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Comment faire vivre le message de Wangari Maathai
Dans ses mémoires, la regrettée Wangari Maathai, fondatrice du Green Belt Movement et Prix Nobel de la Paix, évoque le village de son enfance victime de l'érosion, de la déforestation et de la disparition des cultures vivrières.
Wangari Maathai, fondatrice du Green Belt Movement et Prix Nobel de la Paix en 2004, nous a quittés l'année dernière.
Dans ses mémoires, Celle qui plante les arbres, elle évoque le village de son enfance, au Kenya, et les transformations qu'elle constate lorsqu'elle y revient bien des années plus tard.
«Il fallait ramasser du bois pratiquement tous les jours pour alimenter notre foyer et c'était une corvée dont je m'acquittais souvent. Il y avait dans les environs des centaines de mugumo, ces immenses figuiers sauvages à l'écorce aussi grise et épaisse qu'une peau d'éléphant...
Quand elle m'envoyait chercher du bois, ma mère me mettait en garde: je ne devais surtout pas prendre de bois sous notre figuier, ni autour, car chez les Kikuyu, le mugumo est l'arbre de Dieu et l'homme n'a le droit ni de l'utiliser, ni de le couper, ni de le brûler...
Je comprendrais par la suite que ces figuiers séculaires indiquaient la présence de réserves phréatiques. Leurs puissantes racines creusent dans le sol des failles et des fissures par lesquelles les eaux souterraines remontent vers la surface...
Un arbre trop encombrant
A quelques centaines de mètres du figuier coulait un ruisseau clair et limpide où nous puisions notre eau potable. J'allais souvent voir sa source, toute proche, et je m'émerveillais de ce bouillonnement qui jaillissait de terre...
Nous avions planté des bananiers et de la canne à sucre sur les berges et un carré d'arrow-root près de la source. L'arrow-root, comme la pomme de terre, fournit une fécule qui était l'une des bases de notre alimentation.»
Wangari décrit le village de son enfance bien des années plus tard:
«Je fus frappé par l'aspect boueux des rivières qui, à la saison des pluies, dévalaient les collines et charriaient de plus en plus de limon: l'érosion des sols était à l'oeuvre. Je remarquai également que les vaches étaient si maigres qu'on aurait pu leur compter les côtes. Les prairies ne donnaient plus assez d'herbe et de fourrage et, à la saison sèche, l'herbe était très pauvre en éléments nutritifs. Les villageois semblaient également moins bien nourris et leurs champs plutôt clairsemés. Les sols avaient été épuisés et les rendements agricoles s'en ressentaient.
Autour du village, les essences commerciales avaient remplacé les essences indigènes. De vastes surfaces qui, dans mon enfance, étaient des bois, des prés ou des brousses, se trouvaient désormais occupées par des plantations de thé et de café. J'appris que la parcelle sur laquelle régnait jadis mon figuier préféré avait été rachetée et que le nouveau propriétaire avait choisi d'arracher cet arbre par trop encombrant afin de planter davantage de thé.
L'arbre disparu, il n'y avait rien d'étonnant à ce que le ruisseau où je jouais avec les têtards soit asséché. Mes enfants ne connaitraient jamais les joies que m'avait apporté ce torrent d'eau fraîche. Désormais, les sources se tarissaient. A l'endroit où se dressait autrefois mon figuier, il restait un carré de terre absolument stérile. Comme si ce sol refusait de nourrir autre chose que le figuier qui avait si bien trouvé sa place...
Un sol fertile devenu stérile
Lors d'un séminaire organisé par le Conseil National des Femmes du Kenya, une scientifique présenta une étude qu'elle avait menée sur les enfants de la province du Centre qui, concluait-elle, souffraient de maladies liées à des carences alimentaires.
Ce fut pour moi un terrible choc: je connaissais très bien cette région pour y avoir vécu et c'était dans ma jeunesse l'une des plus fertiles du pays. Mais les temps avaient changé. Beaucoup de paysans avaient renoncé aux cultures vivrières et reconverti leurs terres pour répondre à la demande du marché international.
Faute de produits de la ferme, les mères donnaient à leurs enfants des aliments transformés, tels le pain blanc, la farine de maïs ou le riz blanc, riches en hydrates de carbone mais relativement pauvres en vitamines, protéines et minéraux. Ces produits étaient d'autant plus séduisants qu'ils cuisaient plus vite que les céréales et tubercules de mon enfance et, du fait de la déforestation, on manquait maintenant de bois pour cuisiner.
Cette pénurie de bois de chauffe contribuait à la malnutrition car elle s'était traduite par un changement de régime alimentaire dont les enfants et les personnes âgées faisaient les frais...»
Bernard Giraud, président de Livelihoods Venture
Lire la première partie:
Tribune: Inventer une agriculture «écologiquement intensive»
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