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Des militaires à Bissau le 19 mars 2012. REUTERS / Joe Penney
Des militaires à Bissau le 19 mars 2012. REUTERS / Joe Penney

Guinée-Bissau: la victoire des militaires et des «narcos»

Depuis le coup d’Etat du 12 avril, la Guinée-Bissau s’enfonce dans la crise. Certes, un président de transition devrait prendre ses fonctions dans les prochains jours. Mais il sera une marionnette des militaires qui ont interrompu le processus démocratique. Certains officiers qui craignaient de perdre le contrôle du trafic de cocaïne se frottent déjà les mains.

Mise à jour du 31 juillet 2012: Le Conseil de sécurité de l'ONU a annoncé hier réfléchir à l'organisation d'un sommet consacré à la Guinée-Bissau après avoir constaté que le trafic de drogue s'était intensifié depuis qu'une junte a pris le contrôle du pays en avril.

Le sommet pourrait rassembler l'ONU, l'Union africaine, l'Union européenne, la Communauté économique des Etats d'Afrique de l'Ouest (Cédéao), la Communauté des pays de langue portugaise (CPLP) ainsi que d'autres pays suivant la crise de la Guinée-Bissau, annonce le communiqué, afin d'aboutir à une "stratégie intégrée et à une feuille de route avec des actions à court et long terme pour le rétablissement de l'état de droit".

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Les militaires bissau-guinéens ont de quoi être satisfaits. On peut même dire qu’ils narguent la communauté internationale. Après leur coup d’Etat du 12 avril dernier et malgré les condamnations internationales, ils restent plus que jamais maîtres du jeu. Le processus électoral est interrompu.

Leur bête noire, le Premier ministre sortant Carlos Gomes Junior, favori du second tour de la présidentielle, et le président par interim Raimundo Pereira sont définitivement hors jeu.

Détenus pendant deux semaines, ils ont été libérés le 27 avril et sont en exil en Côte d’Ivoire.

C’est le candidat de la junte, Manuel Serifo Nhamadjo, arrivée troisième au premier tour de cette présidentielle avortée, qui devrait assurer la transition pendant un an. Tout cela, avec l’assentiment de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cédéao) qui a renoncé à imposer le rétablissement de la démocratie par la force.

Cette solution, prônée par la Communauté des pays de langue portugaise (CPLP), jugée par trop proche de Gomes Junior par les auteurs du coup d’Etat, a vite été écartée. Au PAIGC, le parti de Carlos Gomes Junior, on rejette cette décision comme « inconstitutionnelle ».

D’autant qu’avec 49% des voix au premier tour, le chef du gouvernement déchu était assuré de remporter l’élection. Mais que faire quand les institutions régionales valident le fait accompli?

Une alliance politico-militaire contre Gomes Junior

Une fois encore, c’est une conjonction d’intérêts entre des militaires et des politiques qui a mis bas la fragile démocratie bissau-guinéenne.

« Derrière la junte, se profile le chef d’état-major, Antonio Indjai,  soupçonné avec d’autres d’avoir récupéré la main sur le trafic de la cocaïne latino-américaine qui continue à transiter par le pays, explique un représentant de la société civile et fin connaisseur de la vie politique locale. Mais d’autres avaient tout intérêt à empêcher Gomes Junior d’arriver au pouvoir, comme l’ancien président Kumba Yala, arrivé deuxième au premier tour et très lié à certains militaires d’ethnie balante comme lui. Avant le coup d’Etat, il avait d’ailleurs annoncé qu’il boycotterait le second tour de la présidentielle. Mais d’autres, notamment les adversaires de l’ancien Premier ministre au sein du PAIGC, avaient intérêt à le voir quitter la scène politique. »

Comme toujours dans la capitale, la population accepte pourtant presque placidement ce énième soubresaut dans l’histoire politique du pays.  

« L’atmosphère est calme à Bissau et un non-initié ne pourrait croire que ce pays vient de souffrir d’un coup d’Etat et de l’éviction de ses principaux responsables politiques », confie un européen habitué du pays. Rien de surprenant pour qui connaît la Guinée-Bissau où  la vie reprend toujours rapidement son cours, tant les habitants sont coutumiers des coups de force.

L’administration ne fonctionne plus

Pour autant la situation est catastrophique. La Guinée-Bissau n’a plus de président, plus de gouvernement, depuis plus d’un mois. L’administration ne fonctionne plus et les salaires des fonctionnaires ne sont plus versés. « La plupart des ministères sont fermés »,  témoigne un chef d’entreprise de Bissau.

Cette situation est d’autant plus inquiétante qu’elle survient en pleine récolte de la noix de cajou, principale source de devises pour le pays.

« En raison du blocage généralisé, les banques ne font pas crédits aux gros intermédiaires, affirme un entrepreneur en agro-alimentaire. La campagne se poursuit malgré tout sans mais qu’on sache exactement d’où proviennent les fonds des intermédiaires ».

Dans ce contexte, les spéculateurs achètent les noix à 150 FCFA au lieu des 350 FCA. « Compte tenu du prix du kilo de riz (environ 250 FCFA), les paysans ne pourront pas s’en sortir », s’inquiète un diplomate occidental.

Il faut donc d’urgence que le pays retourne à la normalité institutionnelle.

Un nouveau pouvoir de transition est en train de s’installer. Mais la question est de savoir pour combien de temps, tant ce qui vient de se dérouler est contraire à toutes les règles démocratiques. Plus grave encore, la réforme de l’armée, souhaitée par tous ceux qui veulent voir les militaires sortir du jeu politique a de bonnes chances enterrée et les acteurs du trafic de cocaïne - militaires comme « narcos » latino-américains - ont de beaux jours devant eux. 

Certes une mission militaires de la Cédéao doit, en principe, remplacer les 600 hommes de l’armée angolaise, accusés par la junte de rouler pour Gomes Junior et de vouloir l’aider à neutraliser l’armée. Cette nouvelle force est censée reprendre le processus de refonte annoncé depuis des années mais jamais abouti.

Tout le problème est qu’à chaque fois que cette réforme a commencé à avancer, les militaires, craignant de perdre leur pouvoir et leur prébendes, ont déstabilisé ou renversé les dirigeants qui tentaient de la mener à bien.

 Aya Touré

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Aya Touré

Aya Touré. Journaliste sénégalaise, spécialiste de l'Afrique.

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