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Ce festival qui redonne toutes ses couleurs à l'Afrique du Sud
Le Festival national des arts de Grahamstone, en Afrique du Sud, a bravé tous les interdits, sous l'apartheid, pour devenir le symbole de la réconciliation dans le pays arc-en-ciel.
Créé en 1974 sous l'apartheid, le Festival national des arts de Grahamstown, dans la province du Cap oriental, réunit chaque année Afrikaners, coloured et Zulus pour un moment d'échanges et de partage.
Lynette Marais, la directrice de l'époque, avait pris le risque d'ouvrir ce festival aux noirs, à un moment où la ségrégation entre les blancs et les noirs étant à son comble.
Pour elle, «les artistes sont l'archive d'un pays et de son peuple. Ils sont là pour témoigner de leur vie à travers leurs œuvres».
Malgré les pressions politiques, elle voulait participer à un dialogue et à la réconciliation entre les Sud-Africains. Dans le même temps, un doute l'a hantait.
«A quoi cela sert-il d'ouvrir un festival aux noirs si dans le reste du pays tout leur est interdit?»
D'ailleurs, peu d'artistes non-blancs ont participé au lancement de ce projet, par peur d’enfreindre la loi.
Mais la petite goutte à la mer de Lynette Marais a fait son chemin, et aujourd'hui les festivaliers viennent de toute l'Afrique du Sud, des pays voisins et même d'Europe pour profiter d'une programmation riche avec des spectacles de danses, de chants, d'opéra et de théâtre.
Devoir de mémoire
Exhibit A, est l'un des spectacles les plus poignants de l’édition 2012. Il est né d’une idée originale de la Sud-Africaine Jan Ryan.
Chaque visiteur reçoit en ticket d'entrée, un numéro tel un matricule et attend dans une salle neutre. Chacun est ensuite appelé et doit parcourir seul un chemin éclairé à la bougie. Sur le sol, des flèches à suivre.
L'envers du décor est chargé. Des êtres humains sont confinés dans des caisses en bois, on aperçoit uniquement leur tête.
Non loin d'eux, des intestins sont exposés dans des bocaux, puis il y a des femmes dénudées que l'ont vient voir comme la célèbre Venus hottentote.
Des têtes décapitées se mettent soudain à bouger et à ouvrir leur bouche, d'où sortent un son proche des claquettes. En réalité, c'est leur langue qui trébuche sur leur palais des chants gospel en xhosa, la langue de la tribu dont est issu Nelson Mandela.
«C'est triste, car on ressent des choses très dures», avoue un couple d'Européens qui s'est mis à pleurer, submergé par l'émotion.
La colonisation est ensuite expliquée par les témoignages de Sud-Africains. Une mère raconte qu'elle ne pouvait pas voyager avec sa fille métisse, parce qu'elle était considérée comme noire tandis qu'elle était blanche.
Une simple anecdote aujourd'hui. Mais, jadis, c’était le fardeau de beaucoup de Sud-Africains.
«Nous avons besoin de parler de cette histoire, car nous avons un devoir de mémoire pour nos enfants qui n'ont pas connu tout l'apartheid, ce n'est pas pour la rancœur, mais pour mieux vivre ensemble et se comprendre, car nous le voulons sans doute tous», explique un Zulu.
C'est la première fois que ce spectacle est présenté en Afrique du Sud. Il était d'abord destiné à l'Europe avec trois volets pour trois possibilités: Exhibit A, B et C.
Le spectacle a reçu des subventions européennes et les performances ont été vues dans des festivals en Autriche et en Allemagne.
L'accent est d'ailleurs mis sur le moment où l'Afrique du Sud subissait des atrocités sous les forces coloniales allemandes.
Le performances d'Exhibit montrent aussi les liens avec l'actualité, et les toutes les questions liées à l'immigration. Elles pointent ainsi du doigt les nombreux décès des candidats à l'exil en Europe ou en Amérique.
Le militantisme par les arts
Ismayel Mahomed est le nouveau directeur du festival.
«Chaque année, nous nous efforçons de faire une programmation internationale, sans oublier d'auditionner les groupes locaux. Tous les Sud-Africains sont représentés à l'image de notre société arc-en-ciel. Cette année est inscrite dans un contexte particulier, avec l'année de la France en Afrique du Sud. De nombreux artistes français sont présents au festival, et donner lieu à des créations franco-sud-africaine.»
A une heure du plus grand port d'Afrique, celui de Port Elizabeth, se trouve la ville de Grahamstown. Pour le Festival national des arts, l'ensemble de la ville a été réquisitionné. Car, dans les environs, il y a très peu d'espaces culturels.
De nombreuses écoles et les locaux de l'université se sont transformés en lieux de spectacles.
Dans un gymnase, s'est joué Mayem Dance, de la compagnie Vuyani Dance Theatre Project, une chorégraphie signée Gregory Maqoma et Luyanda Sidiya.
Des chorégraphes sur scène pendant le festival de Grahamstone. © Mélanie Challe
Pour ces chorégraphes reconnus en Afrique du Sud, «la danse est un art qui permet de s'engager artistiquement et politiquement». A travers ce spectacle on ressent la dimension spirituelle des chorégraphes.
«La musique est quasi omniprésente dans mes créations. J'aime que les musiciens soient en live car j'aime faire interagir les artistes. Je travaille beaucoup avec les extrêmes, mais en même temps j'essaie de trouver le chemin du milieu», explique Gregory Maqoma.
Les spectateurs accompagnent les danseurs tapant les mains ou en tapant les pieds au sol, comme quand on frappe sur une batterie.
Gregory Maqoma réussit le fabuleux pari de faire de la danse contemporaine avec de la musique traditionnelle.
Les rythmes fusionnent les airs traditionnels que l'on peut trouver le long des villages bantou, avec du kwaito, et la musique de ballet, pour laisser place aux percussions.
Tels des battements de cœur, on ressent la tension, la lourdeur, le fardeau que peut parfois sembler la vie. Mais sur scène, la beauté des expressions des visages et des corps exprime également l'amour et le partage.
Ekia Badou
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