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Inès Dallo Morelle, 8 ans, est séparée de sa mère, introuvable, depuis un an. @ Hélène Renaux
Inès Dallo Morelle, 8 ans, est séparée de sa mère, introuvable, depuis un an. @ Hélène Renaux

Côte d'Ivoire: comment guérir les enfants des maux de la crise

Plus d’un an après, les enfants gardent les stigmates du conflit post-électoral en Côte d'Ivoire. Preuve supplémentaire de leur vulnérabilité, l'embrigadement d'enfants-soldats à l'ouest du pays.

«J’ai vu des cadavres, un homme se faire poignarder à la cuisse dans la rue… raconte Julie Komboté, 12 ans. Et dès que je repense au pasteur qui m’avait recueillie quand maman était partie, qui se fait frapper par les militaires, ça me fait mal, très mal.»

Plus d'un an après la crise post-électorale en Côte d’Ivoire et ses 3.000 morts, les souvenirs des cinq mois de conflit restent marqués au fer rouge pour cette adolescente, visage grave et yeux cernés malgré son jeune âge.

De Yopougon, commune du nord d’Abidjan, jusqu’au centre de la capitale, les témoignages des enfants s’enchaînent. Dans le centre d’accueil du Bureau international catholique de l'enfance (BICE), qui regroupe une quarantaine d’enfants, tous dansent dans la cour, abrités de la pluie par une installation en tôle. Les rires fusent, mais au moment d’évoquer la crise, les regards fixent soudain le sol. Certains racontent d’une traite, chaque détail.

«Je me souviens du premier jour: on jouait au foot, et quand les tirs ont commencé, on est allés se réfugier dans les dortoirs. Mais les toits étaient en tôle, les balles pouvaient passer au travers, alors on est allés dans les bureaux. ça nous a rendus vraiment malheureux, je ne dormais plus, j'ai prié pour ne plus avoir peur», raconte Colette, 15 ans.

Le règne de la peur

Un traumatisme d'autant plus grave pour ces enfants maltraités par la vie. Les tresses mêlées de perles colorées de la jeune fille contrastent avec la tristesse de son visage. Arrivée il y a deux ans au centre, Colette a été rejetée par sa famille.

«Mes parents m'ont accusée de sorcellerie, d'avoir tué mon neveu. Juste parce que j'allais à l'église et qu'eux adoraient les fétiches... Ils voulaient me lyncher», raconte-t-elle, en pleurs et d'une voix presque inaudible.

Pour protéger ses jeunes pensionnaires, Berté Kafinim, la responsable du centre d'accueil, a utilisé tant bien que mal les moyens du bord:

«Nous étions tous devenus psychologues, on leur parlait beaucoup. Nous enfermions aussi les enfants dans le centre pour qu'ils ne voient pas les cadavres et pour qu'ils n'entendent pas le bruit des combats. Mais certains ont eu des diarrhées tellement ils avaient peur!»

«Les enfants ont été les premières victimes de la crise post-électorale, analyse Konan Arnaud, coordinateur national du BICE, ils sont les plus vulnérables, ne vont plus à l’école (67.500 en ont été privés selon l’Unicef), souffrent de malnutrition et subissent de véritables chocs.»

Un an après, des enfants encore sans parents

Comme la séparation brutale avec leurs parents. Une situation qui a concerné 649 enfants dans le pays selon le Fonds des Nations-Unies pour l'Enfance (UNICEF) pendant la crise post-électorale. Mais un chiffre à revoir à la hausse, selon le BICE.

«Beaucoup de cas nous ont échappés, un enfant d'Abidjan non recensé vient juste d'être retrouvé en Guinée!» explique Danié Privard, chargé de programme au sein de l’ONG.

La séparation se fait «majoritairement pendant un déplacement des populations qui tentent de fuir pendant le chaos», explique Louis Vigneault-Dubois, porte-parole d'Unicef Côte d'Ivoire.

Environ un million de personnes ont quitté leurs maisons pendant le conflit.

Dans tout le pays, un quart des enfants seulement ont pu retrouver leurs parents selon l’ONG, les autres ont été recueillis par des proches, dans une famille d'accueil, ou en dernier recours dans un centre social. Car la réunification est lente et difficile: l’enquête peut durer des mois et ne pas aboutir. Inès Dallo Morelle, 8 ans, n’a toujours pas retrouvé sa mère, plus d’un an après la fin de la crise.

«Un jour, on s’est caché avec ma maman à cause des tirs, et après maman a fui et m’a laissée à un voisin. Elle me manque, je veux la retrouver», raconte-t-elle, tout en jouant avec sa sandale.

La petite fille habite chez son oncle, chômeur. Son père l’a abandonnée juste après sa naissance.

«On a aucune piste, aucun indice pour Inès, soupire Frédéric Kondo, bénévole à l’ONG Save The Children. Normalement, on trouve des éléments auprès des proches de la même communauté, auprès des écoles ou des commissariats. Mais là c’est très compliqué car à Zoukougbeu (centre-ouest du pays NDLR), la localité de sa mère, il y a des attaques et tout le monde fuit!»

L’ouest du pays reste très instable, miné depuis un an par des attaques attribuées à des forces fidèles à l'ex-président ivoirien Laurent Gbagbo et réfugiées au Liberia. C’est d’ailleurs dans cette région, très éprouvée par le conflit, que la plupart des enfants ont été séparés de leurs parents pendant la crise post-électorale.

Julie Komboté, 12 ans, reste traumatisée par la crise post-électorale. © Hélène Renaux

L'ouest du pays, une situation «très inquiétante pour les enfants»

Aujourd’hui, selon le Bureau des Nations unies pour la coordination des Affaires humanitaires (Ocha) en Côte d'Ivoire, environ 5.000 personnes, en majorité des femmes et des enfants, ont fui vers Taï, ville proche de la frontière avec le Liberia, après l’attaque du vendredi 8 juin qui a fait au moins 18 morts, dont 7 Casques bleus. Les incursions continuent.

«C’est très inquiétant, des enfants risquent encore d’être séparés de leur famille», appréhende le porte-parole de L’Unicef.

Cette région est un nouveau guet-apens, un lieu d’enrôlement forcé d’enfants-soldats. Selon le rapport de l’ONG Human Rights Watch publié mercredi 6 juin, de jeunes adolescents entre 14 et 17 ans sont recrutés par des miliciens libériens dans les villages à la frontière entre la Côte d'Ivoire et leur pays. C'est «l'unité des petits garçons».

«J’ai [participé] à certaines attaques avec mon unité [dont une au moins transfrontalière] et nous avons pu les mener à bien grâce à notre connaissance du territoire, explique un jeune Libérien de 17 ans à Human Rights Watch. Je ne sais pas combien de personnes nous avons tuées au total... Dans cette mission, nous avons des chefs qui nous entraînent et nous suivent sur le terrain».

«La motivation [ des miliciens NDLR] semble avoir été la vengeance politique, les attaquants étant des militants pro-Gbagbo, et les conflits liés à la terre», explique pour Slateafrique l'auteur du rapport Matt Wells.

«Il faut sensibiliser les gouvernements concernés avant que le problème s’aggrave. Les individus qui sont impliqués dans le recrutement doivent répondre de leurs actes».

«Un sentiment d’impunité total»

Mais aujourd’hui, les structures judiciaires et policières sont loin d’être rétablies dans le pays. 65% des tribunaux ont fait l'objet d'attaques pendant la crise de 2010-2011, selon l'Unicef.

Par exemple, dans les 643 cas d'enfants recensés victimes de violences, dont sexuelles («mais le chiffre réel est 7 à 10 fois plus élevé» selon le porte-parole de l’ONG en Côte d'Ivoire), 8% seulement des agresseurs ont été poursuivis. «Et personne n'a été condamné en 2011», soupire Louis Vigneault-Dubois. Un vide juridique qui renforce le climat d'impunité.

Les pics de violations de droits contre les enfants ont été atteints en plein coeur de la crise pendant les affrontements massifs, surtout en mars (111 cas de violation recensés) et en avril (138).

Cette montée de la violence s'explique par «l'effritement du tissu social avec les tensions inter-communautaires, les enfants n'ont plus de protection, tout lien part en fumée. D'autant plus que la police et la justice sont complètement dysfonctionnelles, les agresseurs ont donc un sentiment d'impunité total», analyse Louis Vigneault-Dubois.

Pour tenter de panser les plaies de cette crise par d’autres moyens, l'UNICEF a fourni une assistance psychosociale à plus de 17.000 enfants dans tout le pays.

Combattre les vieux démons des conflits par le jeu

Au détour d’une ruelle sinueuse de Yopougon, un joyeux brouhaha se fait entendre. Une vingtaine d’enfants jouent aux cartes, à la corde à sauter, dansent en tapant des mains. C’est le centre récréatif créé par Save The Children après la crise. Une initiative pour combattre les vieux démons des conflits par le jeu.

«Juste après la crise, les enfants dessinaient systématiquement des armes, des chars, du sang… Petit à petit, ces images de guerre ont été remplacées par des maisons, des poupées, des soleils, raconte Madeleine Gossé, présidente du centre.

Des psychologues sont là pour les écouter, l’écoute c’est essentiel, il faut que l’enfant réussisse à extérioriser tout son mal-être. Mais pour battre tous ces cauchemars, ces peurs, c’est un processus très long.»

La quarantaine de centres du pays vont pourtant fermer fin juin, faute de moyens. Et les centres sociaux du gouvernement ivoirien ne sont pas prêts à prendre le relais.

«Il y a un centre social pour un million d’habitants dans le quartier d'Abobo par exemple… C’est une goutte d’eau dans la mer!» se désole Tiemele Tanoh, du centre social de Port-Bouet 2, à Abidjan.

«Si tous les enfants traumatisés ne sont pas suivis rapidement, ils sont vite stigmatisés par l'entourage, exclus, repliés sur soi... Ils deviennent encore plus exposés aux violences et eux-mêmes deviennent agressifs!»

Un dangereux cercle vicieux. La petite Inès a l’air de l’avoir évité. Tout sourire, elle annonce fièrement qu’elle veut devenir couturière, et court à toutes jambes au centre récréatif. Où personne ne joue «à la guerre».

Hélène Renaux

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