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Un graffiti dans le fief des insurgés, à Benghazi, Libye, le 11 mars 2011. REUTERS/Finbarr O'Reilly
Un graffiti dans le fief des insurgés, à Benghazi, Libye, le 11 mars 2011. REUTERS/Finbarr O'Reilly

Benghazi, assaut final

Partie de Benghazi, l'insurrection libyenne a gagné plusieurs villes pour les perdre une à une, à la suite d'une redoutable contre-offensive des pro-Kadhafi. La finale se jouera dans cette ville où tout a commencé, où les insurgés battus affluent actuellement.

Il y a deux armées libyennes. La première est l'armée classique, équipée de chars de la Seconde Guerre mondiale et de vieilles armes, avec des soldats formés rapidement, un entraînement en accéléré pendant 45 jours.

Et il y a l'autre armée, celle de Kadhafi, composée de kataibs, des phalanges dirigées entre autres par les nombreux fils du Guide, les plus connues étant celles d’Hannibal et de Sâdi. Des chars russes dernier cri, T-80 et T-90, des avions high-tech comme les derniers Sukhoï, des navires de guerre pour pilonner la côte et des soldats professionnels. Il y a un mois, suivant les premiers manifestants de Benghazi, ce sont les soldats de la première armée qui se sont révoltés pour rejoindre l'insurrection, pendant que la seconde restait fidèle aux Kadhafi.

Aujourd'hui, mal formée et mal équipée, la première armée n'a pas pu résister aux assauts de la seconde, d'autant que cette dernière est appuyée par l'aviation et la marine, deux corps importants et absents des rangs de l'insurrection. Les cas tunisien, égyptien et libyen auront montré toute la diversité des contextes et l'imprévisibilité de la situation.

A la conquête de l'Ouest

Partie de Benghazi, la ville la plus frondeuse du pays, à l'Est, la révolution libyenne s'est déplacée comme une flamme vers l'Ouest, siège du pouvoir. En quelques jours, les insurgés prennent de nombreuses villes et régions, faisant trembler le régime. Surpris par la vitesse de la révolte, les forces pro-Kadhafi mettent du temps à réagir, d'autant que les défections se succèdent dans leur camp. Il s'agit d'abord de stopper l'avancée des insurgés, de colmater les brèches et de garder le contrôle de la capitale Tripoli, clé de la guerre.

Alors que tout le monde pense à ce moment-là à une démission de Kadhafi, le Guide reprend du poil de la bête, fait des apparitions publiques, harangue les foules pour montrer que rien n'est perdu et jure qu'il mourra en Libye. Son fils Seïf al-Islam se charge de l'offensive médiatique et diplomatique pendant que les autres fils, au combat, mettent en place la contre-offensive.

En une semaine, les Kadhafi reprennent du terrain et chassent les insurgés des zones importantes. Il y a quelques jours, ils ont repris le contrôle d’Al-Adjabieh, qui donne accès à Benghazi. Dans quelques jours, l'assaut final sera donné pour enterrer la révolte dans la ville. La boucle sera bouclée, et tout porte à croire que la finale de cette longue bataille sera sanglante. Benghazi tombée, il ne restera plus rien de l'insurrection.

Le Royaume de Benghazi

Beni Snous, petit village berbère de l'Ouest algérien, près de Tlemçen, à la frontière marocaine. En 1789, un maitre soufi, Sayid Mohamed Ibn Ali as Senoussi, y naît et apprend les enseignements théologiques. Il erre, à pied, comme le font les mystiques de cet islam de l'introspection, et arrive en Libye, à Benghazi, pour y enseigner sa tarika (chemin et voie d'élévation). Il y fait rapidement des adeptes et la confrérie Senoussie se crée sur place en 1843, s'implante dans le pays puis ailleurs, de Fès à Constantinople.

Des Algériens la rejoignent et s'installent à Benghazi. Le maître soufi est à la tête d'un état indépendant, en Cyrénaïque. En 1911, les Senoussis sont le fer de lance de la résistance contre l'invasion italienne et repoussent les Français du Nord du Tchad. Les Italiens finissent par s'emparer de la Libye en 1932, après une longue lutte. Un fan local de taille adhère à la confrérie, Omar Al Mokhtar, le père de la lutte pour l'indépendance libyenne, guerrier mystique qui va combattre les Italiens dans les sables du désert. Le futur Roi Idriss, descendant direct du mystique soufi, soutient les Alliés et devient le régent de la Libye à l'indépendance, en 1951.

Benghazi devient le centre du pouvoir et Idriss le modèle panafricain pour les indépendances du continent. En 1956, vieillissant, il laisse son neveu régner, non sans avoir organisé les premières élections parlementaires, puis, en 1963, autorisé les femmes à voter.

En 1969, le capitaine Kadhafi, 27ans, aidé d'une poignée d'officiers modernistes influencés par la révolution nassérienne en Egypte, renverse le roi et prend le pouvoir. Ce dernier est banni et toute manifestation de soutien à la monarchie durement réprimée. Kadhafi détruit 330 centres de la confrérie senoussie et extermine tous ses sympathisants. 

Dès l'insurrection libyenne de 2011, Benghazi, aux souvenirs de son histoire mais aussi celle d'évènements récents, comme cette intervention de l'armée qui a mitraillé une centaine de manifestants dans cette ville, tombe sous le contrôle des insurgés. Le drapeau de la confrérie Senoussie, qui n'a rien à voir avec le drapeau libyen, surgit un peu partout, comme l'étendard d'une revanche historique.

La ville devient autonome; en quelques jours, elle réussit à fonctionner sans l'Etat central. Justice, police et institutions s'organisent pour faire de Benghazi un petit Etat dans l'Etat. On se met même à parler de monarchie constitutionnelle, avec l'arrivée sur la scène du descendant du roi Idriss pour reprendre la Libye (lui qui avait déjà créé en 1981 à Londres une Union constitutionnelle pour le rétablissement de la monarchie Senoussie), ou dans le cas d'une partition, plus ou moins voulue par les Occidentaux, d'un petit royaume dans le désert.

Le recul de l'Ouest

Pour l'Occident, qui a soutenu dès le départ l'insurrection libyenne pour ne pas se faire dépasser par les renversements géostratégiques comme en Tunisie ou en Egypte, il n'est plus question de zone d'exclusion aérienne ni d'aider militairement les révoltés. Pétrole, al-Qaida, armes en circulation, risque de chaos incontrôlable et gigantesques migrations humaines potentielles, tous ces éléments auront joué pour les Kadhafi.

Grâce à la Chine, très présente en Afrique et en Libye particulièrement, le G8 n'est pas arrivé à avancer sur une aide militaire, de quelque nature que ce soit, aux insurgés.

Même le tout nouveau ministre des Affaires Etrangères français, Alain Juppé, a dû reconnaître que «Kadhafi marque des points», ajoutant que la communauté internationale ne pourra pas empêcher la chute de Benghazi.

Le doute est installé dans le camp des insurgés et Kadhafi, redoutant lui aussi l'affrontement final à Benghazi pour les jours prochains, vient d'accepter que les rebelles qui se rendent soient graciés.

Devant la fermeté de Benghazi, la seule option pour éviter le bain de sang c’est de lui accorder son autonomie, un petit royaume indépendant de la Libye. Discutée dans des cercles occidentaux et libyens, cette issue a-t-elle des chances de voir le jour? Rien n'est moins sûr; la ligue arabe s'est déjà prononcée pour l'intégrité territoriale de la Libye. Affaire à suivre.

Chawki Amari

Chawki Amari

Journaliste et écrivain algérien, chroniqueur du quotidien El Watan. Il a publié de nombreux ouvrages, notamment Nationale 1.

Ses derniers articles: L'effroyable tragédie du FLN  Cinq parallèles entre le Mali et l'Afghanistan  Bigeard, le tortionnaire vu comme un résistant 

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