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Halal or not halal au pays du vaudou
Vu du Bénin, la campagne présidentielle française prend une saveur bien différente. Les frontières idéologiques et religieuses sont brouillées.
Mise à jour du 6 mai 2012: lors du second tour de la présidentielle, François Hollande, le candidat socialiste a obtenu entre 51,8% des voix contre 48,2% à son rival UMP, le président sortant Nicolas Sarkozy.
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Si près si loin. Contrairement à ce que l’on prétend souvent, la voix de la France continue à porter bien au delà des frontières de l’Europe. De Dakar à Cotonou en passant par Abidjan, les saillies des hommes politiques français rencontrent encore un large écho. Les débats rugueux et les élections dont les résultats ne sont pas connus à l’avance séduisent dans des pays où la démocratie est souvent à l’état d’ébauche.
Ces débats féroces, les médias locaux s’en nourrissent. Tout comme les millions d’Africains à l’écoute de RFI, France24 ou TV5.
Ainsi dans un bar de Cotonou, de Parakou ou de Porto Novo grâce à la puissance du satellite il est loisible de manger de l’agouti en écoutant les diatribes martiales de Marine Le Pen ou les visions martiennes de Jacques Cheminade.
Mais pourtant la dernière campagne a offert un spectacle qui pouvait apparaître bien étonnant. Plus décalé qu’à l’accoutumée. Les longs discours de Marine Le Pen sur l’art et la manière «halal ou haram» —sacré ou péché— d’égorger la bête ont pu surprendre plus que d'habitude.
L'art de couper la viande
«La France n’a-t-elle pas de problèmes plus urgents à régler», s’interroge le client francophile d’un bar de Cotonou.
«Les Français ne souhaitent-ils pas plutôt que l’on leur parle des moyens de lutter contre le chômage. Se passionnent-ils vraiment pour la manière de tuer les animaux promis à finir dans leur assiette? Un steak reste un steak quelque que soit la forme du couteau du boucher», demande une enseignante béninoise, très surprise par le tour pris par cette campagne.
Elle a le plus grand mal à se faire payer son salaire à la fin du mois et à nourrir sa multitude d’enfants. L’art de couper la viande est très loin des préoccupations.
«Au Bénin, il arrive encore que des parents "vendent" leurs enfants à des familles plus riches parce qu’ils n’ont pas les moyens de nourrir leur progéniture».
Lorsque le halal devient aussi une préoccupation du chef de l’Etat, Nicolas Sarkozy et du Premier ministre François Fillon, l’étonnant ne fait que croître.
Frontières de l'imaginaire
Le débat sur les frontières et l’immigration, «halal or not halal», surprend moins. Mais inquiète davantage.
«Que des sondages indiquent que 37% de Français partagent les idées du Front national, forcément je m’inquiète pour ce pays que j’admire tant» confie un haut fonctionnaire béninois qui a fait ses études en France.
Vu de Cotonou, les débats qui agitent la France paraissent d’autant plus surprenants que le Bénin vit à des années lumière de ces «angoisses frontalières».
«Ici, nous n’avons pas de tradition d’immigration clandestine. Les Béninois aiment rester dans leur pays. S’ils vont à l’étranger, c’est pour une raison bien précise. Des études. Un travail. Dès qu’ils peuvent ils retournent au pays» explique Justine, une commerçante béninoise.
Vu du Bénin, le thème des frontières intrigue aussi. L’ethnie yorouba se trouve des deux côtés de la frontière séparant le Bénin du Nigeria. Cette frontière a été coupée au cordeau pour séparer le monde colonial britannique et celui de la France.
Mais les Yoroubas se sont toujours joués de cette frontière. Depuis des décennies, elle est le lieu de tous les trafics de l’essence en passant par le riz ou les pagnes et les voitures. Et même les «têtes Nok» (pièces archéologiques dont la valeur à l’unité peut dépasser le million de dollars).
«Plus qu’un obstacle, cette frontière artificielle est perçue comme un moyen de se faire de l’argent» explique un commerçant qui considère que ces frontières n’ont jamais existé que dans la tête de «quelques géographes occidentaux».
Océan, divinités et vaudou
Le halal ne préoccupe pas davantage. «Ici, nous avons tous plusieurs religions. Nous sommes tous demeurés dans le vaudou» explique Michel, un instituteur qui se rend tous les dimanches à l’église, mais qui continue à pratiquer la religion des ses ancêtres. Il conserve un temple vaudou à son domicile. Dans les mêmes familles, les catholiques, les musulmans, les vaudous et les évangéliques se côtoient en bonne intelligence, le plus souvent.
Le Bénin n’est-il pas le berceau du vaudou? Alors que la nuit tombe sur Cotonou, une grande prêtresse vaudou m’invite à lui rendre visite. Elle habite au bord de l’océan Atlantique. Avant de converser avec elle, l’un de ses neveux me convie à assister à une prière vaudou.
Avant une visite à la grande prêtresse, il se livre toujours à ces rites. Pourtant il fréquente l’église catholique. «Le fait d’appartenir à plusieurs religions ne nous pose aucun problème. Le vaudou est une religion de tolérance», explique-t-il en enfilant un pagne et en versant des décoctions parfumées sur son visage et son corps.
La grande prêtresse presque centenaire défend la même position.
«Des prêtres me rendent régulièrement visite. Au fond, toutes les religions sont liées», affirme-t-elle avec un grand sourire serein.
En l’écoutant parler avec tant de bonheur de son vaudou apaisé, le visiteur se sent soudain si loin du bœuf halal, des frontières et de l’immigration. Tout à coup, la France, ses campagnes, ses veaux, ses vaches, ses beaufs –halal ou pas. La France et ses angoisses du moment —national— paraissent si loin. Bien au delà de l’Atlantique.
Pierre Cherruau à Cotonou
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