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Le Mali peut-il s'en sortir?
L'obstination de la junte à garder la main sur les affaires de l'Etat et le manque de fermeté de l'autorité ouest africaine à son égard ne peuvent que conduire à un enlisement.
Mise à jour du 30 mai 2012: Le chef de l'Etat béninois et président en exercice de l'Union africaine, Thomas Boni Yayi, a plaidé pour une saisine du Conseil de sécurité de l'ONU en vue de la création d'une "force" africaine d'intervention au Mali, lors d'une conférence de presse à Paris.«Cette solution (militaire) doit venir après le dialogue, mais le dialogue ne doit pas trop durer», a-t-il ajouté.
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La crise sociopolitique qui prévaut actuellement au Mali aura sans doute des répercussions très graves sur l’avenir du pays. Née de l’insurrection touarègue du Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA) et son corollaire de coup d’Etat du capitaine Amadou Sanogo contre l’ex-président Amadou Toumani Touré, elle a profondément divisé l’armée.
Les récents affrontements à Bamako, la capitale du pays, entre des fidèles de l’ancien président et ceux de l’ex-junte militaire sont révélateurs de ces dissensions internes. Entre les commandos parachutistes appelés «bérets rouges» de l’ancien chef d’état-major particulier du président déchu, Abidine Guindo, et les éléments de l’armée de terre appelés «bérets verts» du capitaine Amadou Sanogo, la réconciliation des frères d’armes reste difficile.
Les bérets verts ont encore trop de pouvoir
Et pour cause, la médiation du président Blaise Compaoré du Burkina, au nom de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’ouest (Cédéao), n’a pas su apprécier les conséquences du coup d’Etat au sein de l’armée malienne. Elle a négocié le départ des anciens putschistes du pouvoir et la mise en place d’une transition démocratique en les ménageant trop au détriment d’une partie de l’armée.
Laquelle, si elle ne s’est pas exprimée, a bel et bien de fortes récriminations contre cette situation. Le fait de laisser le capitaine Amadou Sanogo et ses hommes continuer à influencer la vie sociopolitique du pays malgré le rétablissement des institutions républicaines, les nominations de Dioncounda Traoré en tant que président de la République par intérim et de Cheick Modibo Diarra comme Premier ministre est la concession qu’il ne fallait surtout pas faire.
Quand on a vu ces militaires montrer combien ils étaient accrochés au pouvoir durant les quelques jours qu’ils en ont gardé les rênes. Normal qu’ils aient continué à procéder à des interpellations et des arrestations de militaires, d’hommes politiques et d’opérateurs économiques comme si rien n’avait changé.
En vérité, le vrai pouvoir est encore détenu par les anciens putschistes et les institutions de transition mise en place après l’accord-cadre avec la Cédéao ne leur servent que de paravent. Les blocages dans le fonctionnement de ces institutions en est l’illustration la plus éloquente.
Un état de fait que la Cédéao doit corriger si elle veut un retour à la normale au sein de l’armée, et par conséquent dans le sud du pays. A défaut, elle va inexorablement ouvrir la voie à de nouvelles tentatives de coups d’Etat ou créer une situation d’instabilité sociopolitique permanente dans le pays. Tant que les ex-putschistes ne retourneront pas dans leurs casernes pour se mettre au service des nouvelles autorités de transition, il sera difficile pour la Cédéao de rétablir un climat de confiance dans le pays.
L’Afrique de l’ouest, une véritable poudrière
A la faveur des différentes guerres et mutineries que l’Afrique de l’ouest a connues, des hommes et des armes circulent partout. Le Mali offre donc aujourd’hui toutes les conditions susceptibles d’attirer sur son territoire tous ceux qui cherchent à profiter de ce genre de crise. Et ils sont légion, des islamistes aux acteurs de crimes organisés en passant par des soldats de fortune.
Avec des soldats radiés de l’armée du Burkina après les mémorables mutineries de 2011, des rescapés des guerres en Côte d’Ivoire, en Sierra Leone et au Liberia, des jeunes sans emplois d’Afrique de l’ouest qui errent par millions, n’importe quelle faction malienne peut alimenter une longue guerre civile sur le terrain. Autant dire donc que le Mali pourrait basculer dans un chaos pire que celui qu’a connu récemment la Côte d’Ivoire voisine.
Outre la rébellion du MNLA qui a proclamé l’indépendance non reconnue de l’Azawad, il y aussi tous les groupuscules islamistes d’Al Qaida au Maghreb Islamique (Aqmi), du Mouvement pour l’unicité et le Jihad en Afrique de l’ouest (Mujao) qui rêvent de mettre le pays en coupe réglée ou de tirer le meilleur profit de la crise sociopolitique à Bamako.
La junte joue un jeu dangereux
L’ex-junte militaire, incapable de s’élever au-dessus d’elle-même pour sauver le Mali d’une deuxième crise, ne fait que le plonger davantage dans une grande inconnue. En privilégiant ses propres intérêts et son avenir, elle a manqué de prendre date avec l’histoire. Au lieu que l’armée malienne se réorganise pour faire front contre la partition du pays, elle s’entredéchire a contrario pour la faciliter.
C’est le moins que l’on puisse dire quand le capitaine Amadou Sanogo et ses hommes s’opposent aux décisions de la Cédéao, alors même qu’ils sont incapables de faire face aux groupes qui ont coupé le pays en deux sans l’aide de cette même Cédéao. Le capitaine Amadou Sanogo s’est ainsi opposé aux décisions prises le 26 avril 2012 à Abidjan par la Cédéao d’intervenir au Mali et de proroger la transition de 40 jours à 12 mois en déclarant:
«aucun soldat étranger ne foulera le sol du Mali sans une demande du gouvernement malien.»
Pourtant, si la Cédéao abandonne le Mali à son triste sort, le sud du pays tomberait aussi facilement que l’a été le nord. Et le capitaine Amadou Sanogo cesserait de jouer les héros à Bamako. Un tel scénario n’est cependant pas imaginable.
Au lendemain des affrontements de Bamako, les ex-putschistes ont vite fait de montrer du doigt des «mercenaires» et des «soldats étrangers» de pays membres de cette institution, en l’occurrence le Burkina, le Sénégal, la Côte d’Ivoire en affirmant qu’ils étaient aux côtés des éléments du lieutenant-colonel Abidine Guindo.
Une façon ou une autre de monter l’opinion publique malienne contre la Cédéao comme ils l’ont fait après leur coup d’Etat en empêchant une délégation de chefs d’Etat de cette institution d’atterrir à l’aéroport de Bamako occupé par des sympathisants à leur solde.
La classe politique, la société civile, l’armée et la diaspora malienne ont une grande responsabilité à assumer devant l’histoire de leur pays. De leur volonté de sortir au plus vite de l’imbroglio savamment entretenue par l’ex-junte à des fins inavouées, dépendra la sauvegarde de l’intégrité territoriale du pays.
Les atermoiements du capitaine Amadou Sanogo et ses hommes ne contribuent en effet qu’à l’enracinement des groupuscules armés qui occupent le nord et à rendre sa reconquête plus difficile.
La Cédéao prête à intervenir, mais…
Face à cela, la Cédéao a tout intérêt à se montrer à la hauteur des enjeux et de la complexité de la crise. Dans son communiqué, la réunion des chefs d’Etat tenue le 2 mai à Dakar indique que:
«la conférence instruit la commission de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’ouest de préparer la force en attente de la Cédéao en vue de son déploiement immédiat dès que le Mali en fera la demande.»
Tant et si bien qu’on est en droit de se demander ce qu’elle ferait si l’homme fort du Mali, le capitaine Amadou Sanogo, empêchait le gouvernement de transition d’en faire la demande.
Comme on le constate, le président de la République par intérim, Dioncounda Traoré et le Premier ministre Cheick Modibo Diarra n’ont manifestement pas de marge de manœuvre face au capitaine Amadou Sanogo qui a pris la transition en otage. Il s’est d’ailleurs déclaré prêt à refaire un coup d’Etat même demain s’il le fallait.
En s’arrogeant les ministères clés de la Défense et celui de l’Intérieur et de la protection civile au sein du gouvernement de transition, il s’en donne ainsi les moyens. Et son entêtement à vouloir rester au pouvoir malgré son départ, au point de s’exprimer en lieu et place des autorités de transition, risque fort de conduire le Mali dans le précipice si la Cédéao ne prend pas ses responsabilités.
En passant de simples menaces à de véritables sanctions contre tous ceux qui, par leurs actes, entraveraient dorénavant la bonne marche de la transition démocratique et la restauration de l’intégrité territoriale du Mali sous la conduite des institutions républicaines. Car ce n’est pas à Bamako qu’il faut jouer les héros mais plutôt au nord du pays.
Marcus Boni Teiga
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