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Zuma nu, un portrait qui en dit long sur l’Afrique du Sud
Une représentation du président Jacob Zuma nu a déclenché les foudres de l'ANC, le parti politique au pouvoir. La polémique met surtout en lumière les travers de la société sud-africaine
La polémique fait rage autour d’un portrait de Jacob Zuma, vandalisé le 22 mai dans une galerie de Johannesburg.
Le président a été peint en grand format, les parties génitales exposées au regard du public, sur une oeuvre taxée par le parti au pouvoir de «raciste».
Le tableau a été vandalisé dans la matinée du 22 mai par deux hommes, l’un blanc, l’autre noir, qui l’ont barré de croix rouges et couvert de peinture noire.
Au même moment, la Haute Cour de justice de Johannesburg, saisie par le Congrès national africain (ANC), au pouvoir, en vue de l’interdiction du portrait, décidait de rendre son verdict lors d’une audience fixée au 24 mai.
Une fois n’est pas coutume, le jugement sera retransmis en direct par les télévisions sud-africaines.
«L’affaire est d’importance nationale», a expliqué un magistrat, tandis qu’une foule manifestait en faveur de Jacob Zuma devant les portes du tribunal.
Les commentaires fusent au sujet de ce tableau, exposé depuis quelques jours à Johannesburg par la galerie Linda Goodman, une institution culturelle de renommée internationale.
Sur son site le quotidien Mail & Guardian montre la vidéo de l'acte de vandalisme contre le portrait de Jacob Zuma, filmé par la chaîne de télévision eNews.
Une oeuvre raciste?
«Une attaque contre la morale de la culture africaine», selon le Congrès des étudiants sud-africains (Sasco), un syndicat noir actif durant la lutte contre l’apartheid. «Sadique» selon le Parti communiste sud-africain (SACP), allié historique de l’ANC.
«Une attaque contre la culture de la majorité, le peuple noir de l’Afrique du Sud», déclare le Black Management Forum (BMF), qui regroupe des cadres et des chefs d’entreprise noirs.
Commentaire d’une autre organisation d’entrepreneurs noirs, le Forum des petites et moyennes entreprises (SMME Forum):
«Pour sûr, la galerie Goodman n’aurait pas osé montrer les parties génitales de P.W. Botha (ancien président blanc, ndlr) ou des généraux de l’apartheid, pour les nombreuses affaires de viol et d’agression sexuelle endurées par nos mères et nos soeurs noires…»
L’une des filles du président, Gugu Zuma, juge de son côté le tableau «vulgaire et sans humanité», ajoutant que «dans notre société, seulement les animaux se trouvent nus, pas les êtres humains».
Les lignes de fracture qui apparaissent avec le débat sont-elles vraiment raciales?
A y regarder de plus près, elles ont surtout à voir avec des enjeux de pouvoir, à quelques mois du congrès quinquennal du Congrès national africain (ANC), qui se déroulera en décembre à Mangaung (le nouveau nom de Bloemfontein).
Lors de cette conférence, un nouveau Comité exécutif national (NEC) sera élu par la base, de même que les six principaux dirigeants du parti. En décembre 2007, le président Thabo Mbeki avait été évincé de la présidence du parti par Jacob Zuma, lors d’un congrès houleux à Polokwane.
Le véritable enjeu: la succession de Zuma
Aujourd’hui, c’est encore le sort de Jacob Zuma qui se trouve dans la balance.
Elu en 2009, l’actuel président voit sa popularité baisser et fait face à des critiques dans les rangs de son propre parti.
La fronde grossit si bien au sein de l’ANC qu’elle s’est trouvé un slogan, «ABZ» (Anything but Zuma, «Tout sauf Zuma»). Le président pourrait être désavoué par la base et ne pas pouvoir rempiler pour un second mandat lors des élections de 2014.
Dans ce contexte, le tableau intitulé The Spear, «la lance», n’est qu’un catalyseur. Il est taxé de racisme parce qu’il a été signé par un artiste blanc, Brett Murray, connu pour son travail provocateur. Dans ce débat, Jacob Zuma peut surtout compter les personnalités et les organisations qui le soutiennent encore.
«La vraie question, c’est le clash entre la culture africaine et le constitutionnalisme libéral, le prix que l’ANC a dû payer pour arriver au pouvoir et qui protège la liberté d’expression», estime de son côté le sociologue Sholto Cross. «Le mélange a toujours été difficile et des incidents de ce genre mettent la Constitution, les juges et leur indépendance à l’épreuve.»
Et pour cause. «Si c’est de l’art, je ne sais pas ce qu’est une insulte», a réagi Jeff Radebe, le ministre de la Justice, le 21 mai, sans craindre d’empiéter sur l’indépendance de la justice, à la veille d’une audience de la Haute cour de justice de Johannesburg.
L'art pour critiquer la polygamie
Silence radio, en revanche, du côté des ténors de l’ANC qui se préparent à la bataille du congrès de Mamaung, à commencer Julius Malema, ancien allié de Jacob Zuma exclu de l’ANC en avril, mais aussi Tokyo Sexwale, ministre et présidentiable, ou encore Kgalema Motlanthe, vice-président de la République, un homme pondéré qui est le mieux placé dans l’appareil du pouvoir pour succéder à Zuma.
Une grande partie de la polémique porte sur la polygamie du président. Jacob Zuma a officialisé sa relation avec une fiancée de longue date, Gloria Bongi Ngema, devenue sa quatrième femme en avril. La polygamie, désapprouvée par une majorité de Sud-Africains, n’a-t-elle pas motivé ce portrait?
A cette question délicate, Gwede Mantashe, le secrétaire général de l’ANC, répond par une autre question:
«La polygamie revient-elle à se promener avec les parties génitales qui pendent à l’air?» Et d’attaquer l’hebdomadaire The Sunday Times, qui a traité Zuma «d’étalon» dans son dernier éditorial.
Pour mémoire, le successeur de Thabo Mbeki n’a pas seulement défrayé la chronique en raison du procès qui lui a été intenté pour viol en 2005, et dont il a été acquitté. Il avait aussi fait scandale en affirmant ne pas risquer l’infection par le virus du Sida, puisqu’il avait «pris une douche après» un rapport non protégé.
Ses relations extra-conjuguales ont aussi contribué à ternir son image. Elles l’ont notamment amené à reconnaître en 2010 un enfant naturel qu’il a eu avec la fille de l’un de ses amis.
Le Sunday Times a par ailleurs irrité la famille de Jacob Zuma, en publiant le 20 mai un dessin du célèbre caricaturiste Zapiro montrant Jacob Zuma affublé de deux jets de douche: un sur la tête et l’autre en guise de sexe…
Les femmes s'insurgent
Dans le déluge de critiques tombé sur le tableau, seules quelques voix discordantes se sont élevées, qui viennent de femmes. Tselane Tambo, la fille d’Oliver Tambo, ancien président de l’ANC et compagnon de route de Nelson Mandela, a tweeté ce commentaire assassin:
«Le Pres JZ n’aime pas son portrait. Est-ce que les pauvres aiment la pauvreté? Est-ce que les chômeurs aiment le désespoir? Est-ce que les sans-abris aiment la rue? Il doit oublier ça. Personne ne s’amuse. Il devrait inspirer la révérence à laquelle il aspire. Voilà le portrait qu’il a inspiré. Dommage, non?»
De son côté, Ferial Hafajee, la rédactrice en chef de l’hebdomadaire The City Press, un journal assigné en justice en même temps que la galerie Linda Goodman pour avoir publié le portrait controversé, a remis à sa place le président Jacob Zuma et le porte-parole de l’ANC, Jackson Mthembu.
«Je suis lasse de ces gens qui veulent tuer les idées qu’ils n’approuvent pas», a-t-elle commenté. «En plus, notre moralité est sélective. L’homme qui se trouve derrière cette dernière tentative de l’ANC de brider la liberté d’expression est Jackson Mthembu, récemment arrêté pour conduite en état d’ivresse à 7 heures du matin sur une autoroute fréquentée. Il n’est pas un modèle de vertu, pas plus que notre président, qui a fait plus pour détruire sa propre dignité que n’importe quel artiste.»
Un fait qui en dit long sur les rapports ambigus du pouvoir avec la liberté d’expression: avant même que la Haute cour de justice de Johannesburg ne rende son verdict, des experts de l’Office du film et des publications (FPB) ont été dépêchés à la galerie Linda Goodman le 21 mai, pour un éventuel «classement» du portrait.
Autrement dit, un décrochage et une censure en bonne et due forme, comme au temps de l’apartheid.
Sabine Cessou
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