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Une femme âgée attend de l'aide alimentaire à Alger le 20 août 2010. Reuters/Zohra Bensemra
Une femme âgée attend de l'aide alimentaire à Alger le 20 août 2010. Reuters/Zohra Bensemra

Les Algériennes veulent l'indépendance

Cinquante ans après la libération du joug colonial, les Algériennes attendent leur révolution. Cible principale: le Code de la famille.

Les députés algériennes championnes du Maghreb? Les femmes seraient-elles les grandes gagnantes des élections législatives qui ont eu lieu le 10 mai dernier en Algérie?

Avec 145 femmes élues sur le total des 462 sièges, l’Algérie a effectivement enregistré un record de parité homme-femme. 

A l’aube du cinquantième anniversaire de l’indépendance algérienne, qu’en est-il du statut de celles qui ont participé activement à la victoire politique et militaire contre la puissance coloniale française?

Promulgué en 1984 et amendé en 2005, le code de la famille algérienne légalise et institutionnalise une inégalité entre les hommes et les femmes, entre le mari et l’épouse, entre le père et la mère.

Cette loi, promulguée 22 ans après l’Indépendance confère de nombreux pouvoirs au mari ou au père et conduit clairement à un rapport de force parfois violent, toujours inégal, entre les hommes et les femmes. Si la loi est régressive, les comportements de la société le sont également.

L’attitude des hommes est ainsi façonnée par une loi qui leur attribue un statut supérieur.

«Le code de la famille de 1984 institutionnalise l’inégalité homme/femme et impose que la femme obéisse à son époux. Ce n’est pas la femme qui conclut le mariage, mais un tuteur matrimonial. A cela s’ajoute l’inégalité devant le divorce», précise Feriel Lalami, politologue et auteur de "Les Algériennes contre le code de la famille.

Un code de la famille rétrograde et conservateur

Même si certains volets de la loi ont disparu en 2005, d’autres se maintiennent, au grand dam des associations féministes qui demandent l’abrogation pure et simple d’un texte qu’elles considèrent comme rétrograde et conservateur.

Les amendements du code la famille n’ont nullement modifié sa grammaire: le masculin l’emporte toujours sur le féminin.

Après 2005, le wali, le tuteur matrimonial, ne conclut plus le mariage, mais il reste présent lors de la cérémonie.

L’épouse peine à s’émanciper de ce tuteur, qui par sa seule présence, rappelle que la femme n’est pas l’égale de l’homme en Algérie.  Un maintien du patriarcat qui va à l’encontre de l’article 29 de la Constitution algérienne stipulant l’égalité des citoyens devant la loi «sans que puisse prévaloir aucune discrimination pour cause de naissance, de race, de sexe, d’opinion ou de toute autre condition ou circonstance personnelle ou sociale.»

Feriel Lalami tient tout de même à nuancer ce triste tableau.

«Les luttes féministes ont porté leurs fruits en 2005 avec la suppression du devoir d’obéissance de la femme à son mari et la réglementation de la polygamie. Il y a eu des avancées, mais elles restent insuffisantes.»

Figures de proue de la lutte pour l'Indépendance

Cinquante ans après la lutte pour l’Indépendance du pays, les Algériennes attendent encore d’être libérées des hommes.

Ces mêmes femmes qui avaient rejoint le maquis dans les années 1950, qui avaient camouflé des armes dans les couffins de leurs enfants et commis des attentats contre l’occupant. Les Moudjahidins (combattants armés), au féminin, les Moudjahidates…

Avant même la bataille d’Alger, des femmes algériennes ont risqué leur vie pour aider leurs compatriotes.

«A postériori, l’engagement armé des femmes, principalement pendant la période de la guerre (1954-1962) a été très mis en valeur. Mais les femmes n’ont pas attendu le déclenchement de la guerre pour résister. Dans les années 1940, de nombreuses femmes s’investissent dans les partis nationalistes comme celui du peuple algérien (PPA) de Messali Hadj.»

Un engagement des femmes repris et valorisé dans les discours du pouvoir algérien au lendemain de l’Indépendance.

Le mythe «mission civilisatrice» de la France

Alors comment comprendre que cela ne se traduise pas en libertés effectives et en droits?

Ahmed Ben Bella, Boumediene ou Boudiaf ont pourtant tous usé de la même rhétorique: les femmes ont gagné leur émancipation car elles ont participé à la guerre.

«Ce discours de la libération algérienne occulte le véritable sort réservé aux femmes. Un fossé se creuse entre l’Algérie, qui bénéficie d’une aura révolutionnaire dans tout le tiers-monde et la condition des femmes. Il faut attendre 1984 pour que le pouvoir algérien et les Algériennes se saisissent de la question du statut personnel, qui n’a quasiment pas été changé sous l’administration française», explique Feriel Lalami.

Et de rappeler que «la mission civilisatrice de la France en Algérie n’a été qu’un mythe au regard du taux d’analphabétisme chez les femmes au lendemain de l’Indépendance: 90%.»

Il faut attendre la scolarisation massive des femmes et leur entrée à l’Université pour constater des changements dans la société algérienne. Elles sont là, fortement présentes dans l’Education, les métiers de la santé et l’Université.

De nombreuses associations comme celle d’APEL (Association pour l’égalité devant la loi) militent pour un statut autonome pour les femmes. Les militantes demandent l’abrogation du code de la famille, préalable à toute indépendance de la femme algérienne.

Cinquante ans après l'indépendance, les Algériennes attendent leur révolution.

Nadéra Bouazza

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Pour plus d'infos: le Blog Paroles d'Algériens

Nadéra Bouazza

Nadéra Bouazza. Journaliste à Slate Afrique

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