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© Eugénie Baccot
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Burundi: La route de la quinine, une quête inachevée

Le quinquina, l'arbre des fièvres, a des vertus curatives d'un grand secours contre le paludisme. Mais de la culture au médicament, il y a un gouffre. Reportage au Burundi.

Arbuste connu sous le nom d'arbre des fièvres, le quinquina est, dès le XVIIe siècle, utilisé par des missionnaires dans les Andes. Ce n’est qu’au début du XIXème siècle que l’«écorce jésuite» obtient ses lettres de noblesses, quand des chimistes français réussissent à en extraire un principe actif: la quinine.

Cette découverte est une véritable aubaine à l’époque où les empires européens sont lancés à la conquête du continent africain. L’utilisation de la molécule permet de mettre un terme à la pratique des saignées pour guérir le mal qui ravage les missions d’exploration: le paludisme.

C’est pour bénéficier d’une source d’approvisionnement local que le quinquina des Andes est transplanté en Afrique. Les colons belges cultivent les premiers plans au Burundi, petit pays montagneux de l’Afrique des Grands Lacs où l’arbuste s’adapte à merveille.

Le quinquina, ou ikinini en kirundi, la langue nationale pourrait passer inaperçu, ses feuilles sont vertes et longues d’une vingtaine de centimètres. L’intérêt de l’arbuste tient dans son écorce chargée de divers alcaloïdes dont la cinchonine, la cinchonidine et la quinine, des substances aux vertus curatives.

Un arbuste qui prend de la hauteur

Dans la commune de Muramvya située à une quarantaine de kilomètres de la capitale burundaise Bujumbura se trouve les champs de la Sokinabu, la société d’économie mixte pour l’exploitation du quinquina créée en 1974. L’air y est frais et les paysages montagneux s’étendent à perte de vue.

«Comme pour la culture du thé l’altitude est importante, il faut qu’elle soit élevée et le climat un peu froid, pluvieux» explique Christian Remezo héritier de la famille gestionnairede la société, avec l’Etat.

«Nous sommes entourés de 150 hectares de quinquina, une très grande exploitation pour le pays», la Sokinabu exporte entre 60 et 80 tonnes d’écorce par an.

La région voisine du Nord-Kivu en République Démocratique du Congo est, avec l’Inde et l’Indonésie, l’une des trois principales zones de production d’écorce au monde.

Bien que non comparables aux plantations de ces géants, la culture de l’écorce joue un rôle important dans l’économie burundaise.

Selon le ministère de l’agriculture et de l’élevage, le rendement a augmenté de près de 140% entre 2005 et 2006. Les modestes 50 tonnes récoltées en 2002 ont atteint 247 tonnes en 2006 selon les données de la Sokinabu et de la Banque de la république du Burundi.

Malgré cet essor, les productions burundaises ne vont pas sans se heurter à de nombreuses difficultés. Alors que les récoltes de la RDC menacent les productions burundaises, c’est surtout le manque d’infrastructures qui nuit au marché local.

Une usine de traitement de l’écorce implantée à Bukavu, en RDC, pourrait accueillir les récoltes burundaises mais cette industrie «n’a pas besoin de nous, il y a assez d’espace et de culture au Congo!» explique Christian Remezo. De plus, le manque de terres sur les collines densément peuplées du Burundi est en partie responsable de la petite taille des exploitations car «les montagnes sont déjà plantées» poursuit-il.

Faute de pouvoir accroître ses surfaces d’exploitation, la Sokinabu incite les paysans à diversifier leurs cultures en introduisant l'arbuste:

«nous voulons donner des plants à la population pour qu’elle cultive le quinquina ou alors qu’elle l’utilise pour clôturer leurs champs, car ce sont des plantes qui protègent aussi l’environnement» explique le représentant de la Sokinabu.

Cette dernière trouverait ainsi davantage de producteurs et les agriculteurs pourraient bénéficier des bienfaits d’une exploitation valorisée car «si la population plante, nous allons acheter leurs productions».

De l’arbre à l’écorce

Âgé de six ans, l’arbre est prêt à être taillé, l’écorçage du tronc et des grosses branches fournit ainsi la première récolte. La cueillette n’a pas beaucoup évolué et les techniques utilisées ressemblent à celles décrites par Jussieu et de La Condamine dans le recueil Sur l'arbre du quinquina publié en 1737.

«On se sert d'un couteau ordinaire dont on tient la lame à deux mains, l'ouvrier entame l'écorce à la plus grande hauteur où il peut atteindre, et pesant dessus il le conduit le plus bas qu'il peut... l'écorce après avoir été ôtée, doit être exposée au soleil plusieurs jours, et ne doit être emballée pour se bien conserver, que lorsqu'elle a perdu toute son humidité...».

Des siècles plus tard point de tracteurs sur les collines burundaises, «la main d’œuvre, c’est la main» explique Christian Remezo. Environ 250 manouvriers sont mobilisés entre mai et octobre pour la récolte d’une parcelle de 150 hectares. L’arbre est coupé à la machette, il suffit pour cela «de taper un petit morceau de bois et l’écorce s’enlève facilement» poursuit-il.

Un premier séchage permet de réduire le poids de la cueillette dont la teneur en eau atteint alors 70%. L’opération est parfaite dans la capitale où le climat plus modéré fait chuter le taux d’humidité à 6%, l’écorce est alors réduite en poudre ou mise en sac, comme telle, pour ensuite être vendue.

Les cours varient en fonction du taux d’humidité et de la teneur en quinine de l’écorce mais «un prix correct atteint entre 29 et 39$ US le kilo» selon la Sokinabu.

Un long voyage autour du monde 

L’intégralité de la production de la Sokinabu est acheminée vers le port de Dar es-Salaam, en Tanzanie, pour être exportée à Hambourg dans les laboratoires d’un groupe pharmaceutique allemand.

Ainsi prend fin la course du quinquina au Burundi où grandit l’arbre et mature la précieuse molécule. En route vers un centre de traitement le chemin est long pour l’écorce avant de revenir sous forme de traitement, prêt à être inoculé au patient malade.

Avant tout connue pour ses vertus antipaludiques, les laboratoires pharmaceutiques utilisent aussi la quinine pour ses effets décontractants. Ils l'intégrent dans la fabrication de médicaments soignant l’arthrose ou les crampes musculaires. L’industrie agroalimentaire a su, elle aussi, tirer son épingle du jeu, sa saveur très amère fait du quinquina un ingrédient nécessaire à la préparation de l’eau tonique et de divers alcool.

Le paradoxe est de taille dans un pays où «le paludisme est l’un des plus gros tueurs, il serait responsable de la mort de près de 50% des enfants de moins de cinq ans à l’hôpital» selon l’organisation américaine USAID. D’autant que les risques sont aujourd’hui étendus à l’intégralité du pays.

Albert Mbonerane, directeur de l’Aluma —association de lutte contre le paludisme — se souvient:

«en 1993, le paludisme frappait seulement des habitants des plaines mais, avec la guerre et les changements climatiques, les moustiques se sont adaptés, ils sont montés sur les hauteurs et toutes les provinces connaissent la maladie».

Le Burundi est devenu un pays hautement impaludé où 70% de la population est à risque selon l’OMS. Le docteur Lydwine Baradahana, directrice du Programme National Intégré de Lutte contre le Paludisme (PNILP) met en avant un certain nombre de mesures appliquées pour contenir, avec succès, la maladie inoculée par un parasite transmis par la piqûre d’un moustique. Campagnes de sensibilisation, pulvérisation et distribution de moustiquaires ont ainsi permis de faire chuter la mortalité de 11% en 2011. Des succès similaires sont enregistrés dans un certain nombre de pays africains.

Vers une production de quinine burundaise? 

L’impossibilité de traiter l’écorce au Burundi repose sur un simple constat: rien ni personne ne peut transformer le quinquina en un cachet de quinine.

Christian Remezo aimerait travailler avec une usine burundaise mais l’absence d’acheteurs locaux fait de l’exportation l’unique moyen de vendre les récoltes. Le Burundi peine encore aujourd’hui à relever une économie très affaiblie par les conflits.

«Je voulais créer un centre de production local mais la mobilisation des fonds pose problème» explique Albert Mbonerane.

Sans investisseurs pas d’investissements et, avec la crise globale, tout à été remis en question. «Je ne perds pas espoir et le moment viendra peut-être, c’est une question de patience» conclut-il.

Le problème est aujourd’hui donc à prendre à l’envers car avant de penser à la construction d’une usine, il faut planter davantage d’arbres.

«La production actuelle est trop mince» mais «planter assez de quinquina prendra des années, il faut attendre sept ans pour récolter l’écorce» explique Christian Remezo qui ne manque pas de reconnaitre qu’un rendement suffisant est loin d’être atteind.

La boucle est bouclée ; faute de moyen de transformer l’écorce sur place les producteurs vendent à l’étranger et les usines internationales se tournent vers le Burundi pour se procurer la matière première. Le manque à gagner pour le pays est difficilement calculable mais les sommes en jeux sont colossales, au grand bonheur des intermédiaires en charge de la transformation du végétal en remède.  

Eugénie Baccot

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Journaliste et photographe française spécialiste de l'Afrique et des questions de société.

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