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Les Burkinabè votent Hollande

Le feuilleton de l’élection française est très suivi dans les gargotes du Faso. Entre passion et désillusion...

13 avril 2012. Des français résidant au Burkina Faso sont réunis autour de Pouria Amirshahi. Le secrétaire national du Parti socialiste français à la Coopération, à la Francophonie et aux Droits de l'Homme est venu transmettre le message de François Hollande aux autorités burkinabè et à la société civile du pays des “Hommes intègres”.

Naturellement, il est aussi venu glaner des suffrages parmi la communauté française qui compte environ 3000 membres. Ce soir-là, un vendredi 13, il invite ses compatriotes à participer «aux changements qui vont se produire en France» à l’occasion de la présidentielle, mais aussi des prochaines législatives auxquelles il est candidat, au titre de la 9e circonscription des français de l'étranger, zone qui regroupe 16 pays d'Afrique du Nord et de l'Ouest, soit 140 000 français.

Pouria Amirshahi est-il venu prêcher des convaincus?

En 2007, au second tour de la présidentielle, Ségolène Royal avait recueilli 58% des voix dans cette circonscription. C’est sans doute pour rattraper son retard sur la gauche que Nicolas Sarkozy, depuis son élection, parle directement au portefeuille des expatriés.

Il a ainsi initié une campagne de gratuité progressive des écoles françaises à l’étranger, au titre de l’égalité entre tous les citoyens, résidents ou non de l’Hexagone. Puis le processus s’est grippé. Seules les classes du lycée sont actuellement concernées par la prise en charge des scolarités. François Hollande entend même revenir sur ce principe, ne promettant qu’une «baisse des frais de scolarité dans les écoles françaises» et un programme de bourses plus efficient. Le secrétaire national du Parti socialiste serait-il venu à Ouaga pour faire avaler la pilule?…

«Nous sommes des petits Français»

Au Burkina, les expatriés français ne sont pas les seuls à avoir les yeux rivés sur “leur” campagne présidentielle. Comme le souligne un retraité burkinabè né avant l’indépendance de la Haute Volta: «Nous sommes des petits français».

La langue officielle du pays qui en compte soixante et celle de Molière et nombre de Burkinabè se sont entendu enseigné que leurs ancêtres étaient des Gaulois. Dans les rédactions des journaux, tout particulièrement, on connaît, en détail, la liste des candidats à l’Elysée. On ironise sur ce prétendant qui veut «coloniser Mars» et l’on s’étonne que cet ouvrier dont on a oublié le nom est candidat tout en ne souhaitant pas vraiment gagner.

Au-delà de la curiosité amusée, les Burkinabè prennent-ils parti? Depuis des décennies, les discussions dans les “maquis” semblent indiquer que le peuple burkinabè est de gauche. Quand bien même l’histoire politique africaine contemporaine a dynamité une dichotomie idéologique identifiable.

Quand bien même un questionnaire de Proust doctrinal décrirait immanquablement une population majoritairement conservatrice, foncièrement opposée à l’hypothèse même du mariage homosexuel, gardienne des traditions ancestrales et des valeurs de la famille, peu choquée par la possession individuelle d’armes à feu, partisane d’une solidarité de proximité –de filiation ou de voisinage–, plus que d’un système de cotisations nationales destinées à financer les soins d’inconnus; sans compter que le mot “socialiste”, pour ceux qui ne connaissent pas les principes qu’il renferme, évoque le soutien à Laurent Gbagbo (l’ex-président de la Côte d’Ivoire)…

“Droititude” spontanée et largement inconsciente

Le conservatisme burkinabè, sorte de “droititude” spontanée et largement inconsciente, ne permet pourtant pas à Nicolas Sarkozy d’échapper à l’impopularité au Burkina. Joseph, directeur financier dans une PME burkinabè, affirme tout de même qu’il préfère l’actuel locataire de l’Elysée: «La campagne électorale paraît bizarre. Je pensais que mon ami Sarko allait gagner. Lui, au moins, on l’a vu à l’œuvre. D’ailleurs, il n’est pas trop tard pour qu’il rebelote».

Pourtant, même sans sondage, une immersion dans le cœur de Ouaga ne laisse guère de doute. Dans l’opinion d’Afrique francophone, Sarkozy purge toujours son pêché originel: le discours de Dakar au cours duquel il affirma, au début de son mandat présidentiel, que le «drame de l'Afrique» venait du fait que «l'homme africain n'est pas assez entré dans l'Histoire».

«Sarko s’en fout de l’Afrique», s’indigne Idriss, jeune chômeur diplômé. «Ou plutôt non: il ne la connaît même pas. Ou plutôt il en a peur. Rappelez-vous comment il a viré son ministre de la Coopération pour plaire à un roitelet d’Afrique centrale».

Plus prosaïquement encore, à Ouagadougou ou à Bobo-Dioulasso, une discussion sur la France dérive inévitablement sur la question des visas, débat frotté de relents –réels ou supposés– de racisme anti-africain.

Si les Burkinabè friands d’actualité ont du mal à retrouver le nom de Jean-Marie Bockel, le ministre brimé par Omar Bongo, ils se souviennent tous de l’attelage Hortefeux-Besson-Guéant, les croisés de l’identité française.

Ils conchient Marine Le Pen qui leur rappelle les transmissions de pouvoir à l’africaine, de père en fils. Ils se souviennent de Rama Yade, la «petite sénégalaise», alibi “afro” finalement balancé comme un mouchoir en papier…

Mais doit-on vraiment s’étonner qu’une opinion africaine “de droite” s’aligne symboliquement derrière un candidat de gauche? C’est ni plus ni moins la stratégie récemment affichée par l’écologiste de droite Corinne Lepage ou par la villepiniste Brigitte Girardin. Et c’est, bien sûr, le choix, même “sénile”, du plus aimé des politiciens français sur le continent africain: l’ami Jacques Chirac.

Plus qu’une adhésion à gauche, c’est à une désillusion des Burkinabè que l’on assiste, vis-à-vis de la France. «L’élection française? Ça ne changera rien», indique Amadou. «Le Faso n’intéresse plus personne, sauf pour les questions militaires, les mutineries, les médiations dans les prises d’otages. Vous n’avez pas remarqué qu’ils ont choisi un général comme ambassadeur? [Le général Emmanuel Beth, NDLR] 

Les Français se protègent. Point final.» Pour le Sarkozyste Joseph, ceux qui voteront Hollande finiront pas être déçus. Un enseignant en informatique, lui, assène: «Je ne veux plus de Sarko, même si Hollande ne va rien faire. Moi, mon candidat, c’est Mélenchon. Il est différent de Thomas Sankara, mais je retrouve le souffle révolutionnaire». Et de rappeler que Nicolas Sarkozy est celui qui a reçu Mouammar Kadhafi en grandes pompes avant d'instruire sa chute.

Bien que suscitant une attention téléphage des Burkinabè, cette présidentielle française pourrait solder les liens incestueux entre les deux nations. La présidence du Faso n’a-t-elle pas déménagée du giron géographique de l’ambassade de France?

Damien Glez

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Damien Glez

Dessinateur burkinabé, il dirige le Journal du Jeudi, le plus connu des hebdomadaires satiriques d'Afrique de l'Ouest.

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