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SuperHollande est-il normal?
Avec une Assemblée «rose», le président français dispose de tous les leviers du pouvoir. Résistera-t-il à l’ivresse qu’on dit griser les chefs d’Etat africain trop bien assis?
A l’épreuve des faits, il semble y avoir plus condamnable, pour un pouvoir africain, que de ne pas avoir d’institutions républicaines. Plus louche paraît un régime qui dispose, dans un cadre déclaré démocratique, de tous les pouvoirs.
Comme on peut être «trop bien élu», avec un score «stalinien», on peut être la cible de procès d’intention, lorsqu’on détient l’intégralité des leviers de la gouvernance.
Les uns sous-entendront que votre accès à une majorité écrasante cache une faille à rechercher dans le clientélisme, l’achat de conscience ou le tripatouillage. Les autres subodoreront que vous serez forcément tenté d’abuser de cette toute puissance politique.
L’identité africaine seule est-elle censée susciter de telles accusations? Ou faut-il guigner, de la même manière, le nouveau président français qui détient aujourd’hui toutes les manettes de l’Etat?
Quarante jours après son accession à L’Elysée, François Hollande vient de se doter d’une confortable légion de députés, à l’occasion du deuxième tour des élections législatives.
Avec 314 élus sur 577 sièges, le Parti socialiste détient la majorité absolue. S’il élargit son compte d’apothicaire à l’ensemble de ses partenaires effectifs ou potentiels, sa majorité bat même des records.
En 2012, la gauche totalise 343 sièges. La dernière législature majoritairement de cette tendance politique, celle de Lionel Jospin issue du scrutin de 1997, ne comptait que 319 sièges de gauche.
La France aura-elle des allures de République bananière?
La vague rose-rouge de François Mitterrand, en 1981, n’avait porté à l’Assemblée nationale que 329 députés, même s’il est vrai que la chambre de l'époque n’en comptait que 491.
La France aura-elle des allures de République bananière? Une majorité confortable à l’Assemblée nationale ne suffit pas à justifier des diatribes contre un excès de concentration du pouvoir dans les mêmes mains. Mais le Parti socialiste ne contrôle pas que les leviers de la présidence et du Palais Bourbon.
Dès septembre 2011, il conquérait le sénat, une prise aussi révolutionnaire que celle de la Bastille dans un pays où la chambre haute du Parlement français avait toujours été à droite sous la Ve République.
Ainsi, François Mitterrand, pendant ses quatorze ans de présidence, avait toujours traîné comme un boulet l’esprit de contradiction des sénateurs conservateurs.
L’ensemble du parlement actuel deviendra-t-il ce que l’on appelle ironiquement, en Afrique, une «caisse d’enregistrement»?
Et ce n’est pas tout: depuis les élections municipales de mars 2008, le PS français a le contrôle de 25 villes de plus de 100.000 habitants, contre 12 dirigées par des maires de droite.
En 2010, le parti remportait les élections régionales et les cantonales. Aujourd'hui, le PS est à la tête de toutes les régions de France métropolitaine sauf une, l'Alsace. Il pilote 58 départements, alors que 42 sont gérées par la droite.
La toute nouvelle opposition, encore sonnée par la défaite et le retrait politique de Nicolas Sarkozy, dénonce un pouvoir qui s’étendrait au-delà des institutions élues. Au cœur des «corps intermédiaires», les syndicats n’avaient-ils pas majoritairement appelé de leurs vœux l’arrivée du Parti socialiste au pouvoir?
La teinte idéologique du monde associatif et des médias seraient-ils aussi «rosâtre» que tentent de le faire croire les anciens caciques de la “Sarkozie”? Ironie du sort: c’est Nicolas Sarkozy lui-même qui avait multiplié les nominations de personnalités de gauche à d'importants postes de responsabilité, comme Didier Migaud à la tête de la Cour des comptes, Michel Charasse au Conseil constitutionnel ou Jérôme Cahuzac —aujourd’hui ministre de Jean-Marc Ayrault—, à la commission des finances de l'Assemblée.
Trop de rose tue-t-il le rose?
Est-il venu, le temps de la pensée unique? Seules d’éventuelles réformes constitutionnelles pourraient s’avérer incertaines pour François Hollande. Pour s’assurer des deux tiers nécessaires des voix du Congrès (la réunion de l'Assemblée nationale et du Sénat), il lui aurait fallu remporter 378 sièges aux législatives. Mais peut-être sera-t-il ravi, après s’être repu de sa confortable majorité, de ne pas avoir à introduire une dose de proportionnalité lors des prochaines législatives…
Trop de rose tue-t-il le rose? Pour l’heure, sans procès d’intention aucun, la question est simple: que fera François Hollande de tous ces pouvoirs? Il profitera bien évidemment de cette cohérence idéologique au sommet de l’Etat pour mener à bien des réformes —notamment fiscales— destinées à juguler les effets de la crise économique.
Une «tâche immense», aux dires du Premier ministre Jean-Marc Ayrault qui a beau jeu, donc, de ne pas cracher sur un pouvoir tout aussi «immense». Tâche ardue sur un continent où François Hollande, à son arrivée aux affaires, semblait ramer à contre-courant, coincé entre les gouvernements conservateurs de l’Allemagne, du Royaume-Uni ou de l’Espagne; et toisé par les agences de notation.
Infinies sont les responsabilités. Lourdes seront-elles sur les épaules de François Hollande, le jour où il faudra solder les comptes. Il lui sera alors difficile de se défausser sur un parti écologiste qui, même s’il est au gouvernement, pourrait ne faire que de la figuration, frustré de ne pouvoir peser conséquemment sur la part du nucléaire dans la production énergétique nationale. Ni sur le Front de gauche qui sera sans doute tenté de se démarquer rapidement du gouvernement. Ni, donc, sur les parasites résiduels de contre-pouvoirs trop rarement aux mains de l’opposition.
Président «normal» aux pouvoirs exceptionnels
Voilà donc un président «normal» aux pouvoirs exceptionnels. Deviendra-t-il ce qu’il a fustigé pendant cinq: un hyperprésident? Parlera-t-on d’un «Etat PS» comme on parlait naguère d’un «Etat RPR»?
En Afrique, on constate souvent que l’inhalation des vapeurs du pouvoir donne des vertiges, que les responsabilités enivrent les hommes, leur faisant parfois perdre le sens du sacrifice. François Hollande, en revendiquant sa «normalitude», s’est lui-même placé une épée de Damoclès sur la tête.
Plus qu’un autre, il sera surveillé jusque dans le moindre de ses comportements. Se serait-on offusqué d’un excès de vitesse présidentiel au retour de Caen si son «auteur» n’avait pas préalablement invoqué l’irréprochabilité?
Aurait-on autant glosé sur le twitt de Valérie Trierweiler si son compagnon n’avait pas, en son temps, dénoncé l’exploitation que Nicolas Sarkozy faisait de sa vie privée? S’il n’avait pas banni, à l’avance, toute forme de purge idéologique, aurait-on hurlé à la chasse aux sorcières quand le ministre de l’Intérieur, Manuel Valls, le 30 mai 2011, démettait de leurs fonctions trois hauts responsables du système sécuritaire français, Bernard Squarcini, Frédéric Péchenard et Michel Gaudin?
L’opposition française aura l’œil sur François Hollande. L’Afrique aussi.
Même en continuant de s’aligner sur l’Elysée, nombre de dirigeants africains ont soupé des chefs d’Etat français qui donnent des leçons à des homologues qu’ils ne semblent pas considérer comme tels.
Damien Glez
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