mis à jour le

Tribune: En Côte d’Ivoire, la réconciliation est au point mort
Essayiste ivoirien, auteur de «La guerre de Côte d’Ivoire, la dernière expédition coloniale» (L’Harmattan, 2007), Anicet Djehoury répond à l'éditorialiste Venance Konan.
Dans son éditorial de cette semaine, le directeur du quotidien progouvernemental ivoirien reproche aux «partisans de Laurent Gbagbo d’avoir la mémoire courte...» Reprenant la rengaine de refondateurs responsables de tout, il les soupçonne, à mots à peine couverts, de préparer des actions subversives.
Le mauvais élève, le Professeur: quand la réalité rejoint la fiction
Connais-tu l’histoire du mauvais élève? L’interrogeai-je. La réponse du directeur de ce quotidien ne pouvait qu’être négative. Ce «conte», tout droit sorti de mon imagination, est une preuve supplémentaire que le marigot ivoirien demeure une source intarissable d’inspiration.
Il était donc une fois, un mauvais élève qui, à force de duperies, devenait au bout du compte professeur. Et un tel professeur ne pouvait que jeter un regard soupçonneux sur l’ensemble de ses élèves, les accusant sans preuves de recourir à ses anciennes méthodes…
Une décennie de descente aux enfers
Que ceux qui poussent aujourd’hui des cris d’orfraies n’oublient pas si vite qu’ils jouaient hier avec le feu. 1999, 2000, 2001, 2002, 2004, 2011. Autant de dates que de coups fourrés.
Coup de Noël, coup du cheval blanc, coup de la Mercedes Noire, coup de la rébellion armée, coup électoral etc. Avec autant de coups sur la tête, il n’est pas surprenant d’entendre des Ivoiriens tenir des raisonnements tirés par les cheveux.
Charnier de Yopougon, massacre des gendarmes à Bouaké, massacres des partisans d’IB (Ibrahim Coulibaly) à Korhogo, meurtres des femmes à Abobo, assassinats de civils à Anokoi Kouté, massacre de Duékoué...
Avec ces flots de sang qui coulent des veines ivoiriennes, il n’est que temps pour tous d’ouvrir enfin les yeux.
Vision manichéenne
Qui peut sérieusement croire, qu’il existe d’un côté les bourreaux et de l’autre les victimes? Avec un ciel aussi ombrageux, il n’est plus possible de scruter l’horizon du pays avec des œillères.
La réalité est plus complexe que ne le laissent paraître certains esprits partisans. Un ami nord-américain, fin connaisseur du bourbier ivoirien, me disait récemment:
«A Abidjan, on licencie toutes les semaines –Sotra (Société de transports), Rti (radio et télévision nationales), Port Autonome d'Abidjan etc. – Sans compter la vie chère, les enlèvements etc. Mais, bien sûr c'est la faute aux partisans de Laurent Gbagbo, qui empêchent le pouvoir actuel de «réussir à remettre la Côte d'Ivoire en marche».»
Laurent Gbagbo est en prison depuis plus d’un an mais il est, selon ses détracteurs, toujours responsable de tous les maux du pays.
Ses partisans sont pour certains emprisonnés, pour d’autres en exil, et ont presque tous leurs avoirs gelés. Mais il leur est reproché de ne pas saisir une main qui en réalité ne leur est pas tendue.
Logique de persécution
Il est possible de rester indifférents en voyant Bohoun Bouabré (ancien ministre du Développement de Gbagbo) et Gomont Diagou (ancien maire Cocody, commune d’Abidjan) rentrer d’exil, allongés dans des cercueils. Il est aussi possible d’applaudir en apercevant Lida Kouassi (ministre de la Défense de l'ancien régime) rentrer d’exil, menottes aux poignets. Il est encore possible de traquer Koné Katinan (se présente comme le porte-parole de l'ex-chef d'Etat) et Blé Goudé jusque dans leurs derniers retranchements.
Il est enfin possible de laisser Michel Gbagbo (fils de l’ancien président), Affi N’guessan (président du Front Populaire ivoirien, parti de Laurent Gbagbo), Gilbert Aké N’gbo (dernier premier ministre du président déchu) et Aboudramane Sangaré (ancien ministre de Gbagbo) etc. croupir, sans jugement, dans les geôles du Nord du pays. Faut-il en plus feindre de ne pas comprendre le ressentiment de leurs proches?
Dans un tel contexte, l’opposition, confortée par des partisans déterminés, fait le choix de se tenir debout en allant jusqu’au bout de sa logique politique. Peut-il en être autrement?
Pour une véritable réconciliation
Il faudra bien un jour réapprendre à vivre ensemble parce que la vérité d’aujourd’hui ne sera pas celle de demain.
Il n’est pas question ici d’encourager l’impunité en Côte d’Ivoire. Il ne s’agit pas non plus de tirer un trait, sans confession, sur 12 années de violences. Il est simplement question de relever qu’une justice partiale n’est jamais réparatrice. Elle est au contraire une source de frustrations nouvelles.
S’il n’est pas possible de juger tous les auteurs de crimes avec la même sévérité, pourquoi ne pas aller immédiatement à une véritable réconciliation? Le pouvoir en place se grandirait en mettant un terme à une dérive sécuritaire sans précédent en Côte d’Ivoire. Si une main sincère et franche est tendue à l’opposition, elle n’aurait aucune raison valable de ne pas la saisir.
En juillet 2012, la commission dialogue, vérité et réconciliation aura un an. Un an de dialogue de sourds, et déjà l’Ouest du pays, une région meurtrie, est en passe de s’embraser.
Un an que des Ivoiriens, des militants aux intellectuels, s’injurient sur la toile.
Un an que par presse interposée des journalistes se rendent coup pour coup.
Un an de mensonges sur la réalité des fautes commises par les uns et les autres.
En Côte d’Ivoire depuis le 11 avril 2011 (jour de l’arrestation de Gbagbo), en dépit de discours creux, le processus de réconciliation n’a pas bougé d’un iota. Un an maintenant que la réconciliation nationale est au point mort.
Anicet Djéhoury, Essayiste ivoirien
A lire aussi
La réconciliation est un vain mot
Tribune: Les partisans de Gbagbo ont la mémoire courte
Tribune: Pour les pro-Gbagbo, la réconciliation c’est la vengeance
Côte d'Ivoire: un pro-Gbagbo averti en vaut deux
Cote d'ivoire: «Il existe toujours de nombreux obstacles à la réconciliation»