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Capture d'image de l'arrestation de Laurent Gbagbo, Abidjan, 11 avril 2011, REUTERS/Reuters TV
Capture d'image de l'arrestation de Laurent Gbagbo, Abidjan, 11 avril 2011, REUTERS/Reuters TV

Le double visage de Laurent Gbagbo

Pour l’éditorialiste ivoirien Venance Konan, l’ancien président Laurent Gbagbo s’est illustré par la roublardise et la férocité tout au long de sa carrière politique

Mise à jour du 2 novembre 2012: L'ancien président ivoirien Laurent Gbagbo, soupçonné de crimes contre l'humanité, est suffisamment en bonne santé pour se soumettre aux procédures à son encontre, même si celles-ci pourraient être adaptées, a indiqué le 2 novembre la Cour pénale internationale (CPI).

Les juges de la CPI ont décidé que "M. Laurent Gbagbo était apte à participer à la procédure devant la Cour", a indiqué la CPI dans un communiqué, soulignant qu'en conséquence, "les juges fixeront bientôt une date pour l'audience de confirmation des accusations".

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En 1990, le vent d’est qui se leva en ex-Urss souffla aussi sur notre continent et contraignit nos dirigeants de l’époque à ouvrir leurs régimes caractérisés par les partis uniques. C’est ainsi que des partis d’opposition virent le jour un peu partout en Afrique.

En Côte d’Ivoire, il y eut notamment le PIT (Parti ivoirien des travailleurs) du professeur Francis Wodié, l’USD (Union des sociaux-démocrates) du professeur Bernard Zadi Zaourou, le PPS (Parti pour le progrès et le socialisme) de Bamba Moriféré et le FPI (Front populaire ivoirien) de Laurent Gbagbo. Ces quatre partis formaient ce qu’ils appelaient «la coordination de la gauche démocratique.»

Une certaine violence

Très vite, le FPI se démarqua des autres par ses outrances et son goût de la violence. On se souvient des premières sorties de Laurent Gbagbo à la télévision. Il traita tous les ministres de tocards et l’on se souvient de son attitude méprisante à l’égard d’Houphouët-Boigny (premier président de la Côte d’Ivoire (1960-1993)), lors d’une rencontre au Palais présidentiel.

Très vite, le FPI instrumentalisa la Fesci (Fédération estudiantine de Côte d’Ivoire), le syndicat des étudiants, pour en faire son arme de guerre contre le pouvoir. Ce furent des grèves tous les jours, des professeurs battus, des étudiants tués (le premier fut un certain Thierry Zébié) et ce jour, notre école ne s’en est pas encore remise.

Lorsqu’à l’avènement d’Henri Konan Bédié (président de 1993 à 1999), Bernard Zadi Zaourou accepta d’entrer au gouvernement, le FPI ressortit une vieille photo où les quatre leaders de «la gauche démocratique» marchaient ensemble, mais avec le visage de Zadi noirci à l’encre. Pour l’effacer de l’histoire, comme on savait si bien le faire au temps de Staline en Urss, où tous ceux qui étaient tombés en disgrâce et envoyés au goulag étaient effacés des photos officielles. Cette image seule suffisait pour connaître le vrai visage du FPI, celui d’un parti stalinien, dictatorial, totalitaire.

Duplicité

Après le décès d’Houphouët-Boigny, ce fut la contestation permanente du pouvoir de Bédié, jusqu’au coup d’État de décembre 1999. Jusqu’à ce putsch, le FPI était allié au RDR (Rassemblement des républicains de Côte d'Ivoire) d’Alassane Ouattara et Laurent Gbagbo proclamait qu’il poursuivrait en justice quiconque mettrait en doute la nationalité ivoirienne de M. Ouattara.

Mais il s’allia au régime militaire et ne dit pas un seul mot pour condamner les nombreuses exactions auxquelles se livrèrent les soldats contre la population. Et Ouattara, son allié d’hier, devint, du jour au lendemain, son pire ennemi. Laurent Gbagbo, usant de ruse et de violence, parvint au pouvoir en 2000 dans des conditions qu’il qualifia lui-même de calamiteuses.

Et la chasse au RDR fut ouverte. On se souvient des femmes violées à l’école de police et de cette phrase de Simone Gbagbo: «Qu’est-ce qu’elles avaient à manifester dans les rues?» Carte blanche fut alors donnée à la Fesci pour régenter l’école et surtout l’université, et l’intelligence de la Côte d’Ivoire fut tuée.

Le basculement

Lorsque la rébellion se déclencha au nord, Robert Guéï (ancien chef de la junte au pouvoir (99-2000)) et une partie de sa famille furent tués à Abidjan, le même jour, tandis qu’Alassane Ouattara et Henri Konan Bédié n’eurent la vie sauve qu’en se réfugiant chez leurs voisins ambassadeurs de grands pays occidentaux. Carte blanche fut donnée aux escadrons de la mort, parmi lesquels figuraient des éléments de la Fesci, et des dizaines de personnes proches ou supposées proches d’Alassane Ouattara perdirent la vie.

Et ce fut la descente aux enfers pour notre pauvre pays. Chaque fois que nous croyions avoir touché le fond, Laurent Gbagbo creusait pour que nous descendions encore plus bas. Tout cela dura dix bonnes années.

Nous pensions voir le bout du tunnel avec l’élection présidentielle de 2010. Mais c’était sans compter avec le FPI. Là où le monde entier vit une victoire d’Alassane Ouattara, lui seul, grâce à la gomme magique de Paul Yao-N’Dré (ancien président du Conseil constitutionnel), vit celle de Laurent Gbagbo. Et au nom de cette illusion d’optique, ce dernier entraîna la Côte d’Ivoire dans la guerre.

Mais grâce au soutien de toute la communauté internationale et surtout de la France, elle fut brève et les Ivoiriens se remirent à respirer. La France est devenue l’ennemie du FPI parce qu’elle a empêché Laurent Gbagbo et ce parti de réussir leur hold-up.

Mais pour eux, l’histoire n’est pas finie. Ils avaient juste perdu une bataille. Ils ont eu un an pour fourbir leurs armes. Le moment est venu pour eux, croient-ils, de prendre leur revanche. Les Ivoiriens les laisseront-ils continuer leur œuvre de destruction sans broncher?

Venance Konan (Fraternité Matin)

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Venance Konan

Venance Konan. Ecrivain et journaliste ivoirien. Il a notamment publié le roman Les Prisonniers de la haine.

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