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La chanteuse angolaise Titica, à gauche © D.R.
La chanteuse angolaise Titica, à gauche © D.R.

Titica, la transsexuelle qui brise les tabous en Angola

La jeune chanteuse transsexuelle angolaise Titica veut aider, à travers son art, à lutter contre l'homophobie et la transphobie dans son pays.

C’est l’étoile montante de la scène musicale angolaise. Elle s’appelle Titica, a 25 ans et est transsexuelle et lesbienne. Son succès détonne dans un pays majoritairement catholique, où l’homosexualité reste un tabou.

Elle est de toutes les fêtes, officielles et privées. Elle passe sur toutes les radios, du nord au sud du pays. Et elle revient d’une mini-tournée internationale, après seulement un premier album. A 25 ans, Titica est la nouvelle icône du kuduro, ce style musical né en Angola qui mélange rap, techno et rythmes africains.

Inconnue il y a à peine un an, Titica a réussi une ascension éclair. Originaire du quartier populaire de Rangel, à Luanda, la capitale de l’Angola, elle fait ses débuts d’artiste comme danseuse.

Elle accompagne des artistes de kuduro à la mode, comme Noite e Dia, Propria Lixa et Puto Portugues, espérant un jour occuper le devant de la scène. Lors de spectacles, elle est repérée par une maison de production angolaise, LS produções, qui décide de lui donner sa chance.

Son premier single, «Chão», le sol, sort en octobre 2011. Il fait un carton. En quelques semaines, il devient le morceau le plus écouté en Angola et au sein de la diaspora angolaise.

 

 

La chanteuse investit les cadongueiros, ces taxis collectifs qui font le piquant de la circulation à Luanda, les sonneries des téléphones portables des adolescents et les fêtes d’anniversaire des plus petits.

Suit un deuxième morceau, «Olha o Boneco», regarde le jouet, dans lequel elle chante avec Ary, autre star angolaise, et qui rencontre le même succès.

Titica est nommée meilleure chanteuse de kuduro de l’année et elle est invitée au Concert annuel des divas, un énorme show télévisé en présence du président de la République, Jose Eduardo Dos Santos.

Titica multiplie ensuite les concerts, en Angola et à l’étranger. En février et avril 2012, elle participe aux festivités du Carnaval et aux commémorations des dix ans de la fin de la guerre civile à Luanda, puis part en tournée dans les principales villes du pays.

Entretemps, elle s’envole pour les Etats-Unis, le Portugal ou encore le Brésil afin de se produire dans des festivals internationaux. Et, aujourd’hui, elle travaille sur un deuxième album.

Première artiste transsexuelle en Angola

Mais l’histoire de Titica est bien plus que celle d’un succès fulgurant. C’est surtout celle de la première artiste transsexuelle en Angola.

Car, le vrai nom de la chanteuse est celui d’un homme, Teca Miguel Garcia. De sexe masculin selon l’état-civil angolais, Titica explique s’être pourtant toujours sentie femme.

«Je jouais avec des poupées, je ne restais qu’avec des filles et je faisais tout comme une femme, raconte la chanteuse. Je ne savais pas ce que cela voulait dire mais je savais que j’étais différente des autres enfants.»

Une orientation sexuelle difficile à vivre en Angola. Sa famille la rejette, elle doit trouver refuge chez des amis. Les voisins et les passants se moquent, elle encaisse les critiques. «J’ai même été battue à cause de mes préférences sexuelles, les gens sont très sévères envers les personnes comme moi», lâche la jeune fille.

Malgré les difficultés, Titica décide de s’assumer. A 16 ans, elle entame les démarches pour se faire poser des implants mammaires, une opération qui a eu lieu il y a deux ans au Brésil.

«C’était comme s’il manquait quelque chose dans ma vie, mais après la chirurgie, je me suis sentie tellement mieux. Je me sentais plus moi, confie-t-elle. La Titica que vous voyez aujourd’hui en face de vous, c’était celle qui était enfouie tout au fond de moi.» 

Symbole de la cause homosexuelle face aux tabous angolais

Depuis, Titica affiche un physique de top-model, grande métisse aux longs cheveux bruns, très apprêtée et à la poitrine toujours est mise en valeur par un décolleté. Dans ces clips et sur scène elle n’hésite pas à jouer la provocation avec des tenues sexy et des postures parfois très osées.

Dans ses chansons, elle parle notamment des différences sexuelles, des discriminations et appelle à la tolérance.  

«Les gens sont encore bien fermés sur le sujet mais, grâce à Dieu, les mentalités commencent à s’ouvrir et ça va continuer. De plus en plus de gens vont s’habituer…», espère-t-elle.

Un rôle social dont se félicite son agent, Emilia Abrantes:  

«Les gens aiment Titica, avant tout, parce qu’ils apprécient sa musique. Mais à travers ses chansons, ils reçoivent aussi un message, à savoir qu’être gay n’est pas un problème et que les personnes lesbiennes sont des gens normaux.»

Vers une évolution de la société angolaise?

Une idée qui est loin d’être répandue en Angola. Dans ce pays très catholique, et où l’église exerce une forte influence, l’homosexualité reste un tabou dans toutes les classes sociales.

La pratique était même considérée comme illégale et passible de travaux forcés selon l’ancienne Constitution. La nouvelle, adoptée en 2010, est beaucoup plus floue sur le sujet. Si elle définit le mariage comme étant l’union d’une femme et d’un homme, elle condamne toutes les discriminations, dont celles en lien avec la sexualité.

«Peu importe le statut juridique de l’homosexualité, la réalité c’est qu’au sein de la société angolaise, ce mode de vie est largement condamné», souligne Antonio Coelho, le secrétaire du Réseau angolais des organisations et services de lutte contre le sida (ANASO), en contact avec la population homosexuelle du pays.

Au fil des ans, le responsable associatif a toutefois observé quelques signes d’ouverture de la société au débat sur l’homosexualité.  

«Dans ce contexte, Titica vient apporter une contribution aux efforts mobilisés pour faire bouger les choses», analyse Antonio Coelho.

Autre indice d’un possible changement: l’orientation sexuelle de Titica ne l’empêche pas d’être invitée par des membres du pouvoir, plus ou moins haut placés, pour animer les fêtes d’anniversaires de leurs enfants.

Plus globalement, la personnalité de Titica n’entache en rien son succès, en particulier auprès des plus jeunes, âgés parfois de 12 à 13 ans. Dans ces conditions, nul doute que Titica n’a pas fini de faire parler d’elle.

Estelle Maussion

 

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Estelle Maussion

Estelle Maussion est une journaliste française installée en Angola.

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