notoire".

Ses derniers articles: Madagascar, cette île qui n'existe pas (2/2)  Madagascar, l'île fictive  Les Français hors d'Afrique 

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