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Côte d’Ivoire: la réconciliation est un vain mot
Plus d’un an après le départ manu-militari de Laurent Gbagbo, la Côte d’Ivoire est loin d’avoir retrouvé la sérénité promise par son successeur Alassane Ouattara. Les institutions internationales ont beau faire des prévisions économiques optimistes, la réconciliation est un vain mot et la stabilité du pays loin d’être assurée.
Mise à jour du 21 juillet 2012: Au moins 13 personnes ont été tuées dans des violences survenues le 20 juillet dans la ville de Duékoué, dans l'ouest de la Côte d'Ivoire, et dans un camp de déplacés voisin gardé par l'ONU, rapporte l'AFP.
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La scène se déroule dans un appartement de la banlieue parisienne, en novembre 2002. Deux amis ivoiriens sont attablés. L’un, Abou, est originaire du nord de la Côte d’Ivoire, l’autre, Firmin, est de l’ouest.
Quelques jours plus tôt, une rébellion armée a démarré dans le nord. Le pays est coupé en deux. Le nord est tenu par le Mouvement patriotique de Côte d’Ivoire (MPCI), le sud par les troupes gouvernementales fidèles au président Gbagbo.
La discussion s’anime.
«Gbagbo a ce qu’il mérite. Il n’avait qu’à pas jouer avec l’ivoirité! Il faut qu’il dégage!», lance Abou.
«Même si tu contestes les conditions de l’élection de Gbagbo, ça ne sert à rien de prendre les armes!», s’énerve Firmin.
Depuis ce repas, les deux compères, à l’image de nombre de leurs compatriotes, ne se parlent plus. Et la Côte d’Ivoire s’est enfoncée dans la crise.
Dix ans plus tard, bien des Ivoiriens en sont au même stade. Laurent Gbagbo a quitté le pouvoir le 11 avril 2011 sous les bombes françaises, plusieurs milliers d’Ivoiriens sont morts au cours des combats, dans les semaines qui ont précédé.
Le pardon n'est pas d'actualité
Celui qui s’opposa pendant tant d’années à la dictature de Félix Houphouët-Boigny (premier président ivoirien) a fini à la Cour pénale internationale. Son fils Michel et nombre de ses proches croupissent en prison dans des conditions que réprouvent les organisations de défense des droits de l‘homme, tandis que beaucoup de régions restent sous la coupe de seigneurs de guerre pro-Ouattara, rebaptisés Forces républicaines de Côte d‘Ivoire.
La réconciliation promise par le président Ouattara est encore très loin d‘être une réalité. Contrairement à l’Afrique du Sud post-apartheid, citée généralement en exemple en ce domaine, celui qui aime à se présenter comme un démocrate a choisi une justice de vainqueur, épargnant les nombreux criminels de guerre qui l’entourent, tout en maintenant en détention des anciens ministres de Laurent Gbagbo qui n‘ont jamais tenu une arme de leur vie. Le pardon n’est pas à l’ordre du jour en Côte d’Ivoire, alors que des crimes ont été commis dans les deux camps.
Sur le plan économique, les opinions sont partagées. Des chefs d’entreprises nous ont confié que «leurs affaires reprennent». Les institutions financières internationales font des projections de croissance optimistes, pas moins de 8,6% en 2012, certes en grande partie en raison de la reprise après l’effondrement de l’économie pendant la crise post-électorale, et 5,5% en 2013.
Les pillages n'ont pas cessé
Il est vrai aussi qu’Alassane Ouattara, fort d’un extraordinaire réseau international noué au fil des postes occupés au Fonds monétaire international et à la Banque centrale des Etats de l'Afrique de l'Ouest, bénéficie, contrairement à son prédécesseur, d’un soutien inédit à l’extérieur.
Pour autant, malgré des prévisions encourageantes, le pays peine à se relever de dix ans de soubresauts politiques et de destructions intervenues dans les mois précédant le renversement de Laurent Gbagbo.
L’Organisation de coopération et développement économiques (OCDE), qui aide les gouvernements à répondre aux défis économiques, sociaux et de gouvernance, estime d’ailleurs que l’atteinte des objectifs de croissance dépendra notamment de «l’amélioration de la gouvernance et du climat des affaires».
Or, le président Ouattara, de l’avis même des experts de l’ONU, n’a pas encore réussi à mettre fin aux pillages en règle auxquels les chefs de guerre qui l’ont porté au pouvoir ont pris l’habitude de se livrer dans la partie nord du pays, qu’ils ont contrôlée à partir de fin septembre 2002. Tout cela, alors que la stabilité de la «nouvelle Côte d’Ivoire» promise par le nouveau chef de l’Etat reste fragile.
Menaces et accusations de complot
Le 8 juin, des affrontements à la frontière du Liberia, dans le sud-ouest, ont coûté la vie à sept Casques bleus nigériens, dix civils et un soldats ivoiriens.
L’enquête n’est pas terminée, mais le pouvoir laisse entendre que les coupables sont des miliciens favorables à l’ex-président. Ce que dément son parti, le Front populaire ivoirien (FPI), qui accuse plutôt des «mercenaires burkinabè» à la solde d‘Alassane Ouattara, voulant «exterminer» des autochtones.
Dans ce contexte, le ministre de l’Intérieur ivoirien, Amhed Bakayoko, a fait savoir qu’une tentative de coup d’Etat, impliquant des officiers et personnalités pro-Gbagbo en exil au Ghana, aurait été déjouée.
Affirmation encore une fois démentie avec la plus extrême fermeté par le FPI, qui parle de «coup d‘Etat fictif» visant à «charger à fond» Laurent Gbagbo, dans la perspective de son audience de confirmation des charges devant la Cour pénale internationale.
Prévue le 18 juin, elle a été reportée au 13 août, à la demande de ses avocats, selon lesquels il pourrait bénéficier d’une mise en liberté provisoire. L’Ouganda aurait même déjà pris les dispositions nécessaires pour l’accueillir.
Difficile de savoir qui dit vrai à propos des incidents de ces derniers jours. Pour les partisans de président déchu, Alassane Ouattara a tout simplement renoué avec la pratique des «faux complots», courante sous le règne de son mentor, le père de l’indépendance, Félix Houphouët-Boigny, qui l’utilisait pour éliminer ses adversaires.
D’autres soulignent la réelle volonté de revanche d’une partie, au moins, des caciques de l’ancien pouvoir renversé avec une extrême violence, tandis que ses partisans et proches continuent à être emprisonnés ou persécutés. Quoi qu’il en soit, un an après la chute de Laurent Gbagbo, la Côte d’Ivoire est loin d’avoir retrouvé la sérénité.
Etienne Kunde
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