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Barack Obama n'a toujours pas de politique africaine
Beaucoup d'Africains espéraient que l'approche de Barack Obama vis-à-vis du continent soit marquée par une diplomatie audacieuse et innovante. Mais la politique africaine du président américain s'est plutôt inscrite dans la continuité.
Mise à jour du 7 novembre: Barack Obama est réélu président des Etats-Unis en remportant plus de 270 grands électeurs necessaires. "Quatre ans de plus" a tweeté le président sur son compte personnel.
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En Afrique, l'élection de Barack Obama avait été accueillie avec enthousiasme. On a dansé dans les rues du Liberia. Le jour de son investiture a été décrété férié au Kenya.
La visite officielle du président Obama, en juillet 2009, a renforcé ces espoirs: aucun président américain n'avait fait le déplacement aussi tôt dans son mandat —et nombre d'entre eux ne s'étaient même jamais rendu sur le sol africain pendant leur passage à la Maison Blanche.
Prononcé au Ghana, l'important discours d'Obama sur la politique africaine a été généralement bien reçu; nombre d'hommes politiques africains, toutes orientations confondues, ont alors été rassurés par les thèmes développés par le président —autonomie, bonne gouvernance.
L'espoir déçu du discours d'Accra
Le père d'Obama était originaire du Kenya, et beaucoup d'Africains (et d'experts américains de l'Afrique) s'attendaient à ce que son approche de l'Afrique soit marquée par un renouveau diplomatique.
Un certain nombre de forces en présence —et Obama lui-même, à certaines occasions— ont toutefois œuvré pour donner toutes les apparences du statu quo à la politique africaine américaine.
Obama a notamment décidé de confier les départements africains de l'USAID (United States Agency for International Development) et du département d'Etat à d'habiles diplomates de carrière, les préférant aux political appointees, ces hauts fonctionnaires sélectionnés par le pouvoir.
Un choix pour le moins curieux: pourquoi donner ces postes en or à des diplomates, sachant dès lors que la prudence serait le maître-mot de la politique africaine des Etats-Unis? (Susan Rice, l'ambassadrice américaine auprès des Nations unies, est certes une political appointee de tout premier ordre, forte d'une riche expérience de l'Afrique —mais l'ampleur de la tâche qu'elle accomplit à New York est telle qu'elle ne peut prendre en charge la diplomatie africaine dans son ensemble).
Johnnie Carson, le secrétaire d'Etat adjoint pour l'Afrique des Etats-Unis, est un diplomate aguerri, tout comme Earl Gast de l'USAID. De fait, Carson surpasse sur tous les plans la secrétaire d'Etat adjointe pour l'Afrique de George W. Bush, Jendayi Frazer.
Selon un rapport d'inspection générale —particulièrement critique— paru peu après son départ, l'incompétence de cette political appointee avait failli avoir raison du sous-secrétariat d'Etat, qui n'était plus que l'ombre de lui-même.
Le choix de diplomates de carrière
C'est précisément là que le bât blesse: dans le monde de la bureaucratie, les political appointees sont souvent des cas extrêmes. Leurs parcours sont soit brillants, soit catastrophiques.
Les diplomates de carrière —comme Carson et Gast—s'acquittent, quant à eux, de leur tâche avec un certain savoir-faire, évitent les erreurs les plus évidentes, et prennent bien soin de ne pas suivre la politique du gouvernement avec trop de zèle: cela pourrait leur coûter leur carrière sous l'administration suivante.
Cette stratégie gouvernementale n'est pas mauvaise en soi, mais elle ne permet pas de mettre sur pied des mesures innovantes ou audacieuses —et ce tout particulièrement dans une région du monde qui peine à attirer l'attention des hauts responsables politiques, même dans ses meilleurs jours.
Ce manque de poids politique au sein du département d’Etat et de l’USAID coïncide avec un renforcement progressif de l’activité du Pentagone sur le continent africain.
Le commandement unifié pour l’Afrique du Pentagone (ou «Africom») bénéficie d’importantes ressources: créé en 2007, ses effectifs dépassent déjà ceux des employés internationaux de l'USAID sur ce continent.
Il intervient par ailleurs dans les débats relatifs à la politique africaine des Etats-Unis, sujet auquel le Pentagone avait rarement témoigné autant d’intérêt par le passé.
Prenons l'exemple du Kenya: en 2011, il a rompu avec sa politique traditionnelle de non-intervention militaire régionale en envahissant la Somalie; le pays lui servirait de base dans sa lutte —à durée indéterminée— contre les islamistes d’Al-Shabbaab.
Plusieurs hauts dirigeants militaires des deux pays concernés (interrogés lors d’entretiens privés) ont laissé entendre que l’invasion n’aurait sans doute pas eu lieu sans les encouragements du Pentagone.
On peut également citer un récent article paru en une du Washington Post, qui décrit une inquiétante pratique du département de la Défense: ce dernier engagerait des entrepreneurs indépendants «pour espionner de vastes pans du territoire africain».
Nous nous heurtons, là encore, à certaines des limites du choix du président américain —confier les départements africains les plus importants à des diplomates de carrière.
L'influence du Pentagone
Peu de diplomates sont prêts à ferrailler avec le titanesque département de la Défense sur les questions de politique africaine, même lorsque cette politique semble plus motivée par les impératifs de sécurité à court terme que par une vision à long terme axée sur la croissance économique et politique de ce continent.
Lorsqu’il s’agit de traquer les extrémistes sur le territoire africain, l’armée américaine accomplit certes un travail remarquable —mais ses gradés connaissent mal l'histoire et le contexte politique complexes de ce continent. C'est ce qui transparaît dans un reportage —parfois époustouflant— paru en six parties dans le magazine hebdomadaire américain Military Times.
Un officier responsable du choix des objectifs dans la Corne de l'Afrique tient ces propos au journaliste:
«Nous n'avons pas compris cette culture, nous n'avons pas compris ces gens… En réalité, nous n'avons pas compris les acteurs principaux et les liens qui les unissaient au sein des différentes organisations et des différentes villes de la Corne.»
Ces informations mettent en lumière une tendance générale, qui permet d'expliquer pourquoi l'administration Obama porte aujourd'hui moins d'attention à l'Afrique. Entre les conflits d'Afghanistan, d'Irak, du Pakistan, de la Syrie et du Yémen, l'économie de l'eurozone (encore sur le fil du rasoir), le programme nucléaire iranien et l'instabilité majeure des transitions politiques dans le Moyen-Orient, cette administration manque de ressources pour conduire d'autres projets.
Renouveler la politique africaine en profondeur, élaborer une nouvelle vision? Un luxe, à n'en pas douter, lorsque les crises internationales se relaient chaque jour à la une des journaux. Le pouvoir ne peut jamais s'avouer surchargé par l'actualité, mais l'administration Obama a, elle, toutes les raisons de l'être.
La Maison Blanche a néanmoins dévoilé une nouvelle stratégie pour l'Afrique il y a quelques jours. Si vous n'en avez pas entendu parler, vous êtes tout excusé: l'annonce a été faite en toute discrétion; presque en catimini.
Selon certains bruits de couloir, cette stratégie aurait été annoncée dans l'urgence afin d'atténuer les répercussions du fameux reportage du Washington Post (consacré aux entrepreneurs privés en charge de l'espionnage dans la région).
D'autres ont fait remarquer que l'Afrique avait ceci d'unique qu'un président des Etats-Unis pouvait attendre le mois de juin d'une année électorale pour annoncer une nouvelle stratégie, sans s'attirer les foudres et les attaques des porte-parole du candidat adverse.
Quant à la stratégie en question, elle met l'accent sur le commerce et la démocratie; autant dire qu'elle est aussi raisonnable qu'insipide.
Extrait de l'annonce:
«Les Etats-Unis vont s'associer aux pays de l'Afrique subsaharienne, afin de mener à bien les objectifs suivants, qui sont interdépendants et se renforcent mutuellement: (1) renforcer les institutions démocratiques; (2) encourager la croissance économique, le commerce et l'investissement; (3) faire progresser la paix et la sécurité; et (4) promouvoir l'égalité des chances et le développement.»
Une stratégie très proche de celles que l'on a pu voir sous Bill Clinton et George W. Bush.
Le changement, ce n'est pas pour maintenant
En janvier 2012, Obama a demandé au Congrès de lui donner le pouvoir de fusionner et de réformer les six agences américaines de promotion du commerce, afin de créer un organe centralisé pour les entreprises américaines souhaitant faire plus d'affaires à l'étranger; ce qui aurait sans doute plus d'impact en Afrique que dans toute autre région.
Cette proposition semble toutefois s'être perdue dans les méandres du Congrès, qui ressemble, il est vrai, de plus en plus à un marécage partisan.
Certaines firmes américaines estiment que l'Afrique est aujourd'hui en mesure de connaître une croissance fulgurante, en dépit de ses nombreux dysfonctionnements de marché —mais les entreprises craignent que l'Amérique n'ait pas de réelle vision à long terme, et qu'elle ne parvienne pas à incarner une alternative attrayante aux capitaux chinois (qui inondent la région dans le seul but d'exploiter ses ressources naturelles).
Voilà bien longtemps que la crise envahit nos journaux; la croissance économique soutenue de l'Afrique fait donc souvent figure de bonne nouvelle. Selon The Economist, un minimum de douze pays africains ont vu leur économie croître de plus de 6% par an pendant au moins six ans.
Ce qui tend à prouver, plus que toute autre élément, qu'une approche —véritablement— nouvelle de l'Afrique est aujourd'hui vitale.
Le continent africain évolue rapidement, et se trouve désormais aux portes d'un changement radical. Or l'Amérique ne dispose d'aucun plan directeur (qu'il s'agisse de diplomatie, de développement ou de défense) pour faciliter ce changement.
Ceci étant dit, l'Amérique n'a pas forcément tort d'inscrire sa politique africaine dans la continuité; il ne s'agit pas là de la pire stratégie qui soit, et l'administration Obama s'est acquittée de sa tâche avec sérieux et professionnalisme. Mais une chose est sûre: la véritable diplomatie du changement devra attendre.
John Norris (Foreign Policy)
Traduit par Jean-Clément Nau
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